Classement thématique série 1848–1945:
I. LA SUISSE ET LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 7-II, doc. 11
volume linkBern 1984
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
Segnatura | CH-BAR#E2001B#1000/1508#15* | |
Titolo dossier | Campagne en faveur de l'accession de la Suisse à la Société des Nations (1919–1919) | |
Riferimento archivio | B.56.41.01.08 |
dodis.ch/44222 Le Chef du Département politique, F. Calonder, aux Représentants de la Presse1
La Conférence d’aujourd’hui a avant tout pour but d’étudier la neutralité suisse dans la Société des Nations. M. le professeur Max Huber, jurisconsulte du Département politique, vous orientera sur cette question dans le rapport qu’il va vous faire. Mais permettez-moi de vous donner brièvement quelques indications sur l’état où en sont les travaux préparatoires entrepris par le Département au sujet de la Société des Nations, ainsi que sur la manière de procéder que nous avons prévue, et d’ajouter à ce que je vous ai dit le 2 juillet2 quelques explications sur cette question, d’une importance et d’une portée si considérables.
La commission des experts qui, dans sa dernière session, s’était déjà exprimée en principe, dans sa grande majorité, en faveur d’une adhésion de la Suisse à la Société des Nations, va se réunir le 17 juillet pour donner son opinion définitive sur les divers points en cause. Le Département politique soumettra, le plus tôt possible, au Conseil fédéral le projet d’un message3 à l’Assemblée fédérale. Du 20 au 31 juillet, le Conseil fédéral étudiera le projet de message et les propositions du Département politique.
Si, comme j’en ai la ferme espérance, la Suisse adhère à la Société des Nations, il faut que cela ait lieu à un moment et dans une forme qui lui permette de ne pas perdre les avantages revenant aux membres fondateurs de la Ligue. Pour cela, elle est tenue de déclarer son adhésion dans les deux mois qui suivront la ratification par trois des Grandes Puissances Alliées ou Associées du Traité de Paix.
Pour atteindre ce résultat, voici la procédure prévue: le Conseil national et le Conseil des Etats traiteront les propositions du Conseil fédéral dans la prochaine session de septembre. Si les deux Chambres décident de soumettre au peuple et aux cantons une révision de la constitution dans le sens d’une accession de la Suisse à la Société des Nations, cette décision sera immédiatement communiquée par le Conseil fédéral au Secrétaire général de la Société des Nations, sous réserve de l’adoption ou du rejet par la majorité des cantons et du peuple. Il dépendra du plus ou moins de rapidité avec laquelle les Etats Alliés ratifieront le traité de savoir si l’Assemblée fédérale devra être convoquée dès le commencement de septembre ou même à la fin d’août, afin de ne pas s’écarter du délai prévu de deux mois. Il semble qu’il suffira que l’Assemblée se réunisse le 8 septembre, comme cela a été prévu.
En terminant les considérations que j’avais l’honneur de vous exposer ici il y a huit jours, je vous posais une question: devons-nous, dans ce moment historique, nous isoler et renoncer à notre mission internationale à cause des insuffisances du Pacte d’une Société des Nations tel qu’il nous est présenté, et à cause de notre situation internationale spéciale, ou voulons-nous, dans l’espoir que les Etats continueront à se démocratiser et à démocratiser leur politique internationale, et dans la foi en un triomphe des idéaux les plus élevés de l’humanité, entrer dans la Ligue afin d’y exercer toute notre influence dans le sens de la réconciliation, de l’amitié et de la justice entre les Peuples?
L’examen le plus consciencieux de la question m’a amené à la persuasion que la Suisse commettrait une faute politique de la plus grande portée en restant en dehors de la Société des Nations.
Il s’agit ici, avant tout, d’un grand problème moral. Je ne veux pas examiner maintenant si nous servons mieux nos divers intérêts économiques en entrant dans la Ligue ou en restant à l’écart. Ce ne sont pas seuls les intérêts matériels qui sont en jeu. Ce qu’il s’agit avant tout de savoir, c’est si, au sein de la Ligue qui se forme, le peuple suisse, avec les autres nations de bonne volonté, n’a pas le devoir moral et la mission supérieure de travailler à créer, pour l’humanité, un avenir meilleur.
