Thematische Zuordung Serie 1848–1945:
I. INTERNATIONALE LAGE
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 5, doc. 18
volume linkBern 1983
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#743* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 337 | |
Titre du dossier | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 57 (1904–1904) |
dodis.ch/42873 Der schweizerische Gesandte in Paris, Ch. Lardy, an den Bundespräsidenten und Vorsteher des Politischen Departementes, R. Comtesse1
En vous annonçant le 26 mars2 l’approche de la conclusion d’un accord francobritannique, je terminai en posant la question de savoir pourquoi c’était précisément au cours de la guerre russo-japonaise que se produisait ce rapprochement entre les alliés des deux adversaires de l’Extrême-Orient. Cela ne me paraissait pas clair et j’ajoutai que cela pouvait même faire entrevoir certaines perspectives inquiétantes.
Depuis lors les accords anglo-français sont devenus publics et je vous ai signalé le 28 mars3 leur commencement de mise à exécution sous la forme d’un prêt français d’une cinquantaine de millions fait au Maroc dans le but, entre autres, de rembourser et d’évincer les créanciers anglais et expagnols du Sultan.
L’Ambassadeur de Russie à Paris M. Nélidow a déclaré à un reporter du journal «Le Temps» que son Gouvernement avait été prévenu de ce qui se passait, que la Russie était entièrement d’accord et qu’elle voyait non seulement sans regret mais avec plaisir disparaître des causes de dissentiments entre la France et l’Angleterre. Je dois dire que d’autres membres de l’Ambassade de Russie ne tiennent dans l’intimité pas tout à fait le même langage que M. Nélidow et affectent de ne voir dans cet arrangement anglo-français que de la poudre jetée aux yeux du public, qu’un immense bluff, dont la mise en scène a été soignée avec un talent remarquable par la presse des deux côtés de la Manche. Le ton du personnel subalterne de l’Ambassade de Russie ne peut pas être considéré comme aimable à l’égard de la France ces jours-ci.
L’Ambassadeur d’Italie Tornielli qui est très réservé et très froid considère aussi les arrangements, pris en eux-mêmes, comme sans valeur extraordinaire. A la longue, il était selon lui impossible à la France de continuer à empêcher l’Egypte d’employer en Egypte les boni du service égyptien de la dette, car cela aurait fait perdre à la France ce qui peut lui rester de popularité en Egypte. Les rectifications de frontière au Soudan sont du bluff. Quant à l’expansion française au Maroc l’avenir seul dira si le jeu en vaut la chandelle; cela dépend de trop de facteurs et cela sera trop long pour qu’on puisse savoir si et comment la France pourra tirer parti de ce blanc-seing de l’Angleterre, si et comment elle pourra suicider par persuasion le Sultan du Maroc, si et comment elle pourra écarter les objections des Etats tiers. Comme d’habitude - a ajouté Tornielli - les cadeaux de l’Angleterre ressemblent un peu aux cadeaux des anciens Grecs «timeo Danaos et dona ferentes». Ce qui est préoccupant pour Tornielli, et c’est précisément ce qui m’a préoccupé dès la première minute, c’est de savoir pourquoi de tels arrangements ont été pris entre Paris et Londres précisément alors qu’il y a guerre entre les alliés des deux parties contractantes.
Tornielli est convaincu qu’en première ligne la France et l’Angleterre, grandes puissances asiatiques l’une et l’autre, ont dû se dire que l’avenir était suffisamment chargé de nuages en Asie pour qu’il ne fût pas opportun de régler tout ce qu’on pouvait régler dans d’autres parties du monde. Elles y sont parvenues et cela prouve tout au moins leur très vif désir de conserver à la lutte russojaponaise le caractère d’un duel. Chacun le sentait, mais aujourd’hui cela est démontré et c’est heureux. Peut-être même doit-on voir là le secret désir des Gouvernements de Paris et de Londres de rechercher sans cesse en commun le moyen de mettre un terme au duel d’Extrême-Orient. Après ces banalités Tornielli a laissé échapper ces mots qui m’ont étonné dans la bouche d’un homme aussi réservé: «Ne vous y trompez pas, l’Empire d’Allemagne a eu tort de ne pas résister au courant populaire hostile aux Anglais, les Allemands sont diablement isolés à l’heure actuelle et je me demande si les Autrichiens, voyant d’où vient le vent, ne tourneront pas aussi.»
