Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 7-I, Dok. 151
volume linkBern 1979
Mehr… |▼▶Aufbewahrungsort
Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2300#1000/716#895* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2300(-)1000/716 395 | |
Dossiertitel | Rom, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 19 (1919–1919) |
dodis.ch/43896
J’ai l’honneur de vous remettre, ci-inclus, un rapport2 qui a été rédigé sur ma demande par un Suisse arrivant de Fiume. Vous y trouverez des détails inédits sur les divers incidents qui se sont produits dans cette ville ces derniers temps.
Depuis lors la situation ne s’est nullement calmée. Bien au contraire. La majorité des journaux continuent à faire campagne pour l’annexion de toute la Dalmatie. Seuls les socialistes font opposition à toute annexion. D’autres journaux, en petite minorité, cherchent une solution intermédiaire et s’efforcent de montrer les dangers d’agrandissements territoriaux qui ne seraient pas entièrement justifiés au point de vue des principes des Nationalités. Parmi ces journaux modérés, le Corriere délia Sera est toujours le plus éloquent.
Mais une foule de faits viennent chaque jour entretenir et raviver les passions nationalistes. C’est le Conseil Communal de Zara qui proclame par un acte public la volonté de cette ville et de toute la Dalmatie d’être réunies à l’Italie. C’est la Chambre du Travail de Zara qui publie un ordre du jour dans le même sens. Ce sont les étudiants Dalmates qui arrivent à Rome, acclamés par leurs collègues et par la population, et qui provoquent de bruyantes manifestations. C’est l’évêque de Spalato qui traverse l’Adriatique pour venir révéler au Pape le progrès du bolchevisme, résultat de l’agitation créée en Yougo-Slavie par les compétitions nationales. Ce sont les encouragements envoyés aux Nationalistes italiens par les Roumains qui dénoncent «l’impérialisme yougo-slave». Ce sont, enfin, chaque jour des nouvelles de conflits entre Italiens et Yougo-Slaves, et des démonstrations violentes sur quelque point de l’Istrie ou de la Dalmatie.
J’ai l’impression que le Gouvernement qui a encouragé lui-même cette campagne, utile à ses revendications à la Conférence de Paris, commence à s’effrayer des proportions qu’elle a prise mais se trouve empêché de jeter un peu d’eau froide sur toute cette ébullition. En effet, les manifestations nationalistes ont fini par provoquer des contre-manifestations dans les milieux socialistes, que je vous ai signalées récemment et qui continuent: les éléments révolutionnaires ne manquent pas d’exploiter tout ces bruits et cherchent à montrer aux masses qu’on veut entraîner l’Italie dans de nouvelles aventures sanglantes.
Les ennemis de la France - et ils sont nombreux dans les milieux conservateurs - trouvent dans ces querelles l’occasion de prétendre une fois de plus que l’Italie a été jouée par la France, qui s’est servie d’elle pour réaliser ses idées de revanche et qui maintenant conteste à l’Italie le fruit de ses victoires. Dans les milieux cosmopolites on assiste à des discussions curieuses et pénibles, et l’on entend les personnés les plus raisonnables, prononcer les paroles les plus injustes. Le nationalisme qui est le sentiment dominant et caractéristique de cette époque, et qui a remplacé dans les classes dirigeantes tout autre sentiment collectif tel que la foi religieuse ou le respect monarchique, produit partout les mêmes résultats. Chacun ne voit que l’intérêt de son pays, la grandeur de sa race et ses droits personnels. Et nul ne tiendrait compte des idées de M. Wilson, si elles ne répondaient pas aux aspirations encore mal exprimées des masses populaires. C’est une constatation évidente mais douloureuse. Et nous sommes les seuls, nous autres Suisses, qui soyons arrivés à une conception de patriotisme plus éclairée et plus humaine.