Les leçons de l’histoire et tout particulièrement les expériences de la dernière guerre ne nous permettent pas de douter qu’une nouvelle guerre mondiale serait la destruction de l’Europe et la précipiterait inévitablement dans le plus épouvantable désastre matériel et moral.
Ce fut comme une révélation pour nous lorsque, au milieu de la guerre, le message plein de promesses du Président Wilson nous arriva d’au-delà des mers. Notre peuple sentit alors clairement que, seule, une organisation juridique internationale efficace pouvait éviter les guerres futures, et que le péril de les voir renaître ne serait pas écarté tant que le système international actuel se maintenait. J’ai exprimé cette conviction de notre peuple au Conseil national4 il y a un an et tous ont été d’accord avec moi lorsque j’ai parlé du devoir qui nous incombait d’encourager tous les efforts tendant à la création d’une nouvelle communauté des Etats basée sur le droit, sur la justice et sur la solidarité internationale. Je me souviens que je disais alors entre autres: Un idéal élevé, capable d’émouvoir les masses, est entré dans le domaine de la politique pratique. Servons cet idéal, généreusement et sans songer à nous-mêmes seulement et par là, notre pays acquerra le plus grand avantage possible: la conscience du devoir accompli envers l’humanité, la force et le droit de s’affirmer comme un membre actif de la communauté des peuples, au même titre que les autres! Est-ce qu’aujourd’hui, à l’heure où s’éloigne le spectre de l’horrible guerre et de ses terribles dévastations, notre peuple ne serait plus aussi intimement persuadé que seule une Société des Nations pourra détourner le péril de semblables conflits mondiaux et qu’il est de notre devoir de nous mettre au service de la justice et du bien-être international? – Je ne saurais le croire. Il n’est pas possible que le peuple suisse renie sa mission internationale parce que le péril des guerres est momentanément détourné.
Plus on étudie l’essence même de la question, plus on se rend compte que le Pacte de la Ligue ne saurait être repoussé à cause de ses lacunes et de ses insuffisances. Il est plus facile de critiquer que de corriger. On comprend facilement que la lourde pression des circonstances actuelles ait empêché la Conférence de Paris d’arriver, sur certains points, à une solution satisfaisante. Nous sommes en présence d’un commencement et tous les commencements sont difficiles. Lloyd George, le grand homme d’Etat anglais, a dit qu’il s’agissait d’une tentative. Eh bien, même si ce n’est qu’une tentative, elle mérite notre appui, car jamais encore on n’a entrepris, dans toute l’histoire du monde, pour assurer la paix et pour développer la solidarité internationale et la justice, une tentative aussi raisonnée; jamais on n’a mis à son service des moyens aussi étendus, aussi efficaces.
Il est évident que le Pacte tracé à Paris n’est pas complet. C’est une oeuvre humaine qui s’est frayé un chemin à travers le combat et la passion. Il est évident qu’elle devra être améliorée pour que l’idée d’une Ligue des peuples se réalise réellement. Mais aujourd’hui déjà, cette Ligue, pleine de promesses, commande malgré tout notre estime. En comparaison du chaos de l’arbitraire et de la violence, elle apporte à l’humanité des progrès immenses, des progrès qu’on n’aurait jamais cru possibles, avant la guerre. Dès aujourd’hui, on peut mentionner l’interdiction absolue des guerres de surprise, la publicité des traités comme condition de leur caractère obligatoire, les sanctions efficaces de l’ensemble de la Ligue contre l’Etat violateur du droit. On peut critiquer certaines insuffisances, certaines lacunes – et je m’associe sur plusieurs points à ces critiques – mais il est injuste de vouloir de prime abord taxer de manqué le nouvel ordre des choses. Si l’on veut juger d’une manière objective et sans parti pris, on devra reconnaître que la Société des Nations de Paris est viable et susceptible de développement. Elle sera une bénédiction pour l’humanité si elle est empreinte de bonne volonté, si elle se laisse inspirer réellement par l’idée de justice internationale et de solidarité. Je crois à cette bonne volonté, je crois à l’avenir de la Société des Nations.
