Personelle et confidentielle
Berne, 4 mars 1919
En Vous remerciant de Votre intéressant rapport, No. 1/19 du 28 février,2 nous nous permettons d’y relever la phrase: «La méthode suivie par la Conférence se révèle donc moins défectueuse qu’il n’avait paru au premier abord. Si les conditions à faire aux vaincus n’ont pas été arrêtées d’emblée, elles le seront sous peu et les inconvénients résultant de la lenteur des débats seront bien minimes si cette lenteur a permis aux Alliés pris au dépourvu par la capitulation de l’Allemagne, de rester unis et d’éviter les querelles sur lesquelles spéculaient leurs adversaires».
Le point de vue que Vous nous rapportez là est sans doute celui du Gouvernement français; tous les renseignements que nous Vous avons donnés d’Allemagne depuis des mois, avec toujours plus d’insistance, et en particulier ceux que nous Vous avons transmis hier, Vous auront montré combien nous sommes loin de partager l’opinion que Vous nous transmettez. L’état d’incertitude dans lequel l’Entente a laissé l’Allemagne depuis près de quatre mois y a créé, puis développé, et enfin installé d’une manière presque définitive, un état d’esprit dont le danger pour la Suisse est effroyable: pour la Suisse d’abord et pour l’Europe ensuite.
Tous les renseignements que nous recevons d’Allemagne, même ceux qui sont le plus optimistes, nous confirment l’indifférence, l’apathie, qui régnent à l’égard de l’armistice, de la paix, de la Ligue des Nations. Le désespoir dans lequel les Puissances, par cette longue période vide, ont laissé glisser l’Allemagne, a détruit en elle la force de résistance au Bolchevisme, et c’est là un danger dont nous ne saurons jamais assez Vous dépeindre toute l’horreur.
Nous avons cru utile de bien Vous préciser notre point de vue et nous Vous répétons, une fois de plus, que c’est uniquement parce que nous sommes le plus directement menacés que nous Vous avons chargé d’exposer la situation au Gouvernement français. Il va sans dire qu’il ne nous appartient pas de songer à faire un grief aux Alliés de la lenteur avec laquelle ils ont agi: c’est uniquement pour Votre information personnelle que nous Vous avons exprimé notre opinion à cet égard.