Classement thématique série 1848–1945:
I. LA SUISSE ET LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
Également: Compte rendu des travaux et décisions du Comité d’organisation de la future Conférence internationale du Travail. Choix d’une date pour ladite Conférence. Conditions de la participation de l’Allemagne à cette Conférence. Désignation des huit Etats de la plus haute importance industrielle. Annexe de 5.8.1919
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 7-II, doc. 36
volume linkBern 1984
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Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
Segnatura | CH-BAR#E2001B#1000/1501#3083* | |
Titolo dossier | Friedenskonferenz, Rapports de Mr. Rappard (1919–1919) | |
Riferimento archivio | B.56.221.05 |
dodis.ch/44247
J’ai eu l’honneur de vous transmettre en date du 3 août la dépêche que voici:
«Rappard avise que Puissances paraissent unanimes à admettre Allemagne à Organisation Travail après conférence Washington, qui statuera. Pour Anglais et Américains cette admission aurait caractère conditionnel et temporaire jusqu’à accession Allemagne à Société des Nations. Pour Français et probablement Italiens et Belges article 387 Traité Paix n’exclut pas adhésion régulière Organisation Travail sans accession Société Nations. Sur second point votre télégramme informations suivront après entrevue Cecil, House, Drummond, mardi. Prière aviser famille mon retour retardé jusqu‘à vendredi matin.»
J’espère que cette dépêche se sera expliquée d’elle-même. Le rapport que j’adresse à M.le Conseiller fédéral Schulthess2 et dont je me permets de vous transmettre ci-incluse une copie la complétera en tous cas.
Je viens d’avoir les conversations annoncées dans cette dépêche. Vu leur importance et quoiqu’elles aient porté essentiellement sur les mêmes points, je me propose de vous en rendre compte successivement aussi fidèlement que possible.
Je vis d’abord pendant un quart d’heure Lord RobertCecil, qui est installé à Sunderland House, au siège provisoire de la Société des Nations. Il se plaignait de ce que le service de presse de la Société des Nations était encore insuffisamment organisé et qu’il se trouvait ainsi privé des informations nécessaires.
Lord Robert admet que, si le Gouvernement suisse signifie son accession à la Société des Nations dans les deux mois qui suivront son entrée en vigueur, rien ne s’opposerait à ce que la ratification populaire reste réservée. Il nous engage simplement à formuler la déclaration d’adhésion sans y prononcer le mot de «réserve», mais il admet qu’en fait la votation populaire intervenant après la fin des deux mois pourrait déterminer la sortie immédiate de la Suisse de la Société des Nations. Je demandai à Lord RobertCecil s’il estimait utile pour la Suisse d’imiter certains des autres Pays neutres, en signifiant déjà maintenant son désir d’adhésion. Il m’a répondu que l’Espagne et certains Etats de l’Amériquedu Sud, dont il avait oublié les noms, avaient en effet annoncé déjà leur intention d’entrer dans la Société des Nations. Il croyait que la Norvège se disposait actuellement à une démarche analogue. Pour la Suisse, ajouta-t-il, je vous propose de m’écrire en votre nom personnel une lettre où vous me déclarez que l’intention du Gouvernement fédéral est d’obtenir l’adhésion de la Suisse. Je ne ferai, poursuivit-il, aucun usage de cette lettre, à moins que les adversaires de Genève dans mon entourage proposent de nouveau de déplacer le siège de la Société des Nations. Je compte écrire cette lettre dès demain et je me permettrai d’en inclure copie.3
Au sujet du contact à établir entre les organes de la Société des Nations et le Gouvernement fédéral, il me proposa d’avoir recours aux services du Ministre de Suisse à Londres, avec lequel il entretenait les meilleurs rapports.
Lord RobertCecil ignorait la déclaration de Pichon, à laquelle vous avez fait allusion dans la dépêche qui m’a été transmise.4 Pour ce qui me concerne, dit-il, je ne vois pas du tout sur quel texte M. Pichon pouvait s’appuyer pour déclarer nécessaire une unanimité quelconque. Peut-être, ajouta-t-il, s’est-il dit quelque chose à ce sujet au Conseil des Quatre, mais je ne le crois pas et, pour ma part, je ne tiendrai aucun compte des déclarations de M. Pichon. Je suis tout à fait persuadé, poursuivit-il, que l’Allemagnesera admise dans la Société des Nations avant la fin de l’année 1920.5 Je voudrais que la première assemblée des délégués ne se réunît pas à Washington avant le printemps prochain, car, à ce moment-là, je crois que les esprits seront mûrs pour voter l’admission de l’Allemagne. Ils ne le seraient peut-être pas encore cet automne, quoique le sentiment au sujet d’une prochaine admission de l’Allemagne ait déjà beaucoup changé en Angleterre et qu’en France aussi l’opposition commence à fléchir.
