Classement thématique série 1848–1945:
I. SITUATION INTERNATIONALE
5. Affaires intérieures
5.8. Etat de l’Italie
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 360
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#740* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 337 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 54 (1901–1901) |
dodis.ch/42770
Hier après-midi, 1 Ambassadeur dAutriche Wolkenstein est venu me faire une longue visite, au cours de laquelle il s’est exprimé très librement, une fois de plus, sur l’attitude et la situation de l’Italie et sur la valeur de son accession à la Triple Alliance.
Wolkenstein est propriétaire dans le Trentin, où il habite pendant ses vacances; sa belle-mère habite Venise; il connaît depuis son enfance l’état d’âme des habitants et la situation économique des contrées italiennes limitrophes. Dans les parties italiennes de l’Autriche, la capitale n’est pas Vienne, c’est Rome, et chez les habitants les portraits qu’on voit aux murs ne sont pas ceux de l’Empereur François-Joseph, mais ceux de Victor-Emmanuel, d’Humbert ou de Garibaldi. Provisoirement, l’Italie a concentré ses garnisons à la frontière française; de son côté, l’Autriche a dégarni la frontière italienne pour renforcer la frontière polonaise. Des deux côtés, cela permettait des économies d’argent. Cela n’empêche pas qu’à Vienne on ne soit convaincu de l’impossibilité où serait l’Italie de s’abstenir de marcher sur Trieste et sur le Trentin le jour où l’Autriche serait envahie et battue par les Russes en Galicie.
Pour quiconque a connu le nord de l’Italie il y a trente ans, il saute aux yeux, continue Wolkenstein, qu’il y a une reculade économique immense, le peuple succombe sous la crise économique. Un peuple ne peut pas vivre sans manger et sans faire des enfants. Si la situation ne s’améliore pas en Italie, cela finira dans la révolution. Il est impossible que le Gouvernement italien ne le sente pas et que la dynastie ne le voie pas.
La conclusion s’impose: si la France a l’intelligence de fournir aux Italiens des avantages financiers et commerciaux réels, et non pas fictifs comme ceux de l’arrangement de 1898, si la France offre des débouchés à l’agriculture italienne pour ses vins, ses primeurs, ses bestiaux, si la France soutient le crédit de l’Italie et répand ses capitaux dans la péninsule, rien ne pourra empêcher l’Italie de sortir de la Triplice. Cela ne veut pas dire que les Français auront un allié, ni que cet allié sera bien solide ni bien fidèle, surtout dans les jours de malheur; les Français seraient naïfs de bâtir au point de vue politique sur un rocher aussi friable, et à Vienne on n’a pas la naïveté de bâtir aujourd’hui sur ce rocher.
Wolkenstein a ajouté qu’il avait exposé tout ce qui précède au Chancelier allemand Bülow, qui n’est pas de cet avis et qui même, à la fin de la conversation, était véritablement en colère. Il est évident, dit Wolkenstein, que pour l’Allemagne l’alliance italienne a une valeur politique et militaire, puisque trois corps d’armée français pour le moins seraient immobilisés dans les Alpes en cas de guerre franco-allemande, mais l’Allemagne elle-même a besoin de débouchés pour son industrie, de protection pour ses agraires et de pain pour le million d’Allemands qui vient s’ajouter tous les trois ans à la population antérieure. Le maintien de la Triplice et les relations de l’Italie avec la France sont une question de pain. L’Ambassadeur français Barrère, qui est intelligent et «Streber», a parfaitement compris cela. Toute la question est de savoir si l’Allemagne saura faire des concessions commerciales suffisantes aux Italiens ou si Barrère saura obtenir des protectionnistes français des avantages effectifs, tangibles, réalisables en beaux et bons écus, en faveur des exportateurs italiens, de la part de la France.
La vérité, a dit en terminant Wolkenstein, est que la Triplice, créée en prévision d’une guerre contre la Russie, guerre invraisemblable aujourd’hui que la Russie a les regards tournés vers l’Asie pour un avenir très long, n’est presque plus en ce qui concerne l’Italie une alliance, mais une «attitude». Une danseuse peut rester une ou deux minutes sur la pointe d’un pied, mais cela ne peut durer indéfiniment; il arrive un moment où la fatigue et la douleur obligent de changer d’attitude. Actuellement, l’Italie souffre, et pour mettre fin à cette souffrance, elle acceptera celui qui lui viendra en aide. La France pourra-t-elle et saura-telle faire les sacrifices nécessaires? Si oui, rien n’empêchera l’Italie d’aller à elle. L’Allemagne saura-t-elle et pourra-t-elle procurer en 1903 des avantages suffisants à l’Italie? Si oui, la Triplice sera maintenue. Dans le cas où ni la France ni l’Allemagne ne pourront apporter un appui efficace à la crise intense dont le peuple italien souffre au point de vue économique, alors la vapeur surchauffée trouvera l’issue qu’elle pourra.
Cet entretien avec l’Ambassadeur d’Autriche confirme l’impression dont j’avais l’honneur de Vous faire part avant-hier2, à savoir que nous devons surveiller de près, au point de vue commercial, la situation de l’Italie.
J’ajouterai, pour valoir ce que de raison, que le chef des services commerciaux au Ministère français des Affaires étrangères a dit hier qu’il ne pouvait pas être question de pourparlers commerciaux avec l’Italie avant 1903, c’est-à-dire avant que l’on ne connaisse le résultat des négociations de l’Italie avec la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche. Je Vous donne ce raisonnement pour ce qu’il vaut; j’avoue pour ma part ne pas le comprendre, puisque la France n’a pas de traité de commerce à échéance fixe et vit sur un tarif autonome incessamment modifiable.
L’Ambassadeur de Russie, prince Ouroussow, qui dans tout le courant de l’hiver dernier s’exprimait dans ses conversations avec les membres du corps diplomatique en termes peu aimables sur les membres du cabinet Waldeck-Rousseau et leurs femmes, a manqué assez gravement de tact avant-hier soir en donnant un dîner en l’honneur du général russe Louis Bonaparte. Dans les dernières semaines, le Gouvernement français avait obtenu le déplacement d’un secrétaire de l’Ambassade de Russie, connu pour ses relations avec les nationalistes et un autre secrétaire devait le suivre d’ici à deux mois. Dans le petit monde diplomatique, on s’étonne que l’Ambassadeur lui-même n’ait pas compris qu’à la veille du départ de M. Delcassé pour Pétersbourg, et après tout le bruit fait dans la presse européenne sur la présence prolongée à Paris du Général Louis Bonaparte et sur les réceptions nationalistes données en son honneur chez sa tante la Princesse Mathilde, il était élémentaire de ne pas recevoir à sa table un semiprétendant. On s’accorde d’ailleurs à admettre que le Gouvernement russe n’est pas en cause et qu’il y a là une bévue personnelle d’Ouroussow.
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