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Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 8, doc. 32
volume linkBern 1988
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
Segnatura | CH-BAR#E2001B#1000/1508#273* | |
Titolo dossier | Passage à travers la Suisse des troupes à destination de Vilna (1920–1923) | |
Riferimento archivio | B.56.41.17.10 |
dodis.ch/44674
Il me paraît nécessaire de compléter les renseignements contenus dans mes télégrammes Nos 112, 123 et 134 sur l’impression produite dans les cercles de la Société des Nations par le refus de la Suisse de laisser passer sur son territoire les contingents internationaux chargés d’assurer la liberté du plébiscite dans la région contestée entre la Pologne et la Lithuanie.
11 doit être bien entendu que mes observations ne comportent pas la moindre critique de la décision prise par le Conseil fédéral5, décision que suffisent à justifier les conditions de notre politique intérieure et l’attitude du Parlement. Je cherche uniquement à vous orienter, en toute franchise et à teneur d’informations minutieusement vérifiées, sur la manière dont le problème lithuano-polonais est posé par le Conseil de la Société des Nations et sur les conséquences qu’entraîne pour lui cette position de la question. Je me propose donc de vous montrer pourquoi le Conseil de la Société des Nations ne se déclare pas convaincu par les arguments que le Chef du Département politique a fait valoir, dans sa réponse au colonel Brügger, pour justifier l’attitude adoptée par le Gouvernement fédéral.
Celui-ci estime que la déclaration obtenue par la Suisse à Londres6 la délie, en toutes circonstances, de l’obligation, résultant de l’article 16 du pacte, de laisser passer sur son territoire des troupes participant à une action commune pour faire respecter les engagements de la Société.
Le principe étant ainsi formulé, le Conseil fédéral motive, en l’espèce, sa réponse négative par les considérations suivantes:
1° La Lithuanie n’a pas accepté sans réserves la procédure proposée par le Conseil de la Société des Nations. Les réserves qu’elle a faites peuvent donner naissance à un conflit. Ce conflit peut transformer en opération de guerre le mandat de police pacifique confié aux contingents internationaux.
2° La Lithuanie voudrait obtenir le consentement de la Russie soviétique à la présence dans le territoire contesté des troupes commandées par le colonel Chardigny. Il y a donc lieu de redouter ces complications du côté des Soviets.
3° Le contingent international et plus spécialement les détachements belge et britannique disposent de routes plus directes pour se rendre à leur destination.
Voici maintenant la manière de voir du Conseil de la Société des Nations. Il ne conteste pas, me semble-t-il, le droit strict de la Suisse de refuser le passage en invoquant la déclaration de Londres. Cette opinion est aussi celle du Quai d’Orsay.
En revanche, la solution adoptée en l’espèce par le gouvernement fédéral est considérée comme très regrettable. Dans l’entourage de M. Bourgeois et des deux autres membres du Comité spécial qui traite la question polono-lithuanienne (MM. Quinones de Leon, ambassadeur d’Espagne, et Ishii, ambassadeur du Japon), on est tenté d’attribuer notre attitude ou bien à un accès de mauvaise volonté ou bien à une connaissance incomplète des éléments actuels du problème.
Le 5 courant, alors que la réponse de la Suisse à la demande de M. Allizé (mandataire de la Société des Nations, agissant à la requête du maréchal Foch à qui celle-ci avait confié le soin d’organiser le transport des troupes) n’était pas encore parvenue à la connaissance de M. Léon Bourgeois et de ses collègues, ces messieurs tinrent une importante délibération.
M. Bourgeois résuma ainsi la situation:
Les deux parties acceptent la consultation populaire. La Pologne la veut «rapide», la Lithuanie «équitable». Il n’y a pas contradiction entre ces deux termes.
La Lithuanie demande l’évacuation par Zeligowski du territoire contesté. La Pologne la promet. Il a montré lui-même (Bourgeois) au maréchal Pilsudski que Zeligowskidevait quitter Vilna au plus vite.
La Lithuanie demande que la zone contestée ne continue pas à être administrée par les Polonais. La Pologne a promis d’accepter l’établissement d’une administration provisoire purement locale. «J’attache (c’est Bourgeois qui parle) beaucoup d’importance à cet engagement et nous veillerons à ce qu’il soit tenu».
La Lithuanie voudrait qu’on la garantisse contre un coup d’état ou une incursion polonaise après le plébiscite». Si le résultat de la consultation est défavorable à la Pologne, nous devons admettre que le Gouvernement de Varsovie s’inclinera. S’il se rebellait, c’est entre lui et nous que s’ouvrirait le conflit».