Quant à Y Autriche, Lord Robert estime que son admission immédiate s’impose et il ne doute pas qu’elle ne soit accordée. Il serait personnellement d’avis d’ajourner quelque peu l’admission de la Hongrie jusqu’à ce que la stabilité gouvernementale y soit mieux assurée.
Quant à la participation d’un Suisse à l’un des Services du Secrétariat de la Société des Nations, Cecil m’engage à en parler à Drummond. Je reviendrai plus longuement sur ce sujet plus bas.
J’ai abordé, conformément à vos instructions, le sujet de la neutralité avec Lord RobertCecil. Dès que je prononçai le mot, il s’écria en riant: Vous savez que je déplore que l’habileté du Gouvernement fédéral ait trompé ma vigilance. Jamais je n’aurais consenti à la concession qui vous a été faite. Mais, ajouta-t-il, Drummond, qui a étudié la question, me déclare que votre neutralité a été effectivement et efficacement sauvegardée dans le Traité de Paix. Cela ne s’étend naturellement, ajouta-t-il, qu’à la neutralité militaire et non pas à la neutralité économique. Comme Lord Robert se déclarait si franchement hostile à notre neutralité, je crus bien faire en n’insistant pas davantage. J’eus d’ailleurs la même intuition en parlant avec House et avec Drummond. Je ne reviens donc pas à cette question plus bas.
Au sujet du danger que le procès de l’empereur ne puisse avoir lieu à Genève, Cecil me dit qu’il n’avait jamais entendu parler d’un projet pareil. Il espérait que ce procès n’aurait pas lieu du tout. J’appris de plus par Lord Robert que le Conseil de la Société des Nations se réunirait officiellement dès la ratification du Traité de Paix par trois des grandes Puissances alliées. Jusqu’à ce que tous les Etats alliés aient ratifié le Traité, les représentants des Etats ratifiants auront seuls droit de vote au Conseil.
J’ai retiré de ma conversation avec Lord RobertCecil le sentiment très net que les nuages qui avaient temporairement assombri le ciel helvétique à ses yeux s’étaient complètement dissipés. Je suis heureux de pouvoir vous confirmer très catégoriquement la même impression que je retirai tout aussi nette de mes conversations avec le Colonel House et avec Sir Eric Drummond.
Le Colonel House, que j’ai vu à son hôtel cet après-midi, mit tout de suite la conversation sur le terrain des documents dont nous demandions la publication.6 Il avait été prévenu de notre désir par M. Stovall, mais il n’avait pas vu les documents en question. Je les lui soumis, il les lut attentivement en ma présence et m’autorisa à vous informer que le Gouvernement américain n’aurait aucune objection à leur publication. Je vous transmets cette nouvelle par dépêche, conformément à votre désir.
Au sujet de la ratification populaire de la décision du Conseil fédéra Irelatiwe à l’accession de la Suisse à la Société des Nations, House fut du même avis que Cecil. Nous désirons la participation des Neutres et nous les aimons d’autant mieux que leurs institutions sont plus démocratiques. Nous ne saurions donc faire de difficultés à la Suisse à ce sujet, me déclara le Colonel House.
Je m’excusai auprès de lui du silence que le Gouvernement fédéral avait jusqu’ici gardé au sujet de son projet d’établissement d’une station radio-télégraphique7 en Suisse. Il me dit: votre silence ne m’a pas étonné, ni froissé le moins du monde. De notre côté, nous n’avons pas cru devoir l’interrompre, quoique je n’aie nullement perdu cette affaire de vue. Nos Alliés anglais et français ne manifestent pas beaucoup de sympathie pour ce projet, qui affranchirait tout le monde de l’Amériquedu Nord et du Sud de la tutelle de la censure, mais c’est pour nous une raison de plus d’insister pour le prochain établissement de cette installation. La situation politique aux Etats-Unis m’oblige cependant à ajourner toute nouvelle démarche à ce propos. Les adversaires du Président Wilson me surveillent en effet de très près et me condamnent à une inactivité presque absolue. Toute parole prononcée et toute démarche faite en faveur de la Société des Nations par moi sont interprétées en Amérique comme un défi jeté à l’opposition américaine. Voilà pourquoi je ne puis pas poursuivre, pour le moment, nos conversations au sujet de l’établissement de la station radio-télégraphique en Suisse, dont je suis heureux d’ailleurs de savoir le point si bien accueilli par votre Gouvernement; voilà pourquoi aussi je ne puis m’accorder le plaisir de me rendre à Genève, comme je le voudrais.
