Classement thématique série 1848–1945:
II. LA SUISSE ET LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
Également: Réponses aux questions posées par M. Huber au sujet de l’interprétation des articles du projet allié de Pacte de la Société des Nations du 14.2.1919. Présentation synoptique des questions de Huber et des réponses de Rappard. Annexe de 24.2.1919
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 7-I, Dok. 205
volume linkBern 1979
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Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
Signatur | CH-BAR#E2001B#1000/1501#3083* | |
Dossiertitel | Friedenskonferenz, Rapports de Mr. Rappard (1919–1919) | |
Aktenzeichen Archiv | B.56.221.05 |
dodis.ch/43950
Dans mes entrevues de ces derniers jours je me suis laissé guider surtout par la pensée que voici:
La question capitale qui s’impose actuellement à l’attention du Gouvernement fédéral est celle de savoir si la Suisse peut et veut, oui ou non, adhérer à la Ligue des Nations. La réponse à cette question dépend, me semble-t-il, essentiellement des quatre points suivants:
1° Quel est le caractère exact de la Ligue?
2° Notre neutralité peut-elle y trouver une place?
3° Quelle sera la politique économique de la Ligue?
4° Quand et comment l’Allemagne y sera-t-elle accueillie?
J’ai donc cherché à me procurer des informations sur ces quatre points. Les voici:
ad 1°. J’adresse par le même courrier à M. le professeur Max Huber une lettre dont j’ai l’honneur d’annexer une copie.2 Elle contient les réponses que j’ai pu recueillir au sujet de diverses questions qu’il m’adressa au sujet de l’interprétation authentique, du projet de la Convention.3 Je crois que vous y trouverez quelques indications qui peuvent utilement compléter l’analyse de ce texte même. La Ligue des Nations serait essentiellement une alliance défensive de tous ses membres contre quiconque voudrait troubler la paix. En fait, elle est née sous l’empire des souvenirs de 1914 et de la terreur de l’Allemagne.
ad 2°. Comme il sera dans presque tous les cas possible aux membres de la Ligue de se soustraire à la participation à une action militaire répressive, l’institution de la neutralité permanente est moins contraire à l’esprit de ce pacte qu’à celui d’une constitution plus radicale telle que celle que nous avons élaborée. Il ne me paraît donc pas impossible qu’en vertu de notre situation spéciale et en échange des services que nous pourrions rendre à la communauté, on nous accorderait, le cas échéant, le droit de rester neutre ou en tous cas inviolable, tout en devenant membre de la Ligue des Nations et en abritant la capitale à l’intérieur de nos frontières.
ad 3°. Dans l’esprit des Anglo-Américains, auteurs principaux du pacte, la Ligue des Nations ne devait pas constituer une communauté économique. Elle ne devait même régler les questions commerciales que pour assurer à tous ses membres un minimum de liberté sur les marchés du monde. Malheureusement il devient de plus en plus évident que le désir de la France de se servir de la Ligue comme d’un instrument de reconstruction économique intérieure tend à porter atteinte au libéralisme du projet. On parle déjà de restreindre l’application du principe de la porte ouverte aux Colonies, enlevées à l’Allemagne, aux seuls membres de la Ligue. L’Allemagne perdrait ainsi non seulement la propriété politique de ses colonies, mais aussi la possiblité d’y exporter ses produits industriels aux mêmes conditions que ses concurrents, membres de la Ligue. Dans la Commission des réparations et indemnités, j’ai appris que M. le Ministre Loucheur avait demandé le versement annuel de l’Allemagne à la France de cent millions de tonnes de charbon pendant la durée de 99 ans! Cette prétention, manifestement insensée, témoigne du désir de la France de s’assurer le monopole du commerce de charbon dans l’Europe occidentale. Elle a été vivement combattue, notamment par les Anglais, et ne sera sans doute pas maintenue. Je la signale cependant ici pour indiquer la tendance générale de la politique française. Au service d’une politique pareille, la Ligue serait tout sauf une véritable Société pacifique des Nations. Il me paraît évident que cette politique ne triomphera pas absolument, mais j’ai été attristé de constater dans beaucoup de conversations particulières un certain fléchissement de la résistance anglo-américaine à cette conception. Je me permettrai d’y revenir d’un mot ci-dessous.
ad 4°. Personne ne peut dire, car personne ne sait exactement si et quand l’Allemagne sera accueillie dans la Ligue. Pour les uns cela devrait être tout de suite; pour les autres il faudrait attendre le repentir et la régénération complète de l’ancien empire. Un commissaire américain m’a cité hier une parole du président Wilson qu’il avait recueillie de sa bouche. En tout cas, aurait dit le Président, l’Allemagne ne pourra être admise qu’après la reconstruction des régions dévastées. C’est assez vague, mais cela révèle tout de même l’intention du Président d’attendre quelques années avant d’admettre l’Allemagne. Or, dans l’état actuel des esprits, personne ne sera sans doute plus pressé de l’admettre que les Etats-Unis.
