Classement thématique série 1848–1945:
I. SITUATION INTERNATIONALE
1. Alliances et relations entre puissances
1.12. Relations franco-italiennes
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 4, doc. 434
volume linkBern 1994
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#742* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 337 | |
Titre du dossier | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 56 (1903–1903) |
dodis.ch/42844 Le Ministre de Suisse à Paris, Ch. Lardy, au Président de la Confédération et Chef du Département politique, A. Deucher1
Les Souverains italiens ont été reçus à Paris par la population à peu près comme l’avait été le Roi dAngleterre2 c’est-à-dire poliment et avec une nuance un peu plus chaude, parce que l’Anglais est toujours ici quelque peu l’ennemi héréditaire et surtout parce que la Reine avait accompagné son mari. Je n’ai pas entendu un seul cri discordant; j’ai entendu quelques rares «Vive le Roi» et d’assez nombreux «Vive la Reine». Comme d’habitude on avait exagéré ici les festivités, et les malheureux souverains n’ont pas caché à plusieurs diplomates qu’ils étaient morts de fatigue. Le Roi, auquel j’ai eu l’honneur d’être présenté après un dîner par l’Ambassadeur d’Italie, ne m’a parlé que de choses militaires; il paraît plus vieux que son âge, a une figure sérieuse, intelligente et énergique, et on a eu ici généralement l’impression qu’il n’était pas le premier venu. Si cela peut Vous intéresser j’ajouterai que le roi Edouard VII rentrant le printemps dernier d’Italie en Angleterre par Paris, a dit à l’Ambassadeur Monson qu’il considérait Victor-Emmanuel III «comme un homme tout à fait hors-ligne et capable de faire de grandes choses».
Quant au côté politique de ce voyage, on est généralement de l’avis que le roi s’est amené à Paris et a imposé à la reine les fatigues du voyage dans un but financier. La préparation de l’opinion publique par la presse a été faite de main de maître depuis des mois et il n’y a guère que des financiers pour savoir influencer à ce point les journaux, cela a dû coûter fort cher de faire accepter et presque acclamer un souverain de la Triplice par les Parisiens; puisque cela coûte cher, il faut qu’il y ait une forte opération financière en perspective. Cette opération ne peut être que la conversion de la Rente italienne 5% en 31/2. Il y a 3 à 4 milliards de Rente italienne en France. Ce qui me confirme dans cette impression c’est une conversation que j’ai eue en sortant d’un dîner royal au Ministère des Affaires étrangères avec le vice-président d’une des Chambres, personnage important et plusieurs fois ministre; c’est aussi le fait que le seul Français non officiel présenté au roi à l’Elysée a été le chef de la maison Rotschild; je suis sorti du palais en même temps que lui et n’ai pu m’empêcher de lui rappeler une conversation que nous avions eue sur l’Italie chez le Ministre des Finances Magnin, il y a une douzaine d’années3, à l’occasion d’une conférence monétaire; aujourd’hui, le baron Alphonse de Rotschild pavoise sa maison et ses bureaux de drapeaux italiens; alors, il me disait qu’il n’avait pas étudié l’histoire pour encombrer sa mémoire d’un certain nombre de dates, mais pour en tirer des conclusions pratiques; que toute l’histoire faisait de l’Italie une ennemie de la France et qu’il fallait arriver à doter l’Italie d’une République parce que la république serait pour elle le gouvernement le plus cher et le plus mauvais. Il est évident que les temps ont beaucoup changé puisque le célèbre baron arbore le drapeau rouge-blanc-vert.
Il est impossible de savoir ce que l’Italie a dit à la France au sujet du Maroc dans les derniers mois. L’Angleterre, particulièrement intéressée à être renseignée à ce sujet, n’a rien pu apprendre au dire de l’Ambassadeur Monson. Monson ajoute que M. Delcassé, dans ses conversations, pose comme un aphorisme que la France seule a une influence à exercer au Maroc, ce que, ni à Madrid, ni à Londres on n’est disposé à accepter dans ces termes. Monson ajoute qu’à Madrid on est fort déprimé, que l’Ambassadeur de France Jules Cambon s’y démène beaucoup, tandis qu’à Paris l’Ambassadeur d’Espagne serait tout à fait sous l’influence de la France. Tout cela prouve que malgré les dénégations britanniques antérieures, on cause «Maroc» entre Paris et Londres.
Quant au Traité d’arbitrage anglo-français, j’ai constaté un bon et large sourire qui a dégénéré en vrai rire, aussi bien chez Monson que chez un des gros bonnets du Ministère français des Affaires étrangères. Ce traité est une simple satisfaction académique donnée aux cercles parlementaires qui se sont faits de l’arbitrage une sorte de carrière; il n’y a rien dans ce traité, ni obligation générale, ni obligation spéciale, ni désignation de l’arbitre, c’est du vent.
Bien que M. Delcassé fasse l’étonné lorsqu’on lui parle du voyage du Comte Lamsdorff à Paris et en parle comme d’un projet éventuel pour le cas où Lamsdorff se rendrait à Darmstadt, il paraît certain que le Ministre russe des Affaires étrangères se rendra en France prochainement (France ne signifie pas nécessairement Paris). Deux personnes bien au courant des affaires russes me disent que la chute du Ministre des Finances Witte a eu pour conséquence ou pour cause un coup de barre à droite dans la politique intérieure russe. Le monde des grandducs, des fonctionnaires, des gens qui vivent des abus de l’autocratie, prend plus d’importance que du temps de Witte et cherche à entraver les tentatives de réforme foncière et de développement industriel de ce ministre. Dans les milieux dont il s’agit, on semble avoir une tendance à trouver qu’à Paris et à Rome on va trop à gauche, qu’en France et en Italie les Gouvernements abdiquent trop la direction et laissent trop des groupes parlementaires de gauche faire de la politique extérieure. En d’autres termes ce parti chercherait à agir sur le Czar, pour le détacher d’une politique d’exportation radicale et républicaine italo-française qui pourrait aboutir à une amitié avec les partis avancés dans les pays slaves. Tant que le Comte Lamsdorff reste Ministre des Affaires étrangères à St-Pétersbourg et M. Delcassé à Paris, il n’y a pas de changement de politique à redouter, mais si le Comte Lamsdorff venait à être éliminé, cela pourrait être l’indice d’un changement de tendance à Pétersbourg. Une fraction du parti réactionnaire russe aurait même une tendance à chercher dans une guerre extérieure une diversion aux graves embarras de la politique intérieure, ce qui rend d’autant plus important le maintien de Lamsdorff au pouvoir parce que Lamsdorff est résolument pacifique. Il paraît au surplus que le calcul tendant à une diversion extérieure par la guerre serait tout à fait faux, pour ceux qui connaissent la Russie, parce qu’une révolution éclaterait plus facilement si l’armée est occupée au dehors.
L’entrevue de MM. Lamsdorff et Delcassé paraît donc avoir une réelle portée pour la politique générale, bien que deux Ministres des Affaires étrangères aient mille moyens de correspondre entre eux sans se parler.
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Alliances et relations d'autres États (1893–1903)