Le Colonel House avait eu connaissance de la déclaration de Pichon, mais il n’y attacha aucune importance. Il était plus affirmatif encore que Lord RobertCecil au sujet de la prochaine admission de l’Allemagne. Il voudrait que l’Assemblée de la Société des Nations se réunît à Washington dès le mois de novembre et qu’elle se réunît à nouveau à Genève au printemps prochain. Je sais, me dit-il, que je ne suis pas d’accord avec Cecil sur ce point, mais je crois indispensable, dans l’intérêt même de la vitalité de la Société des Nations, que l’Assemblée se réunisse aussitôt et aussi souvent que possible. C’est l’Assemblée bien plus que le Conseil qui sera aux yeux des masses l’organe vital de la Société et il importe grandement qu’il prenne conscience de son existence et de son importance. C’est la première fois que j’entends exprimer cette opinion et je ne manquai pas d’assurer le Colonel House combien la Suisse et tous les autres petits pays seraient heureux de tout ce qui tendrait à accroître l’influence et l’importance de l’Assemblée par rapport au Conseil.
Quant à Y Autriche et à la Hongrie, House croyait leur admission imminente. Le nouveau Gouvernement hongrois, me dit-il, a été créé par les Alliés et j’espère que la paix avec l’Autriche et avec la Hongrie ne se signera pas sans que la date de l’admission de ces deux pays dans la Société des Nations y soit au moins approximativement fixée.
Au sujet de notre désir d’être représentés dans un des organes de la Société des Nations et notamment dans sa section juridique, le Colonel me renvoya, comme Lord RobertCecil l’avait déjà fait, à Sir Eric Drummond.
Sur le procès de l’empereur d’Allemagne, il partage absolument les opinions et les répugnances de Lord Robert.
Le Colonel House se déclara convaincu que l’opposition à la ratification du Traité qui se manifestait encore en Amérique diminuait et serait bientôt brisée. Il m’a confié qu’il s’attendait à la ratification par le Sénat des Etats-Unis dans la première moitié de septembre.
Mon entretien avec Sir Eric Drummond dura presque une heure et se poursuivit sur le ton de la conversation la plus familière et la plus amicale. Il était mieux au courant de la situation suisse que Lord RobertCecil et que le Colonel House. Il n’ignorait pas les efforts du Gouvernement fédéral et il s’en félicitait beaucoup. Le problème de la ratification dans les deux mois le préoccupait vivement. Il se pose d’une façon analogue me dit-il, quoique non identique, en Espagne et en Colombie. La constitution de ces pays, poursuivit-il, empêche leur Parlement de se prononcer avant l’action du Gouvernement et leur interdit la méthode de l’autorisation préalable. J’ai exprimé à Sir Eric ma surprise à ce sujet et j’ajoutai que cela créait à ces pays une difficulté d’un autre ordre. Quelle que soit la longueur du délai qu’on pourrait leur accorder, la difficulté restait pour eux la même, puisqu’ils ne pouvaient voter que sur un fait accompli, alors que pour nous rien, si ce n’est la brièveté du délai, ne nous empêchait de faire voter le peuple avant de laisser agir le Gouvernement. Il reconnut cette différence notable et me répondit sur le fond dans le même sens que Lord Robert et que le Colonel House. Il n’estime pas non plus qu’une réserve portant sur la ratification soit interdite aux termes du Pacte, car l’intention de ses auteurs n’était certainement pas de l’interdire. Mais il m’a conseillé aussi d’éviter dans notre déclaration d’adhésion le mot de réserve. Il sera toujours possible, dit-il, d’exprimer la même pensée avec d’autres mots et nous ne chercherons certainement pas à prendre un pays comme le vôtre dans une souricière en le considérant comme définitivement lié malgré lui par la déclaration de son Gouvernement.
Sir Eric Drummond me confirma ce que le Colonel House m’avait dit au sujet de l’opinion publique américaine. Nous sommes condamnés, me dit-il, au silence et à la passivité la plus absolue par le désir de ne pas accroître la force de l’opposition républicaine en Amérique. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas affirmer notre existence avec l’énergie qui serait peut-être nécessaire.
Au sujet de l’admission de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Hongrie à la Société des Nations, Sir Eric Drummond me confirma en tous points et avec plus d’énergie et de précision encore les dires de Cecil et de House. Une déclaration aurait déjà été communiquée aux Autrichiens qui leur garantirait par avance leur admission immédiate ou, en tout cas, très prochaine. Quant à l’opposition à l’admission de l’Allemagne, Sir Eric constatait également son rapide fléchissement en Angleterre et même en France.
