Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES ET LA VIE DES ETATS
II.13 ROUMANIE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-II, doc. 130
volume linkBern 1984
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dodis.ch/44341
Le Ministre de Suisse à Bucarest, G. Boissier, au Chef du Département de l’Economie publique, E. Schulthess1
Dans mon dernier rapport du 22 de ce mois2 je vous rendais compte d’un entretien avec M. Kiriacesco, ancien Ministre des Finances et actuellement Directeur de le Banque nationale, qui m’avait promis de voir différents ministres anciens et actuels pour les intéresser à la conclusion de l’arrangement financier et commercial qui avait fait l’objet de la récente visite à Bucarest de la délégation suisse.
M. Kiriacesco est venu me voir hier et m’a déclaré qu’après s’être entretenu de cette question avec différents membres de l’ancien et du nouveau cabinet, il avait l’impression très nette que la personnalité de M. Baicoiano n’était pas étrangère aux atermoiements dont je me plaignais, qu’il n’était plus persona grata tout au moins pour la mission dont il s’agit, qu’il manquait de décision et ne serait pas capable, même muni de pleins pouvoirs, de négocier définitivement un arrangement de ce genre, bref que le Gouvernement actuel ne paraissait pas disposé à l’envoyer lui à Berne et que c’était une des principales raisons pour lesquelles il traînait les choses en longueur.
M. Kiriacesco a ajouté à titre d’opinion personnelle, qui est aussi la mienne, que le Gouvernement transitoire qui va déposer son mandat de suite après les élections (celles-ci sont encore annoncées pour le 2 novembre à moins d’un nouvel ajournement de la dernière heure) et qui n’est préoccupé que de politique intérieure n’avait ni le loisir, ni le désir de prendre une décision ferme au sujet des exportations. Il a conclu notre entretien, sur le conseil d’un membre très influent du parti dans toutes les questions économiques, en nous engageant à renvoyer des délégués à Bucarest avec les pleins pouvoirs nécessaires pour signer et conclure l’arrangement dont il s’agit ici.
Bien que cette proposition ne fût qu’officieuse et que je n’eusse pas d’autres instructions de votre part, que notre échange de correspondances de l’été dernier, je m’y suis formellement opposé en alléguant que M. Baicoiano s’était présenté à différentes reprises dans le courant de l’année chez moi en offrant de se rendre à Berne, qu’après différents pourparlers vous aviez décidé d’envoyer à Bucarest une mission d’information, mais que vous aviez stipulé que l’accord devrait être conclu à Berne tout en acceptant que Baicoiano y fût délégué à cet effet et qu’il était inadmissible que le Gouvernement roumain qui après tout nous avait sollicités le premier changeât actuellement d’idée en nous demandant de renvoyer des délégués à Bucarest avec mission de conclure; que j’avais d’ailleurs lieu d’être très surpris de l’attitude de M. Baicoiano qui n’avait pas l’air de se rendre compte de la situation qu’occupait dans notre pays le Haut Conseil fédéral et qui en avait agi bien à son aise en venant me prier trois fois de suite pour des motifs plus ou moins plausibles de contremander son arrivée à Berne, dont il avait lui-même fixé la date; qu’au surplus puisque j’apprenais maintenant que le Gouvernement roumain ne paraissait pas disposé à donner des pleins pourvoirs à M. Baicoiano, j’avais l’impression qu’à Berne on ne serait pas autrement déçu de voir arriver un autre délégué à sa place, mais que de toute façon c’était à Berne et non à Bucarest que l’arrangement devrait se conclure, si la Roumanie en avait toujours le désir.
Les relations personnelles que j’entretiens avec M. Kiriacesco m’ont permis de lui parler à cœur ouvert et sur un ton peut-être plus énergique que celui que j’aurais employé avec un membre du Gouvernement. Mon interlocuteur m’a répondu qu’il comprenait parfaitement mes arguments et qu’il allait faire savoir à ses mandants qu’il n’était pas question de revenir sur le choix qui avait été consenti du lieu des négociations.
A la suite de cet entretien, je me suis rendu à nouveau aujourd’hui chez le Ministre des Affaires étrangères, M. Mi§u, pour lui demander le résultat des entretiens qu’il m’avait promis la semaine dernière de solliciter au sujet de cette affaire avec le Président du Conseil et les Ministres intéressés.
M. Mi§u m’a répondu qu’il avait en effet entretenu ses collègues de la question, mais qu’il avait l’impression que le Gouvernement actuel débordé par le souci des élections et la politique intérieure n’avait ni le temps, ni le désir de vouer toute l’attention qu’il méritait au projet dont il s’agit, mais que cependant il ne voyait pas d’autres raisons au renvoi de sa conclusion que le manque de confiance, ou plutôt le manque d’enthousiasme, au choix de M. Baicoiano, comme délégué. J’ai répondu que si c’était en effet la seule raison, il ne devait pas y avoir de difficultés à désigner quelqu’un d’autre à sa place et que je me permettais de lui signaler M. Kiriacesco, qui par sa situation d’ancien Ministre des Finances mêlé aux premières négociations me paraîtrait tout indiqué pour les mener à bien. M. Mi§u ne m’ayant pas parlé de l’éventualité soulevée par M. Kiriacesco de changer le lieu des négociations, je lui ai fait part incidemment des échos qui m’étaient revenus indirectement à ce sujet dans les intentions du Gouvernement et lui ai fait valoir en quelques mots plus modérés les arguments que j’avais soumis à mon interlocuteur d’hier. Il m’a aussitôt déclaré spontanément qu’il ne pouvait pas être question de transférer le lieu des négociations à Bucarest alors que vous aviez stipulé que celles-ci auraient lieu à Berne et que l’hésitation ne pouvait porter que sur le choix du délégué. Je l’ai quitté sur sa promesse de s’intéresser de nouveau à cette affaire et de me faire connaître dans le plus bref délai la décision du Gouvernement. Je lui ai fait remarquer en outre que, si j’insistais pour avoir une réponse bien qu’encore une fois ce fût le Gouvernement roumain qui nous avait sollicités et non pas nous, c’est que par le fait de ses ouvertures nous avions probablement suspendu une partie de nos marchés à conclure en vue de notre approvisionnement en céréales, et que nous ne pouvions pas y surseoir indéfiniment.
Tel est aujourd’hui l’état de la question qui m’a fait constater une fois de plus que dans ce pays-ci il faut beaucoup de patience pour aboutir et que des entretiens verbaux n’ont pas la même portée que dans d’autres pays. Il est à souhaiter que, lorsque le pays sera rentré dans l’ordre, que les Chambres seront élues et que le nouveau Gouvernement issu de la volonté populaire sera constitué, ce dernier sera plus stable, que les luttes politiques ne seront plus la seule préoccupation des Gouvernements et que les affaires pourront être reprises dans des conditions plus normales. La dernière crise ministérielle est sans doute venue très mal à propos pour la réalisation de nos projets; si la délégation suisse était arrivée un mois plus tôt, l’arrangement en question aurait pu être conclu depuis longtemps, mais ni vous ni moi ne pouvions prévoir que cette crise, dont on parlait depuis le début de juin, éclaterait le lendemain du départ de notre délégation. [, ..]3