La Lithuanie se plaint de n’avoir pas été reconnue de jure. Personnellement, M. Bourgeois regrette qu’elle ne l’ait pas été, mais il n’appartient pas au Conseil de la Société des Nations de traiter cette question, on peut répondre aux Lithuaniens que le Conseil de la Société des Nations recommandera au Conseil suprême de reconnaître leur pays et que leur acceptation de la procédure prescrite par la S.d.N. pour le règlement pacifique de leur conflit avec la Pologne fera disparaître le dernier obstacle à cette reconnaissance.
M. Quinones de Leon fit observer que, si l’on pouvait donner de telles assurances à la Lithuanie, cela permettrait aux Puissances de l’inviter, à ne plus jouer comme elle l’a fait de l’opposition des Bolcheviks.
M. Bourgeois ajouta que, d’après le colonel Chardigny, cette opposition ne se produirait pas et que, d’après les renseignements recueillis par le Quai d’Orsay, les Bolcheviks démobilisent de tous côtés, tantôt volontairement tantôt parce que leurs troupes se débandent.
Conformément aux décisions prises dans la réunion du 5 février dont je vous résume ci-dessus les débats, le Comité restreint du Conseil de la Société des Nations notifie aux gouvernements polonais et lithuanien qu’ayant confronté leurs déclarations, il est décidé à assurer à la consultation populaire les conditions les plus équitables, que la date de l’arrivée des troupes internationales sera fixée comme le demande le Gouvernement polonais et qu’à cette date, comme le cabinet de Varsovie le promet, le général Zeligowski doit disparaître; enfin, qu’une administration locale sera établie pour la durée du plébiscite.
Le maréchal Foch et le colonel Chardigny ont été respectivement invités à faire connaître la date de l’arrivée des troupes et à fournir un programme d’évacuation par les forces de Zeligowski. On a en même temps demandé à la commission civile qui se trouve en Lithuanie d’établir et de communiquer le plan et le calendrier de la consultation. Les Lithuaniens ont en outre été avisés de la démarche que le Conseil de la Société des Nations est disposé à faire auprès du Conseil suprême pour les aider à obtenir leur reconnaissance de jure.
Dans cette même réunion du 5 courant, M. Bourgeois a parlé à ses collègues de l’éventualité d’un refus de la Suisse d’autoriser le passage des soldats de Chardigny, éventualité qu’une conversation entre M. Allizé et M. Motta faisait entrevoir comme possible et même probable. «Je m’en suis entretenu, a-t-il dit, avec le maréchal Foch, qui m’a dit: Ce serait inouï».
M. Bourgeois ajouta:
«Si la question est officiellement posée et le refus officiellement maintenu, nous nous trouverons dans une situation embarrassante. La voie de mer présente des inconvénients que le maréchal désire éviter. Celle de l’Italie est longue.»
Ses collègues furent d’accord avec lui pour reconnaître qu’on ne pouvait pas songer à un passage par l’Allemagne, car ce serait s’exposer soit à un refus extrêmement fâcheux pour la Société soit à un consentement intéressé que les Allemands entendraient se faire payer.
M. Bourgeois observa encore, et ses interlocuteurs se rallièrent à sa proposition, que, dès que l’Ambassadeur de France aurait fait connaître officiellement au Conseil de la Société des Nations la position prise par le Gouvernement fédéral, le Secrétariat général de la Société devrait demander à Berne des éclaircissements et réfuter les arguments invoqués par la Suisse. «Celle-ci, dit-il encore, se placerait, en refusant, dans une situation difficile et rendrait malaisé à la Société des Nations le maintien de son siège à Genève (sic)».
Depuis que la décision du Gouvernement fédéral est connue, le comité Bourgeois-Quinonès-Ishii a tenu une nouvelle séance. Ces messieurs se montrent très vexés d’avoir appris par la presse et sous la forme d’un compte rendu de débat parlementaire, le refus de la Suisse, refus qui, d’ailleurs, les surprend d’autant plus que, depuis les déclarations faites à Paris par le maréchal Pilsudski et le Prince Sapiehai, ils considèrent que la Pologne et la Lithuanie sont parfaitement d’accord sur la procédure du plébiscite. Ils parlent même de ne pas se réunir à Genève le 21 courant comme ils en avaient le projet et de choisir un autre lieu de rendezvous.