La conversation a fini sur ces mots significatifs.
A l’Ambassade d’Angleterre, où l’on continue à tenir le langage que je vous ai rapporté le 26 mars, on a cependant une tendance à ajouter une petite pointe anti-allemande: «Nous aurions pu nous entendre avec les Allemands peut-être aussi bien qu’avec les Français et de certains points de vue, cela aurait peut-être mieux valu; mais les Allemands ont vraiment eu contre nous une attitude trop hostile pendant la guerre sud-africaine et il nous faudra beaucoup de temps pour l’oublier. Les Français ont avec beaucoup d’habileté saisi le moment favorable. Ils ont compris que nous désirions régler avec elle et aussi avec la Russie tout ce qui nous divise. Dans les derniers temps, Lord Lansdowne a essayé de traiter avec les Russes sans aboutir. L’accord anglo-français qui ne nous coûte rien, nous permettra de reprendre les pourparlers avec les Russes dans les meilleurs conditions et nous ne désespérons pas d’arriver à un accord avec eux sur ce qui nous divise au Thibet et au Golfe Persique. De bonnes relations entre la France et l’Italie ne nous inquiètent pas, au contraire, car l’Italie ne peut vivre sans nous. Elle est politiquement obligée de vivre en bons rapports avec nous.»
Vous voyez, Monsieur le Président, que derrière l’accord anglo-français qui par lui-même ne représente pas grand-chose et ne vaut que par les conséquences que l’on pourra ou voudra en tirer, il semble y avoir chez les Anglais et chez leurs satellites les Italiens la possibilité d’une pointe anti-allemande. Tornielli a cependant ajouté, et cela est important: «Je crois que les Français se trompent, s’ils croient pouvoir tirer de la situation nouvelle les moyens d’arriver à ce qui est au fond de leur pensée, la revanche.»
Il n’en reste pas moins possible que nous soyons arrivés à un de ces moments où les yeux doivent être constamment ouverts. Je ne crois pas qu’il faille nécessairement conclure à des déplacements d’équilibre, du seul fait de cet accord anglo-français conclu avec tapage; mais tous les indices de la possibilité d’un changement de vent doivent être notés et c’est pour cela que j’ai cru devoir vous relater les deux conversations résumées plus haut; évidemment la girouette italienne est celle qui tourne le plus facilement et je me rappelle qu’à l’époque où nous construisions les forts du Gothard pour empêcher les Italiens et les Allemands de se donner la main en Suisse, Mr. Welti me disait: «Nul ne peut savoir si ces ‹forts ne serviront pas contre les Italiens alliés des Française» Le roi d’Italie doit redouter que derrière un rapprochement trop intime entre l’Italie et la France il ne soit guetté par la République italienne.
Il est possible aussi que la France redoutant un affaiblissement de la Russie ait senti le besoin d’une réassurance anglaise contre l’Allemagne, dont la puissance est restée intacte tandis que de longues guerres coloniales ont affaibli les Russes et les Anglais. Bismarck a pratiqué ce système de réassurance et personne ne peut reprocher à M. Delcassé de suivre cet exemple, qui a somme toute assuré le maintien de la paix en Europe.
Conclusion: Il n’y a pas de motif de s’inquiéter, mais nous traversons une période dans laquelle il ne faut pas craindre de soulever diverses hypothèses possibles et surtout au cours de laquelle il faut avoir l’œil ouvert, en conservant le plus grand sang-froid.
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