Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
13. France
13.1. Commerce
13.1.1. Traité de commerce et guerre douanière
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 102
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E13#1000/38#152* | |
Old classification | CH-BAR E 13(-)1000/38 33 | |
Dossier title | Korrespondenz des Departements des Auswärtigen mit der Schweizer Gesandtschaft in Paris, T. 2 (1892–1892) |
dodis.ch/42512
Conformément aux ordres contenus dans l’office que Vous m’avez fait l’honneur de m’adresser le 5 de ce mois2, j’ai dit hier à M. Ribot, après qu’il m’eût parlé de l’inopportunité de l’incident Bernoud3 et de son désir de l’atténuer, que je regrettais, de mon côté, cet incident au point de vue de son action sur notre opinion publique, dans le cas où la Commission des douanes et surtout le Parlement devraient se prononcer contre les quelques concessions faites à la Suisse au-dessous du tarif minimum.
M. Ribot a dit alors que les libre-échangistes du Parlement perdaient euxmêmes tout courage; que Lyon venait de passer à l’ennemi et qu’il était bien difficile de ne pas considérer l’acceptation en bloc de l’arrangement comme définitivement perdue. MM. Raynal de Bordeaux et Aynard de Lyon sont eux-mêmes venus en faire l’aveu à M. Ribot.
J’ai répondu que la Chambre de commerce de Lyon venait cependant de voter à l’unanimité un vœu en faveur de l’acceptation pure et simple de l’arrangement.
M. Ribot réplique qu’elle est désavouée par l’opinion publique, qu’elle ne sera pas réélue et que M. Aynard se demande s’il osera parler et voter en faveur de l’arrangement.
Dans ce cas, je dois Vous dire, ai-je répliqué à mon tour, ce que j’ai déjà eu l’honneur de Vous dire plus d’une fois et notamment il y a huit jours: ou bien on ne changera que des choses insignifiantes et cela n’en vaut pas la peine, ou bien on rejettera des choses importantes et alors c’est l’abandon de tout l’arrangement et la guerre de tarif inévitable.
M. Ribot: La guerre de tarifs; Vous ne l’avez pas faite à l’Allemagne et avez subi ses tarifs autonomes; pour les soieries, Vous acceptez des Allemands, des Autrichiens, des Espagnols, des droits bien plus élevés que le tarif minimum. Nous faire pour cela l’application de Votre tarif général serait de l’hostilité politique.
Réponse: Avez-Vous donc oublié ce que j’ai été tant et tant de fois appelé à Vous dire? Nous avons maintenant un tarif que nous n’avions pas encore pour négocier avec M. de Bismarck; dès que nous en avons eu un, ou plutôt un demi, nous avons commencé et avons obtenu une révision en 1888; cela a recommencé quand nous avons eu notre tarif de 1891; nous l’avons appliqué en 1892 à l’Italie alors que nous ne l’appliquions pas à la France; voilà la situation qu’il faut avoir en vue. Quant aux droits sur les soieries à l’entrée en Espagne, où est le fabricant espagnol de soieries? Quelle est la force de l’industrie lyonnaise comparée à celle de nos autres voisins? C’est là la question à résoudre lorsqu’on veut peser l’élévation d’un droit de douane. Nous avons fait notre tarif de 1891 en vue d’une discussion amicale avec nos voisins dans le but d’arriver à des conventions. Si l’industrie suisse des soieries devait être sacrifiée après celle des fils de coton et après tant d’autres, il est évident que nous en arriverions non pas seulement au tarif général, mais à des mesures renforcées telles que l’art. 34 de notre loi sur les péages nous autorise.
M. Ribot: Ce n’est pas ainsi que Vous nous amènerez à céder. Vous avez procédé jusqu’ici par la voie amicale; continuez donc, je Vous en prie; sinon nous serons obligés de riposter; les choses s’envenimeront et les élections se feront l’année prochaine contre Vous, avec mandat spécial de ne pas traiter avec qui que ce soit et notamment pas avec Vous; qu’aurez-Vous gagné à un pareil mot d’ordre?
Réponse: Nous n’avons pas énormément à perdre, car entre le maximum et le minimum il y a plus de ressemblances que de dissemblances; c’est le portrait de la prohibition peint de deux faces différentes; tandis que la fermeture du marché suisse fera peut-être réfléchir quelques-uns de Vos violents. Quoiqu’il en soit, j’ai non seulement l’instruction, mais l’ordre de Vous dire ce que je vous ai dit; c’est, je pense, la première fois depuis dix ans que l’on me charge d’une communication en termes aussi impératifs. J’ai alors donné connaissance rapidement du dernier paragraphe de Votre office du 5; je n’ai pas voulu donner à lire Votre lettre à M. Ribot, qui aurait pu ergoter sur le premier alinéa relatif à un fait erroné, la présidence par M. Ferry d’une réunion hostile des agriculteurs sénatoriaux.
