Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 432
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#895* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 395 | |
Dossier title | Rom, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 19 (1919–1919) |
dodis.ch/44177
La presse s’efforce d’observer le mot d’ordre du Gouvernement et évite autant que possible les récriminations à l’égard des Alliés. Les journaux officieux se donnent beaucoup de peine pour montrer au public qu’en somme l’Italie n’est pas trop sacrifiée. Il paraît certain que Fiume ne sera pas attribuée à l’Italie: on en fera une ville indépendante sous un régime spécial. Ce qui importe pour les Italiens c’est que dans le territoire annexé à cette ville l’élément croate ne domine pas, que les libertés municipales de Fiume soient défendues contre toute influence des populations rurales croates, que ce régime soit provisoire et qu’au bout d’un certain temps la population de l’Etat de Fiume soit appelée à se prononcer sur une solution définitive: ce plébiscite devrait se faire par commune de façon qu’en aucun cas le sort de Fiume, ville italienne, ne soit violentée par la population slave des campagnes.
Tels sont les points sur lesquels on discute à cette heure à Paris. Vous connaîtrez probablement le résultat de ce débat avant de recevoir ces lignes.
Tous les raisonnements de la presse officieuse et son optimisme de commande ne réussissent pas à calmer l’opinion. On ne rencontre que des gens mécontents. J’ai causé hier avec un des délégués qui vient de donner sa démission et qui est rentré à Rome ces jours-ci. Il a exprimé l’idée très juste que je vous ai exposée à plusieurs reprises: à savoir que M. Wilson et les autres Alliés ont fini par transiger sur tous les grands principes si hautement proclamés et n’ont réservé leur sévérité et leur intransigeance que pour l’Italie. L’Italie a été proportionnellement le pays le plus éprouvé par la guerre, surtout au point de vue de la fortune publique. Par le Traité de Londres on lui a promis pour récompense de son aide un morceau de la Dalmatie: or, maintenant, il n’est plus même question d’appliquer le traité intégralement. Les Alliés estiment que, en compensation du fait que Fiume n’est pas attribuée aux Croates, on se bornerait à donner à l’ItalieZara et Sebenico, mais en diminuant la portion de territoire promise par le Traité de Londres et en demandant à l’Italie de s’engager à renoncer à toutes autres revendications sur la côte dalmate. Mon interlocuteur qui a négocié laborieusement à Paris pendant quatre mois et demi se montre très indigné et cette indignation est partagée par toutes les personnes que je rencontre. On s’en prend plus particulièrement à MM. Wilson et Clemenceau. La véritable curée à laquelle procèdent les Alliés en Afrique et en Asie Mineure, la violation flagrante des principes wilsoniens en Pologne, en Bohême et à l’égard de l’Allemagne ont achevé de détruire toute foi dans la Société des Nations.
MM. Orlando et Sonnino auront grand peine à résister à cette explosion de mauvaise humeur. Mais on ne voit pas très bien par qui on les remplacerait, ce qui peut prolonger quelque temps encore les pouvoirs de M. Orlando. Quant à M. Sonnino il a fait savoir que la paix conclue, il donnerait sa démission. Ni M. Nitti, ni M. Tittoni dont on parle sans cesse en ce moment ne paraissent avoir le prestige voulu pour former un Ministère: il y a une grande disette d’hommes politiques. Certains proposent avec insistance le vieux M. Luzzati comme Président du Conseil avec MM. Nitti et Tittoni comme principaux collaborateurs. D’autres annoncent un Ministère où l’élément socialiste serait prédominant: il est évident que MM. Bissolati et même Turati ont tenu le langage du bon sens. Le Roi, qui est en coquetterie constante avec les éléments d’extrême gauche, ne s’opposerait pas à un Ministère fortement socialiste. Le jeu serait évidemment dangereux, un Ministère socialiste pouvant exposer le Souverain à de sérieux embarras et provoquer une fois ou l’autre un conflit entre le Gouvernement et la Couronne. Mais je le répète, si les conditions faites à l’Italie par le Traité de Londres ne sont pas encore plus mauvaises que celles qu’on annonce, il est fort possible que M. Orlando puisse résister à la tempête.
Touchant la note adressée à la Suisse par les Puissances de l’Entente2, les personnes que j’ai vues paraissent approuver l’attitude du Conseil fédéral. On comprend que ce serait une déchéance de la part de la Suisse que de céder à de pareilles menaces. A l’Ambassade de France on ne croit pas au sérieux de ces mesures. On représente cette note de l’Entente aux neutres comme un moyen de faire pression sur l’opinion de l’Allemagne.
Espérons qu’il en soit ainsi et que l’Entente n’ait jamais à nous appliquer le blocus renforcé, car il nous serait difficile de faire appel aux sentiments d’humanité et de pitié: la sensibilité des peuples s’est émoussée dans ces quatre années de massacre. Du reste, comme j’ai eu l’occasion de vous le dire, toutes les personnes rentrant de Suisse continuent à célébrer l’abondance de nos tables d’hôtes. Je souhaite vivement, dans un intérêt politique et moral, que les restrictions alimentaires imposées à notre peuple soient appliquées dans nos grands hôtels de la façon la plus rigoureuse.
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