Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 89
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E7350#1000/1104#3* | |
Dossier title | England (1914–1918) | |
File reference archive | 1 |
dodis.ch/43834 Le Département de l'Economie publique aux Gouvernements français et britannique1
A l’occasion des négociations relatives à un nouvel arrangement économique2, le Gouvernement des Etats-Unis a exprimé le désir que la Suisse continue à procurer au Gouvernement de la République française ou à une organisation désignée par lui un crédit mensuel de 15 millions de francs et qu’en outre la Suisse proroge d'une année l’arrangement financier conclu entre elle et le Gouvernement de Sa Majesté Britannique. Ces deux mesures obligeraient la Suisse à accorder chaque mois un crédit de 25 millions de francs en tout.
Après un examen approfondi, le Conseil fédéral suisse a prié le Gouvernement américain de laisser tomber la condition prérappelée et il fait appel à l’amitié éprouvée des Gouvernements de Sa Majesté Britannique et de la République française, en leur demandant aussi de bien vouloir renoncer à la stipulation de nouveaux crédits de la part de la Suisse. Il va sans dire que le Conseil fédéral fait cette démarche uniquement parce qu’il a conscience qu’elle est inévitable en raison de la situation économique de la Suisse et il est persuadé que les deux Gouvernements pourront facilement se convaincre que la Suisse ne manque pas de bonne volonté de donner suite au désir exprimé, mais qu’elle n’a pas la possibilité de le faire. Ce n’est que par suite des circonstances extraordinaires que la Suisse, au cours des mois écoulés, a pu assumer très exceptionnellement le rôle de bailleur de fonds à l’égard d’Etats beaucoup plus grands et incomparablement plus forts au point de vue économique. D’importantes commandes de munitions et de matériel de guerre, des livraisons de bois et, pendant un certain temps, le lait condensé, déplacèrent la balance commerciale: les Etats européens avaient à faire à la Suisse des paiements supérieurs à ceux qu’ils recevaient d’elle, d’autant plus que les importations restaient inférieures aux quantités qui avaient été reconnues comme normales. Ces crédits comportaient donc à vrai dire un sursis au paiement du prix de vente des marchandises achetées en Suisse et celle-ci n’était pas obligée d'exporter des fonds. C’est ainsi que successivement, elle a accordé et assuré officiellement aux pays de l’Entente des crédits pour un montant de 387,5 millions. Toutefois même dans ces conditions exceptionnelles, ces crédits eurent pour effet de raréfier l’argent et d’augmenter sensiblement le taux de l’intérêt. Le taux d’escompte suisse dut être porté à 572%. Malgré toute la bonne volonté, 500 millions de dettes flottantes de la Confédération, des chemins de fer fédéraux, des cantons et communes ne peuvent être consolidées; l’émission des billets par la Banque Nationale Suisse a atteint un chiffre dépassant toutes les prévisions; la proportion de la couverture métallique est en diminution constante; aussi tout nouveau crédit accordé à l’étranger forcerait la Suisse à envisager une modification de la loi sur la Banque Nationale. Mais la conséquence la plus défavorable consiste en ce que particulièrement l’industrie suisse ne peut plus se procurer les capitaux nécessaires à son exploitation.
Si la Suisse devait pendant ces prochains mois accorder à l’Angleterre et à la France des crédits mensuels pour un montant de 25 millions de francs, la situation s'aggraverait encore. Il s’agirait en réalité d’une exportation effective de fonds, car les crédits ne seraient plus utilisés, comme précédemment, pour l’achat de marchandises en Suisse.
D'autre part, la France et l’Angleterre chercheront sans doute à développer leurs débouchés. Or, l’exportation de fonds priverait la Suisse de sa puissance d’achat et l’empêcherait dans une forte mesure d’être la cliente des Etats en question.
La Suisse doit en outre effectuer d’importants paiements à l’étranger pour assurer ses transports maritimes et compléter ses stocks devenus très restreints. De l'avis de tous nos financiers, l’octroi de crédits entraînerait pour notre vie économique les conséquences les plus funestes.
Les perspectives qui s’ouvrent inquiètent vivement le Conseil fédéral. Aussi s’adresse-t-il en toute sincérité aux Gouvernements de la République et de Sa Majesté Britannique pour leur exposer les dangers qui de ce chef menacent la Suisse.
Fermement résolu à maintenir l’ordre, le Conseil fédéral doit chercher à éviter tout ce qui pourrait affaiblir la force de résistance de l’industrie suisse, paralyser sa puissance de production et, surtout, provoquer le chômage, lequel, avec la disette de denrées alimentaires est, dans chaque pays, l’allié le plus dangereux de tout mouvement subversif.
C'est pourquoi le Conseil fédéral prie le Gouvernement de Sa Majesté Britannique et le Gouvernement de la République française de bien vouloir déclarer à Washington qu'ils consentent à ce que la question des crédits ne soit pas mise en relation avec l'arrangement prévu, de manière que celui-ci puisse être conclu sans stipulation de ce genre, la prompte conclusion de cet arrangement étant une question vitale pour la Suisse. En outre, il prie les Gouvernements anglais et français d'examiner la situation économique actuelle de la Suisse avec leur bienveillance traditionnelle qui ne s’est jamais démentie durant la guerre. Le Conseil fédéral est prêt à fournir encore de plus amples renseignements sur la situation de la Suisse, par l’organe de délégués ou par toute autre voie. Il est persuadé que les deux Gouvernements, désireux, comme toujours, d’éloigner de la Suisse tout ce qui pourrait l'affaiblir et nuire à son existence, se décideront à renoncer aux crédits en question, qui ne leur sont plus nécessaires pour faire face à leurs paiements en Suisse et qui mettraient la Suisse dans une situation critique.
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Economic and financial negotiations with the Allies (World War I)