Et pourquoi n’y croirions-nous pas? – Parce que les peuples vaincus ne sont pas contents du Traité de Paix? Ou parce que de la presse des divers Etats nous arrive un souffle de scepticisme et de mécontentement, tout spécialement en ce qui concerne la Ligue? – Mais chez les vainqueurs comme chez les vaincus, il y a bien des raisons qui expliquent ce mécontentement. Ce sont les conséquences inévitables de toute guerre, surtout lorsqu’elle a été conduite avec une telle passion et qu’elle a provoqué de telles ruines. N’oublions pas que notre pays, par sa position géographique et par sa composition ethnographique, est exposé plus que tout autre à l’influence des courants qui viennent du dehors et qui trouvent leur origine dans des considérations qui nous sont étrangères. Nos efforts doivent tendre sans cesse à nous libérer de ces influences, qui ne sauraient que fausser notre jugement. Pour arriver à prendre une décision juste, il ne faut pas nous laisser détourner du point de vue suisse par les humeurs sceptiques qui se font jour en ce moment à l’étranger: il nous faut envisager la relation spéciale dans laquelle se trouve la Suisse à l’égard de la Société des Nations et nous abandonner à notre propre jugement. Le temps presse et nous ne pouvons pas renvoyer à plus tard la réponse à cette question brûlante. Nous regrettons que la Ligue n’embrasse pas dès son origine tous nos voisins, mais cela ne saurait constituer pour nous un motif de renvoyer notre accession. Il serait impardonnable de retarder l’entrée de la Suisse dans la Société des Nations parce que l’Allemagne et l’Autriche allemande en sont provisoirement tenues à l’écart. Une telle attitude, je l’ai déjà dit, rejetterait notre pays contre sa volonté dans l’orbite politique des Puissances centrales et le placerait dans un contraste néfaste avec les peuples de la Ligue.
Si la Suisse, comme toute autre nation civilisée, est moralement obligée de travailler à la réalisation de la Société des Nations, ce devoir revêt pour elle une empreinte toute particulière et une signification exceptionnelle, par suite du caractère de notre Etat.
L’Etat suisse, en droit international, est caractérisé par deux facteurs: nulle part, l’idée démocratique n’a été développée d’une manière si vivante et si entière que chez nous, et d’autre part notre république unit trois langues et trois races en une activité féconde et en une amitié indestructible. De par l’essence même de notre pays, nous avons donc la mission d’appuyer tous les efforts tendant à la démocratisation de la politique internationale et encourageant la compréhension et la bonne entente entre les peuples qui diffèrent de langue et de race. Toutes les ramifications de notre histoire, dès le XIIIe siècle, toutes les expériences de notre vie quotidienne nous qualifient d’une manière exceptionnelle pour cette tâche.
Et le devoir de la Suisse envers la communauté internationale est aussi un devoir vis-à-vis d’elle-même. C’est la conscience et la mise en valeur de leur activité naturelle qui donne aux hommes et aux peuples la force et la santé: s’ils s’en écartent, ils pèchent contre eux-mêmes. La Suisse, en se séparant de la nouvelle communauté mondiale et en renonçant à développer l’action pour laquelle elle est tout particulièrement qualifiée, nuirait aux racines et à la frondaison de l’arbre helvétique; car ce qui unit les Suisses, ce qui leur fait aimer et chérir leur vie nationale, c’est leur idéal politique. Une des conditions essentielles pour que la Suisse puisse accomplir sa mission internationale, c’est qu’elle inspire la confiance dans le monde.
La confiance appelle la confiance. Les personnalités dirigeantes de l’Entente nous font crédit; elles nous ont accordé le siège de la Ligue, bien que d’autres Etats aient élevé à cet égard des prétentions qui ne manquaient pas de base. En avantageant ainsi la Suisse, on a fait preuve à l’égard de notre république d’une grande confiance. Et, lors des discussions que cette question a soulevées, nous avons pu nous rendre compte de la vive et sincère sympathie qu’éprouvent pour notre pays des hommes d’Etat étrangers comme Wilson, House et Cecil. Dans la question du maintien de notre neutralité, les Alliés ont manifesté à notre égard une prévenance exceptionnelle. Clemenceau et Orlando et d’autres personnalités dirigeantes ont compris et apprécié avec bienveillance notre situation internationale particulière et leur prévenance nous a épargné le cruel dilemne d’avoir à choisir entre la Société des Nations et la neutralité permanente. Nous pouvons aussi dire que les modifications proposées par nous au projet primitif de Paris ont été examinées avec bienveillance et compréhension. Si nous exigeons la confiance des hommes d’Etat qui ont fondé la Société des Nations, nous devons aussi leur accorder la nôtre. Sans se faire crédit réciproquement, on ne peut rien entreprendre de bon ni d’utile, surtout dans ce domaine. Je suis intimement persuadé que les créateurs de la Ligue et avant tout Wilson ont la sincère volonté de servir la cause de la Paix et de la justice entre les peuples et qu’ils s’efforceront de perfectionner et de rendre plus efficace le nouvel ordre juridique international.