Au point de vue économique, on ne note pas encore de changements sensibles. Les prix des denrées sont toujours aussi élevés, sauf quelques exceptions: par exemple le lait qui se payait un franc le litre, est tombé à soixante-dix centimes; les œufs qui se payaient un franc pièce, sont tombés à soixante centimes. Les restrictions sont toujours sévères et l’on note devant les épiceries, les laiteries et même devant les marchands de tabac, des queues interminables surveillées par la gendarmerie. Ce peuple supporte avec une patience admirable les privations dont il n’avait autrefois aucune idée. Le peuple italien a fourni au cours de cette guerre des preuves de résistance vraiment extraordinaires et dont, à l’étranger, on ne le croyait pas capable.
Un de mes collaborateurs vient d’avoir une conversation intéressante avec Mgr. Tedeschini, Substitut Secrétaire d’Etat du St. Siège, qui lui a fourni les détails suivants sur l’attitude de la papauté à l’égard de la Conférence de Paris:
Le St. Siège n’est pas représenté officiellement, comme vous savez, à la conférence, mais il s’en félicite vivement car il a compris que la situation d’un représentant du Pape au milieu des conflits des diplomates, serait à cette heure-ci très épineuse. Le St. Siège a cependant chargé Mgr. Cerretti de se tenir en contact avec M. Wilson et avec d’autres délégués de Puissances. Il se peut que ce prélat se rende ensuite de Paris en Amérique. Le Pape n’aurait, pour le moment, aucune intention d’intervenir dans les discussions internationales. Il se réserve cependant d'intervenir plus tard dans les conférences postérieures, et il ne manquera pas de soulever la question de la situation du St. Siège, pour demander aux Puissances des garanties internationales qui lui font défaut à cette heure. C’est du moins ce que Mgr. T. a laissé comprendre. Il ne faut pas oublier, en effet, que si l’autorité du Pape est reconnue officiellement par la plupart des Etats, elle ne jouit pas cependant de garanties spéciales de la part de ces Etats. La seule Puissance qui ait garanti au Souverain Pontife sa souveraineté, est l’Italie; mais la loi des garanties votée par le Gouvernement italien lorsque Rome fut proclamée capitale du Royaume, n’a jamais été reconnue par le Pape lui-même. L’Italie, si elle devenait républicaine ou socialiste, pourrait donc invoquer ce fait contre la papauté. Il me paraît donc naturel que le Gouvernement pontifical désire recevoir de la part des autres Etats des assurances plus précises.
Mgr. T. nie l’existence de négociations entre le St. Siège et le Gouvernement italien. Cependant chacun sait, comme je vous l’ai écrit récemment, que les relations sont de plus en plus étroites entre le Quirinal et le Vatican, mais elles ne sont pas de caractère officiel.
Vous savez qu’il vient de se former en Italie un parti catholique populaire, à bases démocratiques, qui ne manquera pas de faire parler de lui dans les prochaines élections. On se dit enchanté, au Vatican, de cet événement. Le non expedit n’existe plus. Les catholiques italiens ne sont plus empêchés de se rendre aux urnes; au contraire, on les y encourage. Le Pape, sans intervenir le moins du monde dans les questions politiques intérieures, est heureux d’avoir un parti sur lequel l’Eglise puisse s’appuyer. Il aura ainsi un moyen d’action sur le Gouvernement italien. Maintenant que l’Autriche ne compte plus et que la France a rompu ses relations avec le St. Siège, il me paraît naturel que la papauté désire pouvoir compter sur le Gouvernement italien pour faire valoir les intérêts de l’Eglise romaine dans les pays d’outre-mer et spécialement en Asie.
Mgr. Tedeschini approuve vivement que la Suisse fasse valoir sa situation d'Etat neutre et maintienne avec énergie son indépendance absolue. Au sujet de l’entrevue du Pape avec M. Wilson, il affirme que la question de la situation de l’Eglise catholique n’a pas été abordée. Nous devons en conclure que la conversation du Pape avec le Président n’a eu d’autre objet que la Ligue des Nations et la situation générale de l’Europe.
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