Classement thématique série 1848–1945:
I. LA SUISSE ET LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
I.2. La question du Siège de la SdN
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 104
volume linkBern 1988
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern |
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Old classification | CH-BAR E 1004.1(-)1000/9 280 |
Dossier title | Beschlussprotokolle des Bundesrates Juli - September 1921 (1921–1921) |
dodis.ch/44746 CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 15 juillet 19211 2100. Fixation du régime provisoire de la Société des Nations à Genève
Procès-verbal de la séance du 15 juillet 19211
L’article VII du Pacte de la Société des Nations, complété par l’article 6 de la convention du 11 avril 1919 créant un organisme permanent pour la réglementation internationale du travail, a, entre autres, accordé le bénéfice des prérogatives et immunités diplomatiques à tous les agents de la Société des Nations, en fonctions, soit au secrétariat général de la Société, soit au Bureau International du Travail.
En application de ces dispositions conventionelles, le Conseil fédéral, en date du 2 juillet 1920, décida de soumettre provisoirement le secrétariat général et le Bureau International du Travail à un régime analogue à celui des missions diplomatiques accréditées à Berne; il chargea en même temps le Département politique de se mettre en rapport avec les organes de la Société des Nations, en vue de la fixation d’un modus vivendi plus précis.
Deux conférences, tenues à Berne et à Genève il y a quelques mois, ont permis à un accord de s’établir sur un certain nombre de points.
Dans un projet de lettre au secrétariat général de la Société des Nations, le Département politique a formulé, dans tous leurs détails, les principes destinés à servir de base à un premier modus vivendi de la Société des Nations à Genève. Ce projet de lettre est ainsi conçu:
«Monsieur le Secrétaire général,
Le Gouvernement fédéral suisse a eu une satisfaction particulière à constater qu’à la suite des conférences tenues, à Genève et à Berne, il y a quelques mois, et des correspondances ultérieurement échangées, les vues du secrétariat général de la Société des Nations, concernant la mise en application de l’article VII, quatrième alinéa, du Pacte, concordaient aujourd’hui, sur un grand nombre de points, avec sa propre manière de voir.
S’inspirant du résultat de nos échanges de vues, le Conseil fédéral nous a chargés et nous avons l’honneur de vous faire part des propositions suivantes, qui ont trait aux questions au sujet desquelles l’accord s’est établi. Ces propositions pourraient constituer la base d’un premier modus vivendi provisoire de la Société des Nations à Genève; ce règlement partiel, constamment revisable à la demande de l’une ou l’autre des Parties, serait facile à compléter dans la suite, à mesure que les points demeurés encore en suspens auront été réglés.
Voici les propositions dont il s’agit:
I. Personnel
Le personnel du secrétariat de la Société des Nations et du Bureau International du Travail bénéficiera des mêmes prérogatives et immunités que celles reconnues par le droit international et par la pratique au personnel des Missions diplomatiques; il sera, conséquemment, soumis à un régime analogue, mutatis mutandis, à celui appliqué aux membres des Missions diplomatiques accréditées auprès de la Confédération. Ce régime comporte la division du personnel en deux catégories distinctes, dont la situation diffère.
Le personnel de première catégorie (à Berne, le corps diplomatique et les chefs de chancellerie) comprendra, à Genève, les membres du personnel qui, par leur rang et leurs attributions, correspondent à des fonctionnaires publics. Ce personnel, dit «personnel exterritorial», sera, par assimilation avec le corps diplomatique à Berne, admis au bénéfice des prérogatives et immunités que la pratique synthétise sous le nom d’«exterritorialité» et qui sont les suivantes:
A. L’inviolabilité, dans l’acception technique que le droit international donne à ce mot.
B. L’exterritorialité, au sens précis et restreint de ce terme, soit la présomption en vertu de laquelle celui qui y a droit est censé conserver son domicile dans son pays d’origine.