Que fera la Suisse dans ces conditions? J’évite toujours soigneusement de préjuger cette question dans mes conversations. Il est de plus en plus évident que tout le monde désire que nous participions à la Ligue des Nations. En signalant les difficultés qui s’opposent à notre participation à une Ligue trop exclusive et trop vindicative, nous pouvons à la longue espérer exercer quelque modeste influence sur la constitution même de la Ligue. Car en cela notre cas est celui de tous les neutres d’Europe. D’autre part, les conversations à ce sujet présentent toujours un côté assez délicat. Si l’on n’y prend garde, on s’expose aux soupçons de plaider la cause de l’Allemagne sous prétexte de plaider la nôtre. Soyez assuré, M. le Conseiller fédéral, que je suis pleinement conscient de ce danger et que je fais tous mes efforts pour l’éviter. Je serais heureux à l’occasion de recevoir des instructions ou du moins des renseignements qui me permettent de connaître les intentions du Conseil fédéral en cette matière.
Permettez-moi de vous rendre compte des deux impressions générales suivantes qui se dégagent de la lecture des journaux d’ici et des innombrables conversations que j’ai eues depuis quelques jours.
La première est relative à la hâte que tout le monde semble vouloir mettre à la poursuite des négociations. Nécessité intérieure d’une démobilisation prochaine, crainte du bolchevisme en Allemagne, désir peut-être aussi chez quelques-uns de profiter de l’absence du Président Wilson pour régler certaines questions territoriales dans un esprit contraire au sien, tout semble concourir à la fièvre qui paraît s’être emparée de certains esprits. Malgré les avantages évidents d’une solution rapide, je doute que ces dispositions soient favorables à la justice et à la paix durable.
L’autre impression dont je voudrais vous rendre compte me paraît encore plus attristante et plus inquiétante. Les malentendus, les conflits même entre la France et les Etats-Unis paraissent se multiplier et s’envenimer tous les jours davantage. En matière politique pure ce sont les questions territoriales qui semblent diviser les deux républiques alliées. La région de la Sarre est ici au centre du débat. Le terme de débat n’est d’ailleurs guère propre, puisque la question des frontières occidentales de l’Allemagne n’est pas encore à l’ordre du jour. Mais on en parle beaucoup dans les conversations particulières et il est fort à redouter que la solution en sera laborieuse et peu satisfaisante. Les prétentions de la France en Syrie et même en Perse sont aussi très mal accueillies dans les milieux américains. Mais c’est surtout dans l’ordre économique que le conflit est aigu. McCormick et Hoover m’ont tous les deux fait les déclarations les plus catégoriques à cet égard. Les Etats-Unis dans leur propre intérêt comme dans l’intérêt général, voudraient supprimer le plus tôt possible toutes les entraves artificielles qui gênent et souvent empêchent le commerce international. La France dans l’intérêt de ses finances, de son change et de ses industries croit sage d’insister sur le maintien du blocus.
La conséquence de cet antagonisme politique et économique ne sera évidemment pas la rupture. Mais ce que j’en redoute le plus, c’est que les Américains, déçus et découragés, renoncent à un moment donné à leurs efforts de faire le bonheur de la France et de l’Europe malgré elles. On n’ose pas penser quel serait le résultat politique et économique d’une attitude pareille. Espérons que l’accueil qui sera fait au Président Wilson à son retour aux Etats-Unis lui permettra de continuer son œuvre de justice sans fléchissement et sans défaillance.
