Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 446
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#758* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 340 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 72 (1919–1919) |
dodis.ch/44191
Au Quai d’Orsay on avait conservé assez longtemps l’espoir de voir la Délégation allemande de Versailles signer le Traité de Paix moyennant quelques retouches légères. Actuellement, dans les mêmes milieux, on paraît s’attendre à un refus des Allemands. Aussi des mesures militaires sont-elles prises en vue de l’occupation immédiate de nouvelles villes et de nouveaux territoires. Il est peu probable qu’on recoure tout de suite à d’autres moyens (bombardements aériens). On prévoit, en effet, une crise ministérielle en Allemagne et on escompte la signature du Traité par le nouveau Cabinet.
M. Lloyd George qui, durant les semaines qui précédèrent la remise aux Allemands du Traité de Versailles, s’était très sensiblement rapproché de M. Clemenceau et avait fermement appuyé les revendications du Ministre français, paraît être, aujourd’hui, fort hésitant. Ses familiers prétendent qu’il est très influençable et qu’il ne sait pas toujours très exactement ce qu’il veut. Il est certain que son attitude dans les négociations actuelles est fortement influencée par la politique du «Labour party» et du «Manchester Guardian». Le premier anglais serait disposé à faire aux Allemands d’importantes concessions, notamment au sujet de la question polonaise. On m’assure, par contre, que M. Wilson défend avec obstination les points essentiels du Traité qu’il considère comme son œuvre. On a l’impression que l’Allemagne a moins de chances d’obtenir quelque chose à l’heure actuelle de Wilson que de Lloyd George.
Vous avez bien voulu me signaler récemment que M. Haguenin avait été rappelé par son Gouvernement à Paris en vue sans doute de faire un rapport sur les modifications que l’on pourrait apporter aux clauses relatives à la Silésie. Vous aurez vu, depuis, par les journaux, que le principe du plébiscite dans les régions contestées semble avoir été adopté. Bien que je ne sois pas arrivé à joindre M. Haguenin (reparti très rapidement) pour l’interroger à ce sujet, j’ai le sentiment que son retour à Paris a eu pour effet, de faire prévaloir cette idée du plébiscite. On m’assure qu’il s’est vigoureusement plaint à ses amis de n’avoir pas été écouté dans les conseils qu’il donnait à son Gouvernement quant à l’action de la France en Allemagne, où, dit-il, les Anglais sont en train de prendre la place que les Français auraient pu se réserver.
Je sais de source très sûre que M. Haguenin s’est entretenu avec M. Poincaré et M. Dutasta des relations franco-suisses et leur a fait entendre quelques dures vérités sur certaines maladresses ou négligences de la France à notre égard.
Quant à la Société des Nations, on paraissait disposé, il y a quelques jours encore, à faciliter l’entrée de l’Allemagne dans la Ligue ou, du moins, à préciser la date rapprochée à laquelle l’accession de ce pays pourrait être acceptée. Cette tendance a de nouveau perdu du terrain et tout semble indiquer que la majorité des Alliés est actuellement résolue à imposer aux vaincus une assez longue quarantaine, destinée à mettre à l’épreuve la sincérité de leurs dispositions pacifiques et démocratiques. Un directeur du Quai d’Orsay me parlant de l’Allemagne et de la Société des Nations vient de me dire textuellement: «Il faut laisser l’Allemagne passer au purgatoire; cela lui fera beaucoup de bien.»
L’attitude de l’opinion suisse au sujet de la Ligue des Nations provoque, ici, un vif sentiment de surprise dont l’écho m’est parvenu de divers côtés. On ne comprend guère, en France, que notre pays, après s’être énergiquement démené pour obtenir qu’une ville suisse soit choisie comme siège de la Ligue, soit aussi réservé - du moins dans certains milieux - pour entrer dans cette Ligue. Je partage entièrement l’opinion qu’exprimait, lors de son séjour à Paris, M. le Conseiller national Alfred Frey que ce serait désastreux pour notre pays de rester en dehors de la Ligue, tout seul en compagnie de l’Allemagne. C’est alors que nous serions accusés de «bochisme» et je n’ai pas besoin de vous dire quelles en seraient les conséquences navrantes.
Je crois utile de vous adresser, en terminant, quelques notes brèves sur la situation intérieure de la France.
Le mouvement gréviste ne paraît pas devoir s’étendre. Les grèves se poursuivent sans incidents et, à Paris, notamment celle des transports en commun modifie à peine la physionomie de la ville. En effet, les défections de grévistes paraissent être de plus en plus nombreuses et les compagnies réussissent à assurer un service de fortune qui fonctionne normalement sauf que la circulation des autobus, tramways et chemin de fer métropolitain s’arrête déjà entre 7 h. et 8 h. du soir. Les appréhensions, dont mon télégramme d’avant-hier vous entretenait, ont sensiblement diminué.
Le Ministère Clemenceau est de plus en plus violemment attaqué par la presse et par une partie de l’opinion. Au Parlement même, presque tous les partis désirent un changement de Ministère. Cependant la Chambre a manifesté récemment, en plusieurs occasions, sa volonté très nette de ne pas renverser le Cabinet Clemenceau tant que les Allemands n’auront pas signé. La signature une fois effectuée, il est infiniment probable que le Gouvernement actuel aura vécu.
Clemenceau avait manifesté l’intention de s’en aller le lendemain de l’armistice et, s’il l’avait fait, son prestige serait demeuré plus grand qu’il ne l’est actuellement. On s’aperçoit, en effet, tous les jours davantage que cet homme qu’on avait pris pour un berger n’est, en réalité, qu’un chien de berger, doué de toutes les vertus nécessaires pour ranimer, en vue de la lutte, les énergies du pays mais privé des dons qu’il faudrait pour tenir le gouvernail au cours des négociations de paix.
Les journaux vous auront renseigné sur les récentes interpellations à la Chambre au sujet des événements d’Odessa.
Je vous engage très vivement à en lire le compte rendu à l’Officiel. Des faits comme ceux qui ont été portés à la tribune à cette occasion, auraient certainement, en d’autres circonstances, amené la chute du Ministère.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Paris, Archiv-Nr. 72. Autour de la Conférence. Les hésitations de M. Lloyd La question de Silésie. La Société des Nations. Situation intérieure de la France: les grèves, le Parlement et le Gouvernement. Remarque manuscrite de Ch. E. Lardy en tête du document: Personnelle.↩