C. L’immunité de juridiction civile et criminelle, telle qu’on l’entend en droit international.
En application, par analogie, de la coutume qui confère aux gouvernements le droit de demander, en tout temps, le rappel d’un diplomate dont l’attitude ou la conduite auraient laissé à désirer, le secrétaire général de la Société des Nations et le directeur du Bureau International du Travail, lorsque le Gouvernement fédéral leur aura signalé des cas semblables, les soumettront à un examen attentif et prendront à l’égard du fonctionnaire en cause des sanctions administratives qui iront éventuellement jusqu’au licenciement. Cette procédure sera, cela va de soi, sans préjudice des poursuites judiciaires à ouvrir en cas d’infraction. L’action judiciaire (sauf les exceptions prévues par le droit international) appartiendra aux organes du pays d’origine de l’intéressé. Si toutefois le secrétariat général ou le Bureau International du Travail renonçaient à l’immunité couvrant leur fonctionnaire, les tribunaux suisses, l’obstacle de l’exterritorialité étant levé, pourraient alors être saisis en application normale de leur procédure. Particulièrement dans les cas graves, la renonciation à l’immunité serait très désirable.
En matière civile également, si le fonctionnaire renonçait à se prévaloir de son exterritorialité, les tribunaux suisses retrouveraient leur compétence en tant que tribunaux du for du domicile de fait.
D. L’immunité fiscale, soit l’exonération des impôts directs personnels et des taxes somptuaires, des impôts généraux sur la fortune, soit sur le capital, soit sur le revenu et des décimes de guerre.
E. En matière de douane:
1°) Les hauts fonctionnaires que, par sa décision du 5 juillet 1921, le Conseil fédéral a, sous ce rapport, assimilés à des chefs de mission diplomatique bénéficieront de la franchise de douane pour tous objets destinés à leur usage personnel; ils seront, en outre, à l’égal des représentants diplomatiques à Berne, dispensés, en principe, de la visite douanière de leurs bagages.
2°) Le reste du personnel de première catégorie jouira des mêmes avantages que ceux accordés à l’ensemble du corps diplomatique à Berne par l’arrêté du Conseil fédéral du 8 octobre 1912 (entrée en franchise des effets neufs de première installation, etc.); la visite en douane des bagages de ce personnel sera, comme à l’égard du corps diplomatique, réduite au strict minimum.
F. Le personnel de première catégorie aura droit au visa diplomatique de ses passeports. Ce visa, délivré par la Division des Affaires étrangères du Département politique fédéral, est, soit simple, c’est-à-dire valable pour un seul voyage aller et retour, soit, sur demande, permanent, c’est-à-dire valable pour un nombre indéterminable de voyages aller et retour par toutes frontières, avec durée de validité pouvant aller jusqu’à un an. Le Visa diplomatique peut également être obtenu auprès d’une Légation de Suisse à l’étranger.
G. La femme et les enfants des fonctionnaires de la première catégorie partageront la condition du chef de famille, s’ils vivent avec lui et sont sans profession.
Le secrétariat général et le Bureau International du Travail établiront une liste nominative de leur personnel de première catégorie, indiquant la nationalité, les attributions et l’adresse de chaque fonctionnaire en mentionnant s’il est marié ou célibataire. Cette liste sera communiquée au Département politique fédéral, qui sera tenu régulièrement au courant des mutations; sur sa base, la Division des Affaires étrangères fournira aux intéressés des cartes d’identité, munies de la photographie du titulaire; ces cartes, contresignées par le secrétariat général ou le Bureau International du Travail, serviront à la légitimation du fonctionnaire à l’égard des autorités fédérales et cantonales; elles seront restituées en cas de départ définitif.
Le personnel de deuxième catégorie (non exterritorial) comprendra le reste du personnel officiel, soit le personnel technique et manuel, tous ceux, en d’autres termes, qui, sans être assimilables à des fonctionnaires publics, sont néanmoins engagés et salariés par la société des Nations et se trouvent au service exclusif de son secrétariat général ou du Bureau International du Travail. La situation de ce personnel sera la suivante:
A. Il bénéficiera d’une complète immunité pour les actes qu’il aura accomplis en sa qualité officielle et dans les limites de ses attributions. Il restera, par contre, soumis aux lois et à la juridiction locales pour les actes de sa vie privée. Au cas, toutefois, où des mesures judiciaires, de police ou autres, prises à l’égard d’un membre de ce personnel, seraient de nature à entraver la marche normale des services de la Société des Nations, le Département politique fédéral, à la demande du secrétariat général, attirera aussitôt sur ce fait l’attention de l’autorité compétente, qui en tiendra compte dans la mesure compatible avec l’ordre public.
