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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 247
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E7350#1000/1104#9* | |
Old classification | CH-BAR E 7350(-)1000/1104 15 | |
Dossier title | Rumänien (1914–1918) | |
File reference archive | 1 |
dodis.ch/43992 Le Ministre de Suisse à Bucarest, G. Boissier, au Chef du Département de l’Economie publique, E. Schulthess1
Je me suis rendu il y a quelques jours auprès du Ministre du Commerce et de l’Industrie, M. Constantinescu, pour lui rendre une visite officielle à l’occasion de la reprise de mes fonctions et lui faire part du désir que nous avions de reprendre dans un avenir aussi rapproché que possible, les échanges commerciaux existant de longue date entre nos deux pays et de chercher à les développer le plus possible.
Le Ministre m’a déclaré, ce que je savais d’ailleurs, que pour le moment la Roumanie ne pouvait exporter que du pétrole et ses dérivés, qu’elle n’accordait pas de permis d’exportation à des particuliers mais seulement aux gouvernements étrangers, et cela seulement contre la compensation, pour une valeur égale, des trois sortes de marchandises suivantes: chaussures, linge (linge de corps, draps, serviettes, nappes, etc.) et tissus pour vêtements. Le Ministre a ajouté que si nous étions en mesure d’exporter les trois catégories de marchandises ci-dessus il pourrait nous procurer du pétrole pour une valeur égale sur une demande officielle du gouvernement fédéral et à condition que nous le fassions prendre en Roumanie par les wagons citernes.
Quant à l’importation en Roumanie d’autres produits, le Ministre m’a déclaré qu’il ne s’y intéressait pas en tant qu’articles de compensation mais que, comme son pays avait besoin de tout, il serait heureux de voir les échanges commerciaux avec la Suisse reprendre d’une façon active suivant la possibilité des moyens de transport; que le commerce d’importation était libre et qu’il ferait ce qui dépendrait de lui pour le faciliter.
Cette avant-dernière allégation sur la liberté du commerce d’importation n’est pas absolument exacte et on se plaint beaucoup dans les colonies étrangères et même dans le commerce roumain des entraves qui y sont apportées. Tout d’abord il faut commencer par obtenir du Ministère précité un permis d’importation; or dans un pays où la protection joue un grand rôle, il est facile d’en conclure que ces permis ne sont pas toujours accordés avec la même facilité à tout le monde. D’autre part, le permis est généralement accordé pour tel chiffre d’affaires et là encore les postulants ne sont pas tous traités de la même manière suivant le crédit dont ils jouissent ou les influences qu’ils peuvent faire valoir. En outre, le décretloi auquel je faisais allusion dans mon rapport politique No. 1 du 7 mars stipule que lorsque les marchandises seront importées en Roumanie avec l’aide du Gouvernement, c’est-à-dire soit en utilisant des moyens de transport roumains (bateaux ou chemin de fer) soit en faisant appel au concours du Gouvernement pour obtenir des crédits à l’étranger, le Gouvernement se réserve de racheter (les Autorités ne veulent pas qu’on emploie le mot de réquisition bien que cela en soit bel et bien une) à l’importateur jusqu’à concurrence maximum du 50% de la quantité importée, ces marchandises au prix coûtant majorées d’un bénéfice normal de 20%; quant à la partie non «réquisitionnée» l’importateur est tenu d’indiquer les prix auxquels il se propose de les vendre, afin d’éviter la spéculation et des prix exagérés. Ce mot est évidemment élastique, car il existe certains importateurs dont les prix indiqués ne paraîtront pas exagérés tandis que ceux-ci seront taxés comme tels chez d’autres. En outre, il y a des importateurs qui se verront réquisitionner ou racheter la moitié de leurs marchandises importées, tandis que d’autres en seront exemptés. Le moyen d’éviter la prétendue réquisition est donc d’amener ces marchandises ici par les bateaux étrangers et il suffit dans ce cas d’indiquer les prix de vente en produisant les factures du prix de revient; là encore des commerçants peu scrupuleux qui auront majoré leurs factures seront dans une situation plus privilégiée que les autres.
Comme je l’indiquais dans mon rapport du 7 mars2 il n’y a pas lieu à mon avis de trop s’émouvoir attendu qu’ils s’agit de décrets-lois qui ne seront peut-être pas confirmés par la future Chambre et qui n’ont par conséquent qu’un caractère provisoire. Ainsi que je l’ai conseillé à plusieurs de nos compatriotes il ne me paraît pas qu’il faille renoncer, par crainte d’un bénéfice actuel insuffisant, à essayer de reprendre dès maintenant des relations commerciales avec la Roumanie. Il me semble au contraire qu’il faut se presser de renouer ces relations en vue de leur développement futur, il faut absolument prendre pied ici et ne pas attendre que la place soit prise par d’autres.
