Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 98
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.41-02#1000/1671#9079* | |
Old classification | CH-BAR E 2200.41-02(-)1000/1671 905 | |
Dossier title | Affaires commerciales, Teil 2 (1919–1919) | |
File reference archive | 2/51-100 |
dodis.ch/43843 Le Directeur général de la Société Suisse de Surveillance économique, H. Grobet-Roussy, au Chef du Département de l’Economie publique, E. Schulthess1
Suivant votre désir, j’ai l’honneur de vous transcrire ci-après les quelques renseignements intéressants que j’ai pu obtenir de M. le Ministre Clémentel dans deux séances qu’il m’a fait l’honneur de m’accorder.
Ces renseignements sont les idées ou projets personnels de ce Ministre sur la future politique économique des Alliés.
La France se trouve actuellement, au point de vue économique et au point de vue des matières premières qui sont entre les mains des commerçants et des industriels, presque dans la même situation que nous-mêmes nous nous trouvons vis-à-vis de la concurrence étrangère. Le prix de revient de ses produits est si élevé que les Anglais et les Américains pourraient importer en France les produits fabriqués à un taux bien inférieur au coût de la matière première elle-même. C’est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons nous-mêmes vis-à-vis de l’Allemagne qui nous a vendu les fers, les charbons, etc., à des prix trois ou quatre fois supérieurs à ceux que ses propres industriels ont pu se procurer les mêmes marchandises.
Il y a donc lieu, d’après M. Clémentel, de régler la situation dans un certain nombre de conférences interalliées pour, avant de commencer les pourparlers de paix, établir la situation économique future afin que les Alliés soient tous sur le même pied et obtiennent pour l’avenir ce que M. Clémentel appelait un «fair start», c’est-à-dire un départ loyal.
Lorsque cette situation aura été établie et lorsque, la paix étant signée, les Alliés étudieront les nouveaux traités de commerce avec les Neutres et avec leurs anciens ennemis, M. Clémentel veut proposer un régime nouveau.
Tout d’abord, abolition complète de la clause de la nation la plus favorisée, en tant que clause générale. Puis, comme les Parlements déclarent qu’ils sont seuls compétents pour discuter et décider les tarifs douaniers, il y aurait lieu d’établir un tarif minimum dont les taux seraient juste assez élevés pour couvrir le coût de la production nationale, soit industrielle, soit agricole. Puis d’établir également un tarif général assez élevé pour donner satisfaction aux plus enragés protectionnistes, sans toutefois tomber dans l’exagération ou le ridicule.
Pour les Alliés et pour les Neutres amis on établirait alors une liste des matières et des produits absolument nécessaires pour la vie du pays, par exemple les métaux, les corps gras, les céréales, les denrées alimentaires, etc., et le tarif de ces produits serait établi au tarif minimum. Aux autres marchandises moins nécessaires ou indispensables on appliquerait un tarif qui serait discuté entre les intéressés et qui pourrait être, suivant les articles, le 30, 40 ou 50% du tarif général. On aurait ainsi un régime beaucoup plus élastique que celui actuel et on pourrait donner satisfaction aux deux courants libres échangistes et protectionnistes.
Entre la Suisse et les Pays alliés, le traité futur serait facile à établir au moyen de concessions mutuelles sur le tarif concernant les articles principaux indiqués plus haut.
M. le Ministre Clémentel m’a affirmé que le Gouvernement français, spécialement son Président M. Clemenceau, ainsi que les Gouvernements alliés unanimes, sont absolument décidés à donner à la Suisse une indépendance économique beaucoup plus grande que celle dont elle a joui jusqu’à maintenant. Ils sont unanimes à reconnaître la nécessité absolue de l’existence et de la neutralité de la Suisse. Il est donc nécessaire de la placer dans la position la plus favorable pour qu’elle puisse vivre sans être dépendante, comme jusqu’à maintenant, de l’un ou de l’autre de ses grands voisins.
Partant de cette idée, M. Clémentel est persuadé que nous obtiendrons:
1.) Du côté du Nord, navigation libre sur le Rhin et il verrait d’un œil très favorable la création d’une société franco-suisse (alsacienne-suisse) qui entreprendrait la navigation sur le Rhin.
2.) Du côté sud, organisation la plus rapide possible de la navigation sur le Rhône.
3.) Du côté de l’Océan ou de la Méditerranée, les facilités les plus grandes nous seraient accordées pour la circulation de nos trains jusque dans un port qui nous serait désigné et dans lequel nous aurions un ou plusieurs quais qui nous seraient cédés à des conditions favorables.
Cela reviendrait en quelque sorte à établir une ligne Suisse-Océan ou Suisse-Méditerranée.
Comme les Alliés reconnaissent également qu’il ne suffit pas de nous donner les matières premières et les produits nécessaires pour occuper notre industrie, mais que si ces industries veulent pouvoir vivre, il est de toute nécessité de pouvoir également exporter, ils sont d’accord de nous faciliter de toute façon l’exportation chez eux ou en transit par la France vers les Neutres du Nord ou d’Outre-Mer.
M. Clémentel demande que nous lui fournissions un rapport contenant toutes les indications que nous jugerions utiles sur ce sujet et il s’engage de les discuter lui-même avec les Ministères compétents.
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- Lettre (Copie): E 2200 Paris 1/1517.↩