Classement thématique série 1848–1945:
I. LA SUISSE ET LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-II, doc. 223
volume linkBern 1984
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E1001#1000/6#42* | |
Dossier title | Anträge des Eidg. Politischen Departementes Januar bis Juni 1920 (1920–1920) | |
File reference archive | 1.2 |
dodis.ch/44434
[...]2 II découle de cette situation que la Suisse, si elle veut en tout état de cause conserver les avantages d’un Etat originaire, doit présenter sa déclaration au plus tard le 10 mars. Or, comme une déclaration sous réserve du vote populaire ne serait point, d’après la thèse du Conseil suprême, à considérer comme juridiquement suffisante, il s’en suit que la Suisse serait tenue à provoquer le vote populaire avant le 10 mars. Le dernier jour utile pour un scrutin populaire serait le dimanche 7 mars. Mais ici surgit une autre difficulté très grave. L’arrêté de l’Assemblée fédérale, en date du 21 novembre3, ne permet pas au Conseil fédéral d’ordonner le scrutin populaire avant que toutes les cinq grandes Puissances n’aient fait la déclaration d’accession formelle à la Société des Nations. Or, si quatre des grandes Puissances ont déjà fait acte définitif d’accession, la cinquième, les Etats-Unis, non seulement n’a encore pris aucune décision, mais laisse subsister l’incertitude la plus absolue soit sur le temps soit sur le fait luimême de l’accession.
La Suisse risque ainsi de se trouver dans la situation de pouvoir faire la déclaration d’accession dans le délai de deux mois sur la base du vote de l’Assemblée fédérale, mais de ne pouvoir provoquer le scrutin populaire dans le délai utile et de perdre ainsi les avantages reconnus aux Etats appelés comme membres originaires.
Mais même si les Etats-Unis se décidaient, d’ici à quelques jours, à entrer dans la Société des Nations et que le Conseil fédéral se trouvât ainsi dans la possibilité matérielle d’ordonner le scrutin populaire pour le dimanche 7 mars, il faut admettre que la réserve d’examen formulée par le Conseil suprême au sujet de la neutralité perpétuelle de la Suisse laisserait planer sur le vote populaire un malaise et une incertitude dangereuse. Il n’est point téméraire de dire que ce malaise et cette incertitude donneraient aux adversaires de la Société des Nations en Suisse un argument d’une force décisive. Il nous paraît donc que le Conseil fédéral ne peut pas demeurer sous le coup de la réponse du Conseil suprême et qu’il doit engager immédiatement une action diplomatique des plus énergiques pour rechercher et atteindre un double résultat. Le premier résultat à atteindre est de faire comprendre au Conseil suprême ou, si celui-ci se dissolvait, à son héritier naturel, le Conseil de la Société des Nations, qu’en demandant à la Suisse de faire voter le peuple avant le 10 mars, on lui demande une chose politiquement impossible et, dans tous les cas, extrêmement dangereuse à l’issue affirmative du vote. La Suisse doit donc préciser encore une fois son point de vue et sa situation et faire toutes ses réserves. Il ne sera probablement pas possible d’obtenir que le Conseil suprême revienne expressément sur sa thèse et reconnaisse le bien-fondé de la nôtre; ce serait lui demander un désaveu; il suffira, à notre avis, d’avoir une adhésion tacite ou de tolérance à l’opinion suisse. Le deuxième résultat, – de beaucoup le plus important, parce qu’il touche à un point vital, tant pour l’issue du vote populaire que, et avant tout, pour les destinées futures de la Suisse, – le deuxième résultat à atteindre est d’obtenir du Conseil suprême une reconnaissance explicite de la thèse suisse sur la question de la neutralité perpétuelle. Nous avions cru jusqu’à ce jour que les assurances verbales données l’année passée par Wilson, Clemenceau, Poincaré, Lord Robert Cecil et d’autres à nos représentants, Messieurs Ador, Calonder, Huber, Rappard et surtout la teneur et la genèse de l’art. 435 du Traité de Paix négocié dans le but très précis de faire reconnaître notre neutralité comme une institution pleinement compatible avec les dispositions du Pacte de la Ligue des Nations, nous avions cru que les assurances verbales et l’art. 435 avaient dissipé tout doute sur la question de la neutralité. La réserve d’examen formulée par le Conseil suprême nous oblige à insister pour que pleine clarté soit faite. L’opinion publique ne comprendrait pas que cette réserve d’examen ayant été formulée, nous ne fassions pas un effort immédiat et nécessaire pour faire résoudre la réserve dans le sens de notre droit, de notre vœu et de notre intérêt.