Les nations qui servent de parrains à la Ligue ont un long passé de démocratie et de liberté. Naguère déjà, lorsqu’on négociait les conventions de La Haye, elles se sont efforcées de circonscrire la politique internationale de la force en développant le droit international. Ces nations ne méritent pas notre défiance; nous devons avoir foi en elles. Et c’est dans cet esprit qu’il faut envisager la Ligue défensive conclue entre la France, les Etats-Unis et l’Angleterre. Cette alliance, destinée à une défense éventuelle de la France contre les attaques non provoquées, n’est rien d’autre qu’un dérivé de l’organisation militaire encore insuffisante de la Société des Nations. Certes, nous regrettons qu’une pareille alliance ait été considérée comme nécessaire pendant la première période de la vie de la Ligue: elle disparaîtra avec le renforcement et le développement de l’ordre juridique international et de ses sanctions.
Je crois avant tout à la puissance des idées. La démocratie, la solidarité et la justice éliront domicile dans la Société des Nations. Elles n’y régneront sans doute dans la première période que d’une manière limitée et insuffisante; mais elles deviendront plus fortes au cours des temps et influenceront peu à peu la vie internationale d’une manière décisive.
Mais parmi nos concitoyens il en est dont la méfiance persiste: j’appelle aujourd’hui leur attention sur le fait que si nous devions être déçus dans les espoirs que nous fondons sur la Société des Nations, nous aurions le droit d’en sortir, après un préavis de deux ans. Le Pacte de la Ligue est dénonçable; il ne nous lie pas à perpétuité, comme par exemple le traité du Gothard, qui a été souvent, à tort, pris comme terme de comparaison, dans nos discussions. Cette comparaison pèche d’ailleurs aussi en ce sens que c’est tout autre chose de limiter notre souveraineté nationale en faveur d’une organisation juridique internationale comprenant tout le monde civilisé ou d’abandonner sur un point ou sur un autre notre indépendance en faveur de certains Etats déterminés.
Nous avons tous critiqué sévèrement la manière dont les Alliés ont procédé à la préparation de la Société des Nations. Les Neutres n’ont été consultés que lorsque les bases de l’organisation avaient déjà été posées. Ils n’ont été admis qu’à soumettre des propositions, mais pas à prendre part aux décisions, car le Pacte de la Société forme une partie intégrante du Traité de Paix. Cet amalgame et la hâte qui en résultait ont évidemment exercé une influence défavorable, sous divers rapports, sur la formation du Pacte. Mais le fait qu’une partie de la presse des Pays alliés a manifesté après coup la plus grande froideur à l’égard de la Ligue prouve que Wilson n’avait pas tort en insistant pour l’amalgamation de la Ligue et du Traité. Qui sait si les Etats, si jaloux de leur souveraineté, auraient pu, sans la pression qu’exerçait sur eux la nécessité d’adopter le Traité de Paix, arriver à s’entendre pour la création d’une Société des Nations? – En tout cas, les Neutres feraient preuve d’un petit esprit s’ils voulaient refuser leur adhésion à la Ligue uniquement parce qu’ils n’ont pas été appelés à discuter et à décider la rédaction du Pacte.
En abordant ce grand problème avec la mentalité mesquine et les préjugés de la vie quotidienne, on ne saurait s’en rendre maître. Tout revient en somme à savoir si, alors qu’un nouvel ordre international surgit de la terrible catastrophe d’où nous sortons, nous comprenons l’appel que les temps nouveaux nous lancent. Notre premier devoir est de chercher la vérité et de défendre nos convictions sans craindre les moqueries et la critique. Conserver une attitude expectative et neutre à l’égard d’un mouvement qui, malgré des déceptions partielles et momentanées, libérera le monde, serait de la part de la Suisse une faiblesse et une humiliation. Elle doit avoir le courage de descendre dans les profondeurs de son être et d’en tirer sa conviction. Je ne doute pas que le peuple suisse ne se montre à la hauteur de la tâche à laquelle son destin l’appelle, en ce moment décisif.
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