Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 371
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E7350#1000/1104#9* | |
Old classification | CH-BAR E 7350(-)1000/1104 15 | |
Dossier title | Rumänien (1914–1918) | |
File reference archive | 1 |
dodis.ch/44116 Le Ministre de Suisse à Bucarest, G. Boissier, au Chef du Département de l’Economie publique, E. Schulthess 1
Le Directeur de la Banque Nationale Roumaine, M. Baicoiano, m’a fait demander hier un rendez-vous et est venu conférer longuement à mon bureau de la question du change et des difficultés, pour ne pas dire de l’impossibilité, dans lesquelles se trouvait actuellement la Roumanie de reprendre ses échanges commerciaux avec la Suisse. Il a fait allusion aux entretiens qu’il avait eus à Berne soit avec Vous, soit avec M. de Haller soit avec M. Burckhardt et, bien qu’il se soit montré très réservé sur l’accueil qu’avaient rencontré ses propositions, j’ai cru comprendre que celui-ci l’avait quelque peu déçu. J’ai regretté à cette occasion de n’avoir pas été mis au courant par Vous des entretiens dont il s’agit, car j’aurais été mieux armé pour lui répondre. - Il m’a exposé que lors de son envoi en mission à Paris et à Londres il y a quelques semaines, il avait reçu pleins pouvoirs du Gouvernement pour offrir toutes les garanties qui pourraient être jugées nécessaires à l’appui d’une demande de crédits permettant l’achat de marchandises en Suisse, mais que ses ouvertures ne paraissaient pas avoir rencontré surtout auprès de M. de Haller et spécialement de M. Burckhardt suffisamment d’encouragement pour qu’il se soit cru autorisé à son voyage de retour de Paris à se rendre à nouveau à Berne depuis Zürich. Mais la réflexion est venue; il a regretté, après être rentré à Bucarest, de n’avoir pas repris sa conversation avec Vous et c’est pourquoi il s’est décidé à faire une nouvelle démarche auprès de moi. - Je ne sais pas autre chose des entretiens qu’il a eus sur cette question avec Vous, pas plus que du genre de propositions fermes qu’il Vous aurait soumises, ni du sens de Vos réponses, mais voici en quelques mots le résumé de notre entretien: «Nous avons actuellement besoin de tout en Roumanie mais nous sommes obligés nous Gouvernement de nous intéresser avant tout aux articles de première nécessité soit pour les besoins immédiats de la population en ce qui concerne l’habillement, soit pour les besoins de notre industrie en machines diverses. - Nous croyons savoir que tous ces articles nous les trouverions en Suisse ou que tout au moins nous pourrions en acheter une partie chez elle. Mais le cours du change nous en empêche absolument et nous comprenons que Vos commerçants et Vos Industriels qui ont besoin de leur argent ne puissent nous envoyer leurs marchandises à crédit sans garantie et qu’ils ne considèrent pas comme suffisante la garantie qui consisterait à recevoir d’une banque roumaine l’assurance que le montant de la marchandise vendue par eux est déposé à Bucarest chez elle au cours du change. La place est actuellement libre en Roumanie; la Suisse veut-elle en profiter pour se créer ou pour y développer sa clientèle qui ne pourra qu’augmenter si elle sait profiter des circonstances actuelles? Les autres pays nous sollicitent beaucoup et d’ailleurs il y a de la place pour tout le monde; mais l’Amérique se démène spécialement beaucoup et si la Suisse se laisse évincer par tous ses concurrents en refusant pour le moment toute espèce d’affaires, ne croyez-Vous pas qu’elle risque de perdre pour très longtemps tout notre marché? - Et si la Suisse veut profiter de cette occasion unique, par le fait des besoins pressants de la Roumanie, ne peutelle nous accorder de son côté quelques facilités dont je ne crois pas qu’elle ait à se repentir plus tard, à moins qu’elle n’ait plus aucune confiance quelconque dans le crédit de mon pays? Eh bien, si tel est le cas, je suis autorisé à entrer en pourparlers avec la Suisse pour lui demander au nom du Gouvernement une ouverture de crédit de 60 à 70 millions qui seraient exclusivement employés en Suisse à l’achat de marchandises et au sujet desquels je suis autorisé à offrir toutes les garanties possibles. Il serait bien entendu, je le répète, que cet argent ne sortirait pas de Suisse et n’y serait employé qu’à l’achat de marchandises dans Votre pays. - Nous demanderions seulement une petite avance supplémentaire d’une dizaine de millions destinée à l’entretien de nos nombreux compatriotes en Suisse qui, actuellement, sont tous dans une situation très difficile et ne peuvent pas se procurer des fonds pour leur subsistance. Si les membres de Votre Gouvernement estimaient que la conversation puisse être reprise sur cette base-là et désiraient avoir des renseignements complémentaires sur la nature des garanties que je suis autorisé à leur offrir, je suis tout disposé à me rendre immédiatement à Berne dans ce but.»