B. Il sera dispensé de l’obligation de s’annoncer à la police locale et de déposer ses pièces de légitimation. Une liste nominative du personnel de deuxième catégorie, analogue à celle mentionnée plus haut à propos du personnel exterritorial, sera également fournie au Département politique fédéral par le secrétariat général et le Bureau International du travail. Sur la base de cet état, qui devra, comme celui du personnel de première catégorie, rester constamment à jour, des cartes d’identité, de couleur différente de celles du personnel exterritorial, seront délivrées aux intéressés par la Division des Affaires étrangères.
C. En matière fiscale, le personnel de deuxième catégorie sera, par application de l’arrêté fédéral du 28 septembre 1920 (article 18) et de l’arrêté du Conseil d’Etat du Canton de Genève du 14 juin 1921, exonéré:
1°) des taxes sur le revenu professionnel (traitements);
2°) de la taxe sur la fortune (pour autant, du moins, que le montant des revenus n’excédera pas celui du traitement);
3°) du paiement de l’impôt fédéral de guerre.
D. En matière de douane, le personnel de deuxième catégorie bénéficiera des mêmes facilités de visite que le personnel exterritorial. Il n’aura, par contre, et comme le personnel correspondant à Berne, droit à aucune franchise.
E. En matière de passeports, le personnel de deuxième catégorie recevra, comme à Berne, le personnel correspondant, le visa officiel (non diplomatique) de la Division des Affaires étrangères. De mêmes que le visa diplomatique, ce visa est, soit simple, soit permanent, avec même durée de la validité maximum.
F. La femme et les enfants des membres du personnel de deuxième catégorie partageront la condition du chef de famille, s’ils vivent avec lui et sont sans profession.
Les dispositions qui précèdent, tant celles relatives au personnel exterritorial que celles applicables au personnel de deuxième catégorie, ne concernent pas le personnel de nationalité suisse, dont la situation reste à régler.
Il y a lieu, toutefois, de mentionner dès à présent:
A. Que les ressortissants suisses, fonctionnaires ou employés de la Société des Nations, bénéficient de l’immunité de juridiction pour tous les actes qu’ils accomplissent en leur qualité officielle et dans la limite de leurs attributions;
B. Que ceux d’entre eux qui, par leurs fonctions, se rattachent à la première catégorie ont, s’ils se rendent en mission à l’étranger, droit à un passeport officiel du Conseil fédéral;
C. Qu’en application de l’arrêté du Conseil d’Etat du Canton de Genève du 14 juin 1921 ils sont exemptés, dans ce canton, du paiement de la taxe sur le revenu professionnel, pour les traitements qui leur sont alloués par la Société des Nations.
II. Locaux, archives et courriers
A. Les locaux dans lesquels les services de la Société des Nations (secrétariat général et Bureau International du Travail) sont établis (si ce sont des bâtiments entiers, ces bâtiments, y compris leurs jardins et dépendances) seront inviolables; par quoi il faut entendre que nul agent de l’autorité publique ne devra y pénétrer, pour un acte de ses fonctions, sans le consentement du secrétariat général ou du Bureau International du Travail.
B. Les archives de la Société des Nations seront inviolables.
C. En application par analogie du droit qu’ont les missions diplomatiques de correspondre librement avec leur gouvernement, le secrétariat général et le Bureau International du Travail auront le droit de faire usage de courriers de Cabinet pour la transmission de leur correspondance officielle à leurs agents à l’étranger (et vice-versa); on voudra bien se référer, à cet égard, à la correspondance échangée entre la Division des Affaires étrangères et le secrétariat général concernant les détails d’organisation du service de courriers Genève-Paris.
D. La Société des Nations bénéficiera d’une entière franchise de douane pour tous objets lui appartenant en propre (non à son personnel) et destinés à l’usage exclusif du secrétariat général ou du bureau International du Travail (mobilier des locaux, matériel et fournitures de bureau, etc.).
III. Personnalité internationale de la Société des Nations
Bien que l’article VII du Pacte de la Société des Nations n’ait trait qu’au personnel et aux locaux de la société, il y a lieu d’admettre qu’en application, sinon de la lettre, du moins de l’esprit du Pacte, la Société des Nations peut revendiquer, en sa faveur, la personnalité internationale et la capacité juridique, qu’elle a droit, en conséquence, à un statut analogue à celui d’un Etat. Il en ressort que la Société des Nations peut prétendre à la même indépendance à l’égard des organes administratifs et judiciaires suisses que les autres membres de la communauté internationale, en sorte qu’elle ne doit pas être actionnée devant les tribunaux suisses sans son consentement (abstraction faite des exceptions consacrées par le droit international, comme, par exemple, en matière d’actions réelles immobilières, etc...).
