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Documents Diplomatiques Suisses, vol. 8, doc. 35
volume linkBern 1988
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
Cote d'archives | CH-BAR#E2001B#1000/1508#273* | |
Titre du dossier | Passage à travers la Suisse des troupes à destination de Vilna (1920–1923) | |
Référence archives | B.56.41.17.10 |
dodis.ch/44677
Je me suis permis de vous écrire, en date du 10 Février2, au sujet du passage des troupes de police pour la Lithuanie. Comme je pars pour Paris ce soir et que ne n’en reviendrai probablement qu’après la fin de la session du Conseil, je tiens à vous faire part, très brièvement, des dernières informations recueillies.
Ici, il se confirme de plus en plus que les Membres du Conseil seraient extrêmement irrités si le Gouvernement fédéral maintenait absolument son refus inconditionnel de laisser passer des troupes de police pour la Lithuanie. Il va sans dire que personne ne songerait à exercer sur la Suisse une pression directe, cependant, il est fort probable que l’on fera état, au Conseil même, et peut-être dans la presse, des déclarations verbales faites par M. Ador, à Londres, il y a un an3. Ces déclarations, en effet, ont été sténographiées, et donnent l’affirmation très nette que jamais notre pays ne songerait à se dérober aux devoirs de solidarité internationale lorsque leur accomplissement pourrait se concilier avec notre neutralité militaire. De plus, le Conseil, lors de sa prochaine session, doit nommer les Membres de plusieurs Commissions très importantes, en particulier, de celles du Blocus et des amendements au Pacte. Il n’est pas douteux qu’une attitude décidément intransigeante du Conseil fédéral sur la question du passage aurait pour effet d’exclure notre pays4 de toute participation aux travaux de ces Commissions. Enfin, je me permets de vous rappeler que, l’état d’esprit que créerait une pareille attitude du Gouvernement fédéral, serait naturellement exploité par tous les ennemis de la Suisse et ne pourrait que peser d’un poids fâcheux sur les diverses négociations politiques et économiques actuellement en cours.
Ce sont là des considérations tout à fait indépendantes de la Société des Nations et de notre situation dans cette Société. Si je prends la liberté de les rappeler ici, c’est qu’elles me paraissent de nature à frapper ceux-là mêmes de vos collègues qui n’auraient pas affirmé publiquement, avec autant d’éclat que vousmême, leur foi dans la Société des Nations et le désir de la Suisse de faire ce qui dépendrait d’elle pour collaborer à ses travaux et consolider ainsi l’ordre international nouveau.
Ces réflexions ne me sont dictées, ni même inspirées, par personne ici. Elles ne me sont suggérées que par ma conscience de Suisse désireux d’éviter à son pays la déconsidération et les difficultés qui, j’en suis convaincu, résulteraient pour lui d’un refus absolu de laisser passer la troupe de police pour la Lithuanie.
Je ne sais pas si cette expédition aura lieu. Si elle n’avait pas lieu, la Suisse n’aurait rien perdu à faire entrevoir son désir d’y collaborer dans la mesure modeste où on le lui demande. Si, d’autre part, l’expédition avait lieu, c’est qu’alors tous les Etats auraient été persuadés qu’elle ne présentait pas de danger appréciable au point de vue international. Dans ce cas, la Suisse ne se pardonnerait jamais d’avoir fait ce qui dépendait d’elle pour empêcher la Société des Nations d’exécuter une des tâches qui s’imposent le plus naturellement et le plus légitimement à elle.
En espérant que vous comprendrez le devoir auquel j’obéis en vous écrivant...
- 1
- Lettre: E 2001 (B) 8/27. Cette lettre porte l’entête de la SdN où Rappard est directeur de la commission des mandats. Motta a noté en tête du document: Donné communication au Conseil fédéral dans la séance du 15 février 1921. M. Dinichert a transmis cette lettre au professeur Huber pour son information 18.7.21.↩
- 2
- Cf. no 31.↩
- 3
- Cf. DDS 7/2, no 246. Par lettre du 15 février 1921, l’ancien Président de la Confédération, G. Ador, fait part de sa réaction à G. Motta: Vous permettrez à l’affection et à l’admiration que j’ai pour vous de vous dire en toute franchise combien je regrette la décision du Conseil fédéral. Dans la question de Vilna – après avoir tant reçu de la SdN, la Suisse avait, pour la première fois, l’occasion, sans rien compromettre de ses droits, de prouver qu’elle comprenait les devoirs de solidarité d’un membre de la SdN. – Nous avons à maintes reprises proclamé que nous acceptions loyalement ces obligations. – Je l’ai dit à Londres lorsque M. Balfour m’a interpellé pour savoir si la Suisse s’opposerait à la réunion de commissions militaires, au siège de la Société. Mon excellent collègue Max Huber se souviendra certainement de ce qui a été dit et reproduit dans les procès-verbaux du Conseil qui, m’a-t-on dit, sont toujours sténographiés. Grâce à votre belle attitude pendant l’Assemblée, la Suisse avait une excellente situation que le refus du Conseil fédéral dans l’affaire de Vilna risque de compromettre gravement. Je crains, entre autres, de voir à l’avenir la Suisse systématiquement exclue de toutes les commissions importantes que la Société des Nations aura à nommer ce qui ne sera certes pas dans l’intérêt de notre pays. Il me semble que tout devrait pouvoir encore s’arranger si on s’explique ouvertement à Paris. J’aurais voulu aller vous parler à Berne, mais j’en ai été empêché par un mauvais refroidissement qui m’oblige à garder la chambre. Excusez, je vous prie, ma franchise et recevez, mon cher collègue, ... (E 2001 (B) 8/27). Motta a communiqué cette lettre au Conseil fédéral dans sa séance du 16 février 1921. J’ai déjà répondu directement note-t-il en tête de la lettre, le 18 février 1921.↩
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Société des Nations
Affaire Vilna (1921)