Ignorant totalement le point de vue du Conseil fédéral en matière d’avance ou d’emprunt à consentir actuellement à l’étranger et spécialement à la Roumanie, il va sans dire que je me suis tenu sur la réserve absolue et me suis borné à enregistrer les offres de M. Baicoiano. Toutefois, comme je désire ardemment pour mon pays lui trouver des débouchés commerciaux, que je m’intéresse spécialement à la reprise des échanges avec la Roumanie, que je suis convaincu qu’il y a un brillant avenir en perspective à condition de savoir profiter du moment, j’ai offert à M. Baicoiano mon concours le plus absolu pour Vous faire part de sa démarche et l’appuyer. Je ne lui ai pas caché qu’en tant que celle-ci avait pour objet la reprise et le développement de nos relations commerciales, elle rentrait absolument dans mes vues, que j’insisterais auprès de Vous pour Vous prier d’examiner s’il serait possible de trouver un terrain d’entente mais qu’il m’était impossible de préjuger de Votre décision et que j’ignorais si nos engagements pris ailleurs nous permettraient de consentir à de nouvelles avances.
Cette question a déjà fait l’objet de plusieurs de mes rapports à Votre Département et en dernier lieu de celui du 25 de ce mois,2 mais j’ignorais à ce moment-là que le Gouvernement eût l’intention de nous demander une ouverture de crédit. Je Vous ai demandé déjà d’une façon pressante d’examiner dans quelle mesure il serait possible de faciliter nos exportations à destination de la Roumanie. Permettez-moi d’y insister davantage aujourd’hui à la suite de la démarche de M. Baicoiano en Vous priant d’examiner la question sous toutes ses faces et notamment au point de vue politique. Si Vous obtenez des garanties qui Vous paraissent suffisantes, ne pensez-Vous pas qu’il y aurait un intérêt de premier ordre pour nous à rendre un service de ce genre dans les circonstances actuelles à la Roumanie? D’une part Vous procureriez à notre commerce suisse la possibilité d’exporter immédiatement avec la certitude d’être payé tout de suite en argent suisse une cinquantaine de millions de produits et d’autre part Vous assureriez certainement à nos fabriques suisses pendant les années à venir des commandes importantes des Administrations d’Etat. - Si le sacrifice qui nous est demandé n’est pas au-dessus de notre capacité financière je verrais pour ma part un intérêt primordial à accepter de discuter avec M. Baicoiano, comme représentant du Gouvernement, la possibilité d’un accord et à accepter son offre de se rendre sans retard à Berne.
En exprimant l’espoir que Vous voudrez bien soumettre cette question à un sérieux examen et me mettre en mesure de répondre le plus tôt possible à la démarche du Directeur de la Banque Nationale je saisis cette occasion pour Vous renouveler, M. le Conseiller Fédéral, les assurances de ma haute considération.