Toutefois, la Société des Nations, à la différence des autres personnes internationales, n’ayant, faute de territoire, pas de tribunaux à offrir, il en résulte qu’elle ne peut, à l’heure actuelle, être actionnée nulle part sans son consentement. Sans doute, la Société des Nations, par le fait que son siège est à Genève, peut dès aujourd’hui s’adresser aux tribunaux suisses, il lui suffit, à cet effet, de renoncer à se prévaloir de son exterritorialité; elle peut le faire, soit expressément, en se portant demanderesse, soit tacitement, en n’élevant pas le déclinatoire d’incompétence. Cependant, le Gouvernement suisse est de l’avis qu’il serait certainement préférable que la société, dans son intérêt même, ne se contentât pas de la compétence, pour elle aujourd’hui simplement facultative, des tribunaux suisses, et fît aussitôt que possible choix d’un for judiciaire général; ce choix pourrait d’ailleurs n’être que provisoire. Du moment où la Société des Nations a son siège à Genève, il semblerait naturel que l’élection de for fût faite dans cette ville.
La Société des Nations pouvant d’ores et déjà, si elle le désire, en appeler aux tribunaux suisses, le Gouvernement fédéral n’a, conséquemment, pas d’offres à faire sur ce point; il se borne à exprimer le vœu de connaître bientôt les propositions que le secrétariat général estimerait pouvoir formuler en vue de remédier à ce que la situation actuelle a d’anormal.
Dans l’attente des obligeantes communications que vous voudrez bien nous faire parvenir relativement à ce qui précède, nous saisissons cette occasion pour vous réitérer, Monsieur le Secrétaire général, l’assurance de notre haute considération.
Département politique fédéral.»
Ce règlement n’est encore que partiel, ne touchant que les points au sujet desquels il y a lieu d’admettre que la manière de voir du Département politique coïncide aujourd’hui avec celle du secrétariat général; il resterait révisable, de part et d’autre, en tout temps et pourrait être complété dans la suite, à mesure que les points demeurés en suspens auront été réglés.
Le régime proposé s’inspire d’une étroite analogie avec celui auquel les Missions diplomatiques à Berne sont soumises; comme ce dernier, il procède d’une interprétation stricte et plutôt restrictive des principes du droit et de la coutume internationale en matière d’exterritorialité.
Tout en traitant minutieusement la question du personnel, le Département politique laisse intentionnellement de côté celle du personnel de nationalité suisse, en faveur duquel le secrétariat général persiste à demander des prérogatives que le Département politique n’est pas disposé à reconnaître.
Le projet de modus vivendi distingue, comme à Berne, deux catégories de personnel, les fonctionnaires et les auxiliaires, les premiers seuls étant exterritoriaux et les seconds ne bénéficiant, outre l’immunité fiscale, que de certaines facilités.
Tout en reconnaissant à la Société des Nations elle-même la personnalité internationale et, d’une manière générale, une situation analogue à celle d’un Etat, le Département politique a beaucoup insisté pour obtenir que le secrétariat général se décide à faire élection de for général à Genève.
Conformément à la proposition du Département politique il est décidé:
a) d’accepter comme base du modus vivendi provisoire de la Société des Nations à Genève les principes énoncés dans le projet de lettre au secrétariat général de la Société des Nations;
b) d’autoriser le Département politique à formuler, sur cette base au nom du Conseil fédéral, des propositions d’accord au secrétariat général de la Société des Nations.2
- 1
- E 1004 1/280.↩
- 2
- Par lettre du 19 juillet 1921, le Département politique transmettait au Secrétariat général de la SdN la teneur du modus vi vendi proposé. Dans sa séance du 21 août 1922, le Conseil fédéral compléta l’arrangement, en faisant bénéficier les représentants des Etats auprès de la SdN, dont certains s’établissent à titre permanent; ceux-ci jouiront d’une situation analogue à celle faite, à Berne, au personnel des Missions diplomatiques (sans assimilation, toutefois, des représentants à des chefs de mission diplomatique) (E 1004 1/284, no 2185).↩