Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
16. Italie
16.2. Ouvriers italiens en Suisse
16.2.2. Rupture des relations diplomatiques (affaire Silvestrelli)
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 4, doc. 398
volume linkBern 1994
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001A#1000/45#652* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2001(A)1000/45 75 | |
Titre du dossier | Nr. 627. Silvestrelli-Handel (1900–1903) | |
Référence archives | B.252 |
dodis.ch/42808
Depuis que l’affaire Silvestrelli a été connue du public, il me paraît que le monde officiel français et mes collègues du corps diplomatique gardent envers moi une grande réserve. Je me suis abstenu d’aborder ce thème envers eux et de prendre l’initiative de conversations à ce sujet; on a observé la même attitude à mon égard. Il est vrai que notre livre bleu2 n’est arrivé ici que mercredi et qu’aucun grand journal ne l’a reproduit avec quelques développements. La presse parisienne en général s’est bornée à donner quelques renseignements plutôt vagues, incomplets ou même erronés. Seuls le Temps et les Débats ont publié des articles de fond; le premier a balancé des périodes savantes pour être aimable envers les deux parties et conclure que l’incident était une bagatelle; les Débats ont été au fond de l’affaire, et ont conclu nettement qu’au point de vue du droit, la position de la Suisse était inattaquable, irréprochable, mais qu’au point de vue de l’habileté diplomatique, il aurait peut-être dû être possible d’éviter une rupture.
M. Delcassé, lorsque je lui ai remis mercredi notre Message3, à titre personnel et uniquement pour qu’il en eût la primeur avant de le lire dans nos journaux, n’a pu exprimer une appréciation; il s’est borné à dire: «Espérons qu’on ne s’égorgera pas pour cela et que la diplomatie réussira à amener le calme; les rapports entre Etats ne sont pas toujours exclusivement judiciaires» ou quelque chose d’analogue.
D’autre part, deux hauts personnages en relation avec le Ministère des Affaires étrangères, ou y occupant de très hautes fonctions, m’ont dit, l’un dans un dîner où j’étais assis à côté de lui, l’autre au cours d’une visite qu’il m’a faite pour des affaires courantes, qu’on avait été surpris ici de ne trouver, ni dans la correspondance avec M. Silvestrelli, ni dans le Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale, quelques-unes de ces phrases en quelque sorte inévitables dans la correspondance diplomatique, pour exprimer les sentiments de réprobation du gouvernement et du peuple contre l’anarchie, la profonde condoléance de tous les hommes civilisés pour le deuil de l’Italie, le regret de l’arrêté du Tribunal ayant donné tort au Procureur général dans l’affaire de l’almanach anarchiste, ou des indications détaillées fournies à M. Silvestrelli sur le précédent Schill et la marche à suivre; tout cela aurait, dans la pensée de ces deux personnes, fort bien disposées pour la Suisse et qui savent fort bien qu’en France paraissent constamment des publications pires que celles du Risveglio, contribué à calmer l’excitation des Italiens ou à les mettre davantage dans leur tort.
Je Vous écris cela dans le seul but de Vous dire ce que j’entends autour de moi et pour Vous mettre en mesure, si Vous le jugez à propos, et si l’occasion s’en présente, de donner une satisfaction à des sentiments que je crois, ou plutôt que je sens, être assez répandus ici.
J’ajouterai que l’Ambassadeur d’Autriche-Hongrie m’a dit avoir constamment prié son Gouvernement de s’abstenir de porter plainte à Paris contre les articles outrageants pour l’Empereur, le prince Rodolphe etc., et à quelques reprises il a dû insister énergiquement dans ce sens et a même été obligé d’écrire qu’il exigeait un ordre formel parce qu’il était personnellement opposé, de la façon la plus absolue, à des demandes de poursuites. De même l’Ambassadeur d’Angleterre, qui a déconseillé une plainte à propos des ignobles articles et caricatures soit contre la Reine Victoria, soit contre le Prince de Galles, soit contre le Roi Edouard VII; Monson a pris une fois le train pour Cannes avec ordre d’y bouder pendant quelques semaines, mais Lord Salisbury a cédé et a renoncé aux poursuites; il y a peu de semaines encore, un journal publiait vingt pages d’immondes caricatures contre Edouard VII, conduit en terre au milieu de femmes nues et de petits télégraphistes, et représenté sur la couverture du journal pendu à une potence entre deux souteneurs. Tout cela était répandu à profusion dans les kiosques des boulevards et était mille fois pire que l’article du Risveglio dont l’existence n’était connue que de cent personnes en Suisse.
Comme petite anecdote en rapport avec l’affaire Silvestrelli, j’ajouterai en terminant que l’agent diplomatique de Bulgarie, un nouveau venu que je connais à peine, m’a abordé pour me dire qu’il y a quelques années à Sofia, M. Silvestrelli sortait du club international, habillé comme un ouvrier, et s’est mis avec persistance à siffler son chien à l’aide d’un sifflet; en Bulgarie, les agents de police correspondent entre eux à coups de sifflet et il est interdit au public de se servir de cet instrument de musique; deux agents invitèrent M. Silvestrelli à cesser de siffier; il persista à le faire, et fut empoigné; il invoqua alors sa qualité de représentant de l’Italie; les agents se mirent à rire et lui dirent qu’un chef de mission diplomatique ne pouvait pas être habillé de la sorte; on le conduisit au poste où il fut «passé à tabac» c’est-à-dire engagé à passer entre deux rangées de policiers qui ne lui ménageaient pas les coups. Quelques heures plus tard, son Secrétaire vint le réclamer et le Gouvernement bulgare, tout en regrettant vivement l’aventure, dut lui rappeler que les règlements de police s’appliquent aux diplomates. J’ignore si les détails de ce récit sont exacts; ils démontreraient une certaine tendance à s’abstenir de se préoccuper des lois du pays où M. Silvestrelli est accrédité.
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