Tout cela m’est confirmé au Quai d’Orsay par M. Peretti de la Rocca, directeur politique, qui m’a prié d’aller le voir pour me parler de cet incident, à titre personnel.
Le Quai d’Orsay, cependant, tient à préciser qu’il ne s’agit pas d’une affaire franco-suisse, mais d’un différend entre la Suisse et le Conseil de la Société des Nations. Il rappelle à ce sujet à la suite de quelles circonstances c’est l’Ambassadeur de France qui a été chargé de sonder le gouvernement fédéral. C’est le 29 novembre dernier que M. Hymans, au nom de la Société des Nations, s’adressa à M. Leygues, ministre des Affaires étrangères de France, et, par une lettre officielle, pria la France d’assurer le transport des contingents et d’entreprendre les démarches nécessaires auprès des Etats dont le territoire pourrait être utilisé pour ce transport. Le mandat fut confié par le Quai d’Orsay à l’état-major interallié du maréchal Foch pour les questions techniques et aux agents diplomatiques français dans les pays entrant en ligne de compte.
Quant aux objections que l’on fait ici à la décision de la Suisse, tant dans les milieux diplomatiques que dans l’entourage des membres du conseil de la S.d.N., elles peuvent se résumer ainsi, à teneur des informations recueillies de divers côtés:
1° La Confédération a été admise dans la Ligue à des conditions de faveur et avec des réserves qui n’ont été consenties à aucun autre Etat; elle a obtenu le privilège d’avoir à Genève le siège de la Société. Or, la première fois que la Société lui demande un service, elle se dérobe.
2° Le caractère pacifique de l’expédition Chardigny ne saurait faire aucun doute, surtout depuis que l’accord entre la Lithuanie et la Pologne sur la procédure du plébiscite peut être considéré comme parfait. Le contingent international comprend des troupes appartenant à des pays neutres. Tous les Etats sollicités de laisser passer ces troupes et, en particulier, l’Autriche qui vient à peine d’être reçue dans la Société des Nations, ont accordé le passage. Seule la Suisse refuse.
3° Les Lithuaniens n’ont jamais fait opposition à la présence des forces internationales dans le territoire contesté, où ces forces doivent remplacer celles de Zeligowski. Ils ont seulement exprimé la crainte que le détachement ne soit pas assez nombreux pour remplir efficacement sa mission. Cette crainte est d’ailleurs considérée comme sans fondement par les experts militaires.
4° Aucune complication n’est à redouter du côté des Soviets, dont le territoire, en vertu des préliminaires de paix de Riga, n’est plus limitrophe du territoire contesté mais d’une zone acquise définitivement à la Pologne.
5° Le refus de la Suisse, sans parler des difficultés techniques très sérieuses qu’il cause à la Société des Nations, constitue pour elle un échec moral fort pénible. L’opinion suisse ayant témoigné un vif intérêt à la Société, celle-ci pouvait s’attendre à trouver plus de confiance et de bonne volonté auprès des autorités fédérales. Elle espérait que la Suisse l’aiderait à exécuter une mesure si pleinement conforme à l’esprit du Pacte et si importante pour la consolidation de la paix dans le monde.
Je dois vous signaler en outre que les commentaires de notre presse sur l’incident et, en particulier, ceux de la «Suisse» et de la «Gazette de Lausanne» ont causé quelque humeur aux membres du Conseil et du Secrétariat général actuellement présents à Paris.
Encore une fois, mon but n’est que de vous renseigner. Les notes qui précèdent sont destinées à votre information personnelle et je ne voudrais pas que leur divulgation pût découvrir mes informateurs.
Il me paraît cependant nécessaire d’ajouter en terminant que, si j’avais été tenu au courant des ouvertures de M. Allizé, il m’eût été possible de vous fournir certaines indications qui, sans prétendre peser en rien sur les décisions du Conseil fédéral, n’eussent peut-être point été inutiles.
De nouveaux renseignements reçus ce matin me portent à croire que l’émotion produite par le refus de la Suisse tend déjà à se calmer. Le comité Bourgeois- Quinonès-Ishii, considérant d’une part que sa tâche dans l’affaire polono-lithuanienne est terminée, d’autre part qu’il appartient au Conseil de la Société des Nations de prendre connaissance du différend, a décidé de porter la question devant le Conseil. Il est probable que celui-ci se réunira le 21 février à Paris et non à Genève, mais on affirme aujourd’hui (!) que ce changement de lieu est dû uniquement à des motifs de commodité pratique et ne doit aucunement être attribué à l’incident relatif au passage des troupes.
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Affare Vilnius (1921)