Nous avons heureusement à Bucarest suffisamment de bonnes maisons de solide et ancienne réputation qui sont en mesure de contribuer à cette œuvre. Je leur ai exposé qu’elles avaient un double but à remplir, d’abord de développer leurs affaires personnelles, ensuite de travailler pour le bien de notre patrie en créant pour son commerce d’exportation de nouveaux débouchés. Malheureusement par suite des circonstances, soit autant par le fait que pour les articles courants le peuple roumain n’attachait pas grande importance à la bienfacture et se laissait attirer par les prix peu élevés, nos maisons suisses d’importation travaillaient surtout avec les maisons allemandes dont les articles camelotes inondaient le pays. Nos commerçants ont fort bien compris que s’ils ne voulaient pas voir péricliter leurs affaires ils devaient changer leur fusil d’épaule et ils se sont déjà mis à l’œuvre pour chercher à renouer leurs anciennes relations avec les maisons anglaises et françaises avec qui ils avaient précédemment fait des affaires. J’ai insisté beaucoup sur la nécessité pour eux et pour notre pays de chercher surtout des représentations de maisons suisses qui jusqu’à présent étaient souvent représentées en Roumanie par des petits commerçants juifs sans grande surface, tandis que nos maisons suisses représentaient, elles, des maisons allemandes. Tous les commerçants suisses que j’ai vus jusqu’ici abondent dans ces idées et travaillent déjà depuis quelque temps à renouer et à développer leurs relations personelles avec la Suisse; un certain nombre d’entre eux sont restés en Suisse pendant un ou deux ans lors de l’occupation allemande et y ont travaillé dans ce sens. D’autres sont partis ou ont envoyé des représentants à eux après le rétablissement des communications ferroviaires et depuis mon arrivée à Bucarest j’ai eu l’occasion à chaque départ de L’Orient-Express de procurer 2 ou 3 places à nos commerçants. J’ai également eu l’occasion d’intervenir à diverses reprises auprès du Ministère du Commerce pour leur faciliter l’octroi de permis d’importation. J’ai exposé en outre à ces Messieurs que je ferais ce qui dépendrait de moi pour les appuyer auprès des autorités roumaines pour leur faciliter leur tâche dans la mesure de mes moyens, mais que je comptais surtout sur leur initiative privée pour le développement de nos échanges commerciaux avec la Suisse et qu’ils ne devaient pas craindre de se rendre eux-mêmes fréquemment en Suisse pour entrer en relations personnelles avec nos milieux industriels.
Un des obstacles à la reprise actuelle d’affaires importantes est, outre la crise des moyens de transport, le cours si haut du change; ce dernier, qu’il est question de réglementer par des moyens artificiels en fixant le cours maximum, rend les affaires excessivement difficiles, puisque d’un lei soixante-dix que valait le franc suisse à mon arrivée il y a un mois il vaut actuellement deux leis quarante à cinquante. L’importateur dont les capitaux se trouvent en Roumanie est donc obligé pour ses achats en Suisse d’en payer deux fois et demi la valeur, ce qui, malgré les gros prix de vente pratiqués en Roumanie pour n’importe quel produit, lui laisse une faible marge de bénéfices et l’oblige à immobiliser d’énormes capitaux; un capital de 100.000 leis qui avant la guerre lui permettait d’acheter pour 100.000 francs de marchandises en Suisse ne lui permet plus aujourd’hui que d’en acheter environ pour 40.000 francs.
Il est en outre excessivement difficile de trouver de l’argent sur la Suisse et le gouvernement par un autre décret-loi a défendu d’exporter de l’argent sauf pour des sommes minimes. Là encore il faut des protections spéciales pour obtenir des exceptions à la règle. Nos commerçants qui se rendent en Suisse ont donc non seulement en vue l’achat des marchandises à importer mais aussi et surtout de trouver le moyen de les payer, sans subir cette grosse perte de change. Ils espèrent trouver auprès de celles de nos banques suisses qui connaissent le pays un concours efficace sous forme peut-être de dépôts à Bucarest de la contrevaleur des marchandises suisses en leis, calculés au cours actuels de change mais qui ne seraient pas réalisés tant que le cours est si peu favorable; il s’agit là d’opérations bancaires dans lesquelles je n’ai pas à intervenir mais à propos desquelles il serait désirable que les banques examinent la possibilité d’un concours efficace à donner à nos commerçants.
Je vous serais obligé de communiquer ce rapport au Département de l’Economie publique et de me faire connaître ultérieurement ses intentions à propos de la livraison éventuelle de pétrole par la Roumanie. Il sera peut-être utile à ce moment-là d’envoyer ici une mission spéciale pour les achats. En attendant je vous signale qu’un de nos compatriotes, M. Charles Kolb, ex-directeur de la Steaua Romana, qui vient d’être congédié de cette Société en même temps que les fonctionnaires allemands, doit se rendre en Suisse la semaine prochaine pour y nouer d’autres affaires et qu’il se présentera au Département de l’Economie publique à qui il pourra peut-être fournir des renseignements utiles au sujet de la production de pétrole. Il passe cependant pour être affilié au groupe allemand de la Steaua.