Le Département politique est d’avis que l’action diplomatique à engager doit d’abord l’être par écrit et qu’elle doit consister dans l’envoi d’une note ou d’un mémorandum au Conseil suprême. Cette note exposerait encore une fois la thèse suisse tant dans la question du délai des deux mois que, et surtout, dans la question de la neutralité. Elle demanderait que le Conseil suprême reconnaisse expressément notre interprétation des art. 21 et 435 du Traité. Elle serait communiquée en même temps à tous les Etats qui ont reçu communication de l’aidemémoire du 6 décembre 1919.
Mais la note écrite ne nous paraîtrait pas suffire. L’importance vitale des intérêts en jeu commande l’envoi d’une mission spéciale à Paris. La note déclarerait que nous nous tenons prêts à envoyer des délégués à Paris et nous chargerions notre Ministre à Paris de faire savoir au Président du Conseil suprême qu’il nous serait agréable d’être entendus verbalement. Nous ne pensons pas que dans la phase actuelle de la question il faille songer à envoyer à Paris une délégation dont feraient partie un ou plusieurs membres du Conseil fédéral. Il est vrai que l’année passée le Président de la Confédération, M. Ador, et le Chef du Département politique, M. Calonder, allèrent en mission à Paris et négocièrent avec les représentants des grandes Puissances dans la question de la Ligue et dans celle de notre neutralité. Les questions qu’il s’agirait de tirer maintenant au clair ne sont pas moins importantes et moins délicates que celles qui exigèrent, l’année passée, la présence de membres du Conseil fédéral à Paris. Mais, à part que l’envoi de conseillers fédéraux en mission officielle à l’étranger doit garder, à notre avis, le caractère d’un fait exceptionnel et extraordinaire, il ne nous paraît pas qu’il serait conforme aux intérêts supérieurs de l’Etat et au prestige de son Gouvernement de déléguer maintenant à Paris soit le Président de la Confédération soit un autre membre du Conseil fédéral au risque, – que nous ne considérons nullement comme probable mais qui n’est point absolument exclu – d’essuyer un échec diplomatique des plus graves.
Nous estimons que le Chef de la mission à nommer est naturellement désigné par les circonstances: c’est M. Gustave Ador, ancien Président de la Confédération. Grâce à son prestige, grâce au fait qu’il est parfaitement au courant de toutes les négociations déjà intervenues, il est indiqué comme aucun autre pour présider et diriger la mission dont il s’agit. Nous voudrions lui ajouter comme collaborateurs deux experts juridiques: l’un est également désigné par les circonstances, c’est M. le prof. Max Huber; l’autre que nous voudrions proposer, est M. le prof. Charles Borgeaud qui est, comme M. Huber, un spécialiste éminent dans toutes les questions touchant à notre neutralité et qui connaît d’ailleurs parfaitement aussi les questions se rattachant à la Société des Nations. [...]4
- 1
- E 1001 1 Anträge EPD/1920.↩
- 2
- Dans une première partie, la proposition résume l’aide-mémoire du Conseil fédéral du 6 décembre (cf. no 180), la note de la Conférence de la Paix du 2 janvier (cf. no 211) et la note de Clemenceau du 10 janvier (cf. no 220).↩
- 3
- Cf. no 168.↩
- 4
- Sur la base de cette proposition, le Conseil fédéral décidait dans sa séance du 13 janvier: 1. de transmettre au Conseil suprême ou, si celui-ci avait déjà fait place dans l’intervalle de temps, au Conseil de la Société des Nations, à ce dernier, la note diplomatique ou mémorandum en français dont les textes définitifs, français et allemand, ont la teneur suivante: [cf. no 228]; 2. de charger le Département politique de publier l’aide-mémoire du 6 décembre 1919, la note du Conseil suprême et le mémorandum du Conseil fédéral dès que ce dernier aura été remis à sa destination; 3. de communiquer le mémorandum à tous les Etats qui ont reçu communication de l’aidemémoire du 6 décembre 1919; 4. d’envoyer une mission diplomatique spéciale à Paris, chargée d’exposer les vues du Conseil fédéral sur les différents points à élucider, et de nommer membres de cette mission Messieurs Gustave Ador, ancien Président de la Confédération, et le professeur Max Huber, sous réserve d’une augmentation des membres de la mission. (E 1004 1/274 no 142).↩
Tags