Je me suis décidé à quitter Londres demain matin en emportant avec moi mes rapports. Je tiens à compléter celui-ci encore ce soir et je vous le transmettrai par express dès mon arrivée en Suisse.
J’ai revu Sir Eric Drummond cet après-midi, et lui ai transmis la bonne nouvelle de la décision unanime du Conseil fédéral au sujet de l’accession de la Suisse à la Société des Nations. Il s’en est montré très visiblement enchanté et m’a chargé de très chaleureuses félicitations, que j’ai l’honneur de vous transmettre. Vous trouverez ci-incluse copie d’une lettre identique que j’adresse à Lord RobertCecil, au Colonel House et à Sir Eric Drummond.8 Il ne s’agit nullement d’une pièce officielle, mais uniquement d’une lettre personnelle établissant bien la position du Gouvernement fédéral.
J’ai remis au Colonel House et à Sir Eric Drummond les exemplaires de vos deux discours des 2 et 9 juillet.9Drummond qui les connaissait déjà par extraits, s’est montré très heureux de les posséder in extenso.
En termes très prudents, j’ai touché un mot à Drummond des efforts qui se seraient faits de certains côtés en Belgique pour discréditer la Suisse dans la Presse. Il m’a répondu avec vivacité et avec chaleur que nous ne devions nullement nous inquiéter à cet égard et que nous pouvions être bien assurés que ce ne serait jamais aux sources belges que les autorités de la Société puiseraient leurs informations sur notre pays.
Veuillez, je vous prie, M. le Conseiller fédéral, excuser la rédaction très hâtive de ce rapport. Je n’ai pu le terminer que grâce à l’exceptionnel dévouement des dactylographes de la Légation, que M. le Ministre Carlin a bien voulu laisser à ma disposition pour cela.
Je serai à Valavran lorsque vous recevrez ce rapport et je me tiendrai naturellement à vos ordres pour le compléter oralement, si vous deviez le désirer.
- 1
- Rapport: E 2001 (B) 1/82.↩
- 2
- Reproduit en annexe au présent document.↩
- 3
- Cette lettre, adressée au Colonel House, à Lord RobertCecil et à Sir Eric Drummond disait: With reference to the conversation you were good enough to grant me yesterday I beg to inform you that the Swiss Government have unanimously decided on the 4th of August to recommend to the Federal Parliament that Switzerland join the League of Nations as original Member. They have proposed the addition of a special Article to the Federal Constitution. This proposition is to be discussed in a special session of both Houses in September and will then be submitted to a popular Referendum. If the Federal Government have not as yet publicly notified to the General Secretary of the League of Nations their intention to accept the invitation, it is only because that invitation has not yet become effective and because constitutional reasons prevent them from doing so before the vote of the Parliament. There can be no doubt however as to their unanimous wish in the matter. (E 2001 (B) 1/82).↩
- 4
- Il s’agit sans doute du télégramme no 57 du Département politique à la Légation de Suisse à Londres, expédié de Berne, le 1er août, à 19 h 50. D’après ce télégramme, la déclaration de Pichon disait: Deutschland könne an der Arbeitskonferenz teilnehmen, ohne dass es Mitglied des Völkerbundes sei. Die Aufnahme könnte auf Wunsch der Konferenz selbst ausgesprochen werden.[...] Nach gleicher Auskunft soll Pichon in der Sitzung der Friedenskommission erklärt haben, dass die Aufnahme Deutschlands in den Völkerbund nicht nur von der Zustimmung von 2/3 der Konferenz abhänge, sondern noch von gewissen moralischen Garantien, die einstimmig von den vertretenen Mächten zu bestimmen wären.[...] . (E 2001 (B) 1/81).↩
- 5
- Pour des propos analogues de Lord RobertCecil rapportés par le Ministre de Suisse à Londres, cf. lettre de G. Carlin à F. Calonder du 30 juillet 1919: «l’Allemagne devrait être reçue dans la Société des Nations le plus tôt possible, c’est-à-dire aussitôt qu’elle aurait fourni les preuves de vouloir exécuter de bonne foi les conditions du Traité de Paix». (E 2001 (B) 8/23).↩
- 6
- Ils 'agit des documents publiés en annexe au Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant la question de l’accession de la Suisse à la Société des Nations (du 4 août 1919).↩
- 7
- A ce sujet, cf. aussi no 32.↩
- 8
- Cf. note 2.↩
- 9
- Cf. nos 6, 11.↩
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