Je vous remercie, M. le Conseiller fédéral, de la dépêche par laquelle le Gouvernement a bien voulu proposer de régler d’une façon définitive ma situation ici.4 Pour ma part je me rallie entièrement à ses propositions. M. le Ministre Dunant, avec qui j’en ai parlé dans un esprit de cordialité et de franchise complètes, fait certaines réserves. Si le projet de m’introduire auprès des délégations principales par une visite faite à deux ne lui paraît pas réalisable, peut-être conviendrait-il d’aviser simplement les légations intéressées à Berne de ma présence ici, en les priant de bien vouloir en aviser leurs gouvernements. Moins on mettra de forme à tout cela et plus je serai satisfait, car je tiens essentiellement, dans l’intérêt même des démarches dont je suis chargé, à la plus grande liberté de mouvement et tout ce qui tend à me faire entrer dans les cadres convenus de la diplomatie tend du même coup à restreindre cette liberté.
Nous attendons donc vos instructions définitives à ce sujet. Je m’y soumettrai bien volontiers quelles qu’elles soient, sauf que je ne saurais accepter d’être rattaché d’une façon formelle à la Légation. Vous connaissez d’ailleurs mes motifs à cet égard.
P.S. M. le Ministre a bien voulu me donner connaissance de la lettre qu’il vous adresse par ce courrier à mon sujet.5 Je suis tout à fait d’accord. Tout ce que je demande, c’est que ceux auxquels je pourrais avoir l’occasion de m’adresser ne puissent concevoir le soupçon que je me vante, lorsque je me présente en qualité de votre délégué officieux. Le mode de la communication ne m’importe nullement.
- 1
- Rapport: E 2001 (B) 1/82.↩
- 2
- Reproduite en annexe.↩
- 4
- Cette dépêche, le télégramme no 40, envoyée à Paris le 21 février, disait: Wir möchten der Mission des Herrn Rappard, der beauftragt ist, Ihnen beizustehen und uns Auskunft über die Absicht der an der Friedenskonferenz vertretenen Mächte zukommen lässt, offiziösen Charakter geben. Um ihm die Fühlungnahme mit den verschiedenen Delegierten zu erleichtern, schlagen wir vor, dass Sie den Chefs der wichtigsten Delegationen mit ihm einen Besuch abstatten, indem Sie ihn als offiziösen Vertrauensmann des Bundesrates vorstellen. Was die Delegierten der weniger wichtigen Staaten anbetrifft, können Sie für diese Vorstellung irgend eine Gelegenheit benützen. Wohlverstanden wird sich Herr Rappard vorzugsweise an die Amerikaner und Engländer wenden. aber wir halten an der Formalität einer allgemeinen Einführung, um den Anschein einer Bevorzugung zu vermeiden. Wollen Sie hierüber Herrn Rappard sprechen und uns wissen lassen, ob er einverstanden sei, und ob nach Ihrem Dafürhalten ein derartiger Schritt mit dem Geiste der Konferenz im Einklang stehe. Wir sind bereit, gegebenenfalls andere Vorschläge Ihrerseits, oder von Seiten des Herrn Rappard, zu prüfen. (E 2001 (B) 1/81). Le Ministre Dunant répondait le même jour: l...] si M. Rappard peut rester à Paris et renoncer pour quelque temps à sa carrière universitaire, il me semblerait beaucoup plus pratique que vous le détachiez à la Légation, où il rendrait certainement de grands services, en plus de son activité officieuse auprès des Américains. Je n’ai point l’intention d’amoindrir un professeur en en faisant le collègue d’humbles fonctionnaires fédéraux; je désire seulement que cette situation soit bien régularisée et il me semble que cela donnerait du reste beaucoup de poids à l’activité de M. Rappard s’il faisait partie de la Légation; son travail, ajouté à ma documentation, serait beaucoup plus utile à notre pays que deux travaux qui, peut-être, se contrecarrent. [...] C’est pourquoi, aimant bien les situations nettes, je vous demande que la question soit examinée de m’attacher officiellement M. Rappard. Pour le cas où cette proposition ne rencontrerait pas votre assentiment, ce que je regretterais, je suggérerais que M. Rappard restât dans la même situation officieuse qu’il avait jusqu’à ce jour, mais qu’il soit alors invité à me communiquer ses rapports afin que je puisse me rendre compte des résultats de son activité et connaître sous toutes les faces les questions qu’il traite; de mon côté, je suis, et très volontiers, en contact permanent avec lui (ibidem). Pour la solution de cette question, cf. no 230, note 1.↩
- 5
- Cf. o 200.↩
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