Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 197
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2200.40-05#1000/1631#11* | |
Dossier title | Société des Nations (1919–1919) | |
File reference archive | I.C.12 • Additional component: Grossbritannien und Nordirland |
dodis.ch/43942
[...]2
Le mercredi étant le jour de réception du Comte Curzon, Gérant de l’Office des Affaires Etrangères en l’absence de M. Balfour, je saisis l’occasion pour aller lui remettre moi-même et de la main à la main, ma note et ses annexes.
En me référant au Mémoire du Conseil Fédéral, j’ai exposé à Lord Curzon le développement historique et la nature de la Neutralité Suisse, librement établie et maintenue par la Confédération comme ligne de conduite politique depuis des siècles et reconnue comme étant dans les vrais intérêts de toute l’Europe par les Grandes Puissances réunies à Paris en 1815. J’ai fait ressortir la différence qui existait entre la neutralité imposée à la Belgique et dont celle-ci paraît maintenant heureuse de se libérer et celle choisie de son plein gré par la Confédération, pour des raisons de politique intérieure et extérieure.
J’ai ajouté que l’Avant-Projet élaboré par la Commission suisse prouvait combien la Confédération tenait à la création d’une Ligue des Nations dont elle serait membre, mais qu’en même temps elle ne voulait pas renoncer à sa politique traditionnelle de neutralité: que l’Avant-Projet proposait une solution dans ce sens, sur laquelle j’appelais son attention, ainsi que sur les systèmes ingénieux suggérés par le Projet pour concilier le principe de l’égalité des Etats avec le nombre nécessairement restreint des juges d’une Cour de Justice Internationale (Statut, articles 13 à 15) et pour garantir les Grandes Puissances du danger d’être mises en minorité par les votes de petits Etats (Statut, articles 25, 60 B et 60 C).
Lord Curzon répondit qu’il connaissait l’histoire de la neutralité suisse, qu’il savait que cette neutralité était dans l’intérêt de l’Europe et qu’en conséquence elle méritait des égards spéciaux, mais qu’il n’était pas à même de dire, dès à présent, si une Ligue des Nations avec pouvoirs coercitifs pouvait recevoir dans son sein des membres qui resteraient neutres dans toutes circonstances; qu’en tout cas le projet sorti des délibérations de Paris ne prévoyait pas cette faculté, mais qu’il serait encore retouché et soumis à la critique de tous les intéressés. A ce sujet, Lord Curzon me dit que le matin même on lui avait demandé si la Ligue des Nations excluait toute alliance particulière entre ses membres, comme par exemple l’Alliance anglo-japonaise; qu’il avait réservé sa réponse, mais qu’il penchait pour l’affirmative. Je le renvoyai aux articles 56 à 58 du Statut de l’Avant-Projet Suisse.J’ajoute quelques remarques sur le projet de Paris:3
1. Ce qui le caractérise et le rend foncièrement différent du Projet Suisse, c’est qu’il se base sur l’Alliance actuelle dont il est en somme la consécration légale et dont il prépare l’extension. D’autres Etats pourront être admis plus tard dans la Ligue, après avoir passé un examen satisfaisant (Article VII).
2. Avec une franchise qui frise la brutalité, les cinq grandes Puissances, les Etats-Unis d’Amérique, la France, la Grande-Bretagne, le Japon et l’Italie, s’adjugent la direction de la Ligue puisqu’elles auront chacune un représentant dans le Conseil Exécutif de neuf membres, tous les autres Etats du monde - il y en a plus d’une quarantaine - devant se contenter, ensemble, de quatre membres (Article III).
3. La possibilité d’être membre de la Ligue et de rester neutre en cas de conflit est expressément exclue par l’article XVI. Mais les Pays n’appartenant pas à la Ligue seront, aux termes de cet article, forcés de s’abstenir de toutes relations financières, commerciales ou personnelles avec la Puissance récalcitrante. De plus, le Conseil Exécutif se réserve le droit de prescrire à chaque Etat membre de la Ligue la manière dont il sera tenu d’agir contre cette Puissance. Enfin, les Parties Contractantes permettront le libre passage, à travers leurs territoires, aux troupes appelées à exécuter les décisions de la Ligue.
4. En cas de dispute entre un Etat membre de la Ligue et un Etat n’appartenant pas à la Ligue et même en cas de dispute entre des Etats dont aucun ne fait partie de la Ligue, ces Etats seront cités devant le Conseil Exécutif, qui leur dictera leur ligne de conduite (Article XVII).
5. Ce n’est que les Pays membres de la Ligue qui jouiront, dans les Colonies administrées par des mandataires de la Ligue, du traitement de la nation la plus favorisée en matière de Commerce et d’industrie (Article XIX).
6. Tous les bureaux internationaux à créer à l’avenir seront placés sous la surveillance de la Ligue; il en sera de même des Bureaux internationaux qui existent déjà, à condition que les signataires y consentent (on saura bien les y forcer) (Article XXII).De ce qui précède il me paraît résulter:
1) A moins d’être remanié de fond en comble, le Projet de Paris est nettement inacceptable pour la Suisse;
2) Même sur la base de notre projet, il sera fort difficile d’obtenir que la Suisse devienne membre de la Ligue tout en été [étant, ayant été?] autorisée à maintenir sa neutralité. Vous savez, Monsieur le Conseiller Fédéral, que j’ai toujours considéré ce problème comme presque aussi insoluble que celui de la quadrature du cercle. Je rappelle la déclaration de Lord Curzon à la Chambre des Seigneurs, déclaration que je Vous ai rapportée dans le temps et d’après laquelle la Grande-Bretagne attachait un grand prix à la création d’une Ligue des Nations principalement pour ne plus être obligée d’avoir des égards (et combien minimes) pour des neutres. Et le Président Wilson n’a-t-il pas dit, au moment de se réembarquer pour l’Amérique, que la question de la liberté des mers ne lui faisait plus de soucis, puisque, sous le Régime de la Ligue, il n'y aurait plus de neutres.4
3) Quoiqu’il en soit, il y a lieu, selon moi, de ne pas perdre de vue que si, à l’occasion de la création de la Ligue des Nations, nous insistons par trop sur la nouvelle reconnaissance expresse de notre neutralité, nous risquons qu’en compensation de la concession toute exceptionnelle qui nous serait faite par la Ligue, notre neutralité prenne un caractère obligatoire, nous privant ainsi d’une partie de notre souveraineté nationale.
- 1
- Lettre (Copie): E 2200 London 31/1 C 12.↩
- 2
- Enumération des documents que le ministre a été chargé de remettre au Gouvernement britannique. Il s’agit du mémorandum du Conseil fédéral du 8 février 1919, cf. no 177, de Vavant-projet suisse d’un Pacte fédéral de la Ligue des Nations ainsi que du rapport du Conseil fédéral du 11 février concernant ce projet, cf no l 78.↩
- 3
- Pour le projet de Pacte de la Conférence des Préliminaires de Paix, cf. no 183, annexe.↩
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