M. Ribot: C’est un sûr moyen de tout casser; s’il y a encore quelque chose à sauver.
Réponse: Je n’en sais rien; il y a dans le parlement français des hommes fort compétents qui trouvent au contraire que plus la Suisse sera ferme, plus on a de chances de faire faire le saut aux hésitants.
M. Ribot: Des noms, s’il Vous plaît.
Réponse: Je n’ai à désigner personne, mais j’affirme le fait.
M. Ribot: Comment aller faire comprendre à un parlement ce que Vous venez de me dire au sujet de la hauteur variable des droits de douane suivant la force respective des industries de chaque pays?
Réponse: Ce n’est pas au premier orateur parlementaire français à poser cette question.
M. Ribot: Je suis prêt à me sacrifier; Jules Roche a fait définitivement le sacrifice; c’est entendu; en ce qui me concerne, j’ai parlé de la chose au Président de la République et au président du Conseil; tous les deux ont été de l’avis qu’il convient d’éviter de donner une plus grande acuité à la question économique en l’aggravant d’une crise ministérielle; ils ont été de l’avis, quant à présent, que je ne devais pas engager mon portefeuille.
Cela serait cynique, me disais-je, si ce n’était de la poltronnerie inconsciente. J’avais envie de répondre que, pour un Ministre des Affaires étrangères, la Suisse valait bien un discours et même un portefeuille, et qu’un nom mis au pied d’un acte implique, dans les conditions de la lettre du 20 juillet4, le «devoir de faire loyalement tout ce qui peut assurer le succès» de cet acte. J’ai répondu qu’en ce qui me concernait, je n’hésiterais pas à faire savoir au Conseil fédéral, en cas d’échec de l’arrangement, que je le priais de disposer à son gré de mon poste sans tenir compte de ma personne s’il estimait qu’à une situation nouvelle il fallait un homme nouveau. M. Ribot n’a pas eu l’air de comprendre; il m’a fait des phrases sur ma bonne situation à Paris!!, puis il m’a demandé de lui dire en confidence quels étaient les articles absolument indispensables pour éviter une guerre de tarifs et une véritable brouille économique, si rééllement, ce qu’il ne veut pas croire, cette brouille survenait un jour. J’ai naturellement répondu que je refusais absolument de faire des catégories alors que nous avions signé le 23 juillet5 le cœur gros un morceau de papier considéré par nous alors comme le minimum de ce qui nous était indispensable pour éviter la guerre au bout de huit jours. La situation n’a pas changé depuis le mois de juillet, sauf que la France a joui pendant six mois de notre tarif conventionnel tandis que nous n’avons joui de rien du tout.
M. Ribot a alors exprimé la pensée que l’on pourrait peut-être trouver un modus vivendi consistant à appliquer aux produits suisses le tarif minimum si certains produits français à désigner pouvaient bénéficier en Suisse du tarif conventionnel. J’ai répondu ne pouvoir discuter cette éventualité puisque j’avais l’ordre de lui faire une déclaration parfaitement claire et non ambiguë sur les compétences du Conseil fédéral à teneur de l’art. 34 de notre loi sur les péages et sur sa «ferme volonté de riposter au tarif minimum par tous les moyens qu’il jugera utiles».
Tel est à peu près le résumé de cette conversation qui a pris fin trop tard pour que je puisse encore Vous en rendre compte par le courrier du soir.
N. B. L’élection de Cleveland pourra amener une détente et constitue en tout cas un facteur en faveur des idées modérées en matière douanière.
- 1
- Lettre: E 13 (B)/180.↩
- 2
- Cf. no 101.↩
- 3
- Le Ministre français des travaux publics intervient pour que Bernoud, un inspecteur de la compagnie P. L. M. à Genève qui a provoqué des critiques au sein de la P. L. M. et de la colonie française à Genève pour ses sentiments anti-français, soit licencié.↩
- 4
- Cf. E 13 (B)/181.↩
- 5
- Il s’agit de l’arrangement commercial franco-suisse du 23 juillet 1892. (Cf. FF 1892, V, pp. 559-650).↩
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