Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 6, doc. 255
volume linkBern 1981
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2300#1000/716#756* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2300(-)1000/716 339 | |
Titolo dossier | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 70 (1917–1917) | |
Riferimento archivio | 129 |
dodis.ch/43530
Le message du Président Wilson a été publié ce matin par la presse parisienne. J’ai voulu aller en parler à M. Jules Cambon, mais il n’est pas venu au Ministère.
M. Berthelot, le Père Joseph des derniers ministres des Affaires étrangères, m’a dit qu’il considérait ce message comme une manifestation individuelle, unilatérale d’un idéologue. Un Européen, professeur de droit international revenant d’une conférence à La Haye, n’oserait pas publier en Europe des rêveries de ce genre. Il n’est pas possible de prendre cela au sérieux.
Un ministre français, avec lequel j’avais à traiter ce matin d’autres affaires, m’a dit, en ayant soin de préciser qu’il parlait à titre archi-personnel et non comme membre du Gouvernement, qu’il considérait le message du Président Wilson avec son cœur. Il y trouve notamment la pensée qu’il faut éviter l’écrasement d’un des groupes belligérants, parce que ce serait provoquer la revanche et faire recommencer la guerre; cette pensée est juste, a-t-il dit. Allons-nous faire tuer un million d’hommes et dépenser cent milliards pour nous trouver, peut-être, dans quelques mois, à peu près au même point qu’actuellement? Ne convient-il pas d’examiner sérieusement si cette hécatombe ne peut pas être évitée? Au fond, après la bataille de la Marne et alors que les Allemands avaient manqué leur but, on aurait dû traiter; on aurait pu peut-être obtenir alors la même paix qu’on obtiendrait aujourd’hui ou qu’on obtiendra dans quelques mois après de nouveaux et effroyables sacrifices d’hommes et d’argent. A ce point de vue, le message Wilson peut et doit être pris en très grande considération.
Le représentant à Paris d’un des gouvernements alliés me dit qu’il est difficile de partager l’opinion de M. Berthelot, car les Etats-Unis représentant pour les Alliés une masse si puissante, il leur est si facile d’exercer une action décisive en ralentissant les arrivages de munitions, de céréales, de pétrole et de fonds, qu’on ne peut et ne doit pas les froisser.
A première vue et après un examen malheureusement superficiel, car j’ai dû recevoir du public sans interruption depuis ce matin et notre chancellerie a été envahie par les mobilisés, à première vue, dis-je, on peut relever dans le message, à côté d’un sentiment de très grand orgueil des Etats-Unis, quelques idées importantes pour notre pays. La première est qu’il ne faut pas d’écrasement d’un groupe de belligérants. Or pour la Suisse ce point serait capital puisque, dans l’intérêt de notre indépendance et de notre commerce extérieur, nous avons besoin à la fois d’équilibre et d’acheteurs à l’étranger; je vois bien que le Président Wilson ne veut plus parler d’équilibre, mais lorsqu’il demande qu’il n’y ait plus d’écrasés, cela aboutit en fait à un certain équilibre.
Le second point est la liberté de commerce maritime et le libre accès à la mer pour tous. Ici, on interprète ce dernier passage comme signifiant que la Russie devra pouvoir passer les Détroits du Bosphore et des Dardanelles; est-il exagéré de supposer que le Président a pensé à la Suisse et peut-être à la Serbie? Dans cet ordre d’idées, l’Angleterre du temps de Salisbury avait, il y a vingt ans, émis confidentiellement l’opinion qu’il pourrait être dans l’intérêt du monde d’internationaliser certains points dangereux, s’ils sont placés entre les mains d’une grande Puissance; mais je suppose qu’elle visait Panama et l’accord ne s’étant pas fait pour l’internationalisation de Panama, l’Angleterre a mis la main sur l’Egypte en même temps qu’elle laissait les Etats-Unis mettre la main sur Panama. Reprendrait-on ce programme avec une armée internationale pour occuper les points critiques?
Quant à l’idée de l’égalité des Etats et du respect des petits Etats, évidemment, nous ne pouvons que saluer avec satisfaction ce qu’écrit à ce sujet le Président Wilson, comme aussi ce qu’il écrit au sujet du droit des peuples de disposer euxmêmes de leur sort; mais l’Angleterre n’a pas fait voter les Boers avant de les annexer, pour ne parler que des Boers. Je ne crois pas que les Etats-Unis aient fait voter les habitants du Texas, de la Californie, de l’Arizona ou des Philippines et la manière dont ils traitent le Mexique augmente mon scepticisme. Je ne vois pas la Russie faisant voter par les Turcs de Constantinople leur annexion à l’Empire des Tsars et en France il est entendu qu’on ne ferait pas voter les Alsaciens parce qu’il s’agit seulement de recouvrer une province volée. Enfin, toute l’organisation d’Etats-Unis d’Europe ou d’Etats-Unis du monde est formulée en termes tellement vagues qu’il est impossible de se rendre compte clairement de ce que le Président Wilson a en vue.
Ce qui me paraît le plus important dans le message, c’est que le Président, non seulement ne se décourage pas, mais insiste pour connaître les prétentions de toutes les parties en guerre et surtout, je le répète, pose en principe qu’il ne faut pas •d’écrasement si l’on veut arriver à une paix durable. Sur ce terrain, le message vise des résultats pratiques, pouvant amener rapidement la fin des hécatombes et le ton général semble impliquer l’arrière-pensée d’insister; le Président a enveloppé suffisamment sa pensée pour qu’il n’y ait pas encore là une offre de médiation américaine qui peut inquiéter les Européens, mais il semble faire sentir un commencement de pression. A cet égard, la note me paraît habile parce que volontairement vague. Dans les milieux intransigeants on partagera ici l’opinion de M. Berthelot; je ne crois pas que les peuples, et notamment les peuples belligérants, considéreront le message comme une quantité négligeable.
Le temps m’a manqué, je le répète, pour réfléchir et pour me renseigner, mais j’ai pensé qu’il convenait de profiter du départ du courrier ce soir pour jeter sur le papier ces quelques réflexions.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Paris, Archiv-Nr. 70.↩
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