Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
13. France
13.1. Commerce
13.1.1. Traité de commerce et guerre douanière
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 82
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E13#1000/38#152* | |
Old classification | CH-BAR E 13(-)1000/38 33 | |
Dossier title | Korrespondenz des Departements des Auswärtigen mit der Schweizer Gesandtschaft in Paris, T. 2 (1892–1892) |
dodis.ch/42492
Réunion au Ministère du commerce à 10 heures du matin. M. Jules Roche est assisté de MM. Roume et Chandèze. Il se fait donner par M. Roume un résumé des demandes suisses; cet exposé est fait par M. Roume avec l’intention marquée d’atténuer nos demandes, de leur donner une apparence plutôt modérée et semble impliquer de la bonne volonté de la part de son auteur.
M. Roche n’en exprime pas moins dans des termes énergiques, la conviction que, pour réussir, il faut absolument que la Suisse se restreigne à un petit nombre d’articles; qu’elle prenne les plus importants, qu’elle nous les désigne; plutôt de fortes concessions sur un très petit nombre d’articles essentiels, que d’éparpiller l’effort sur un grand nombre de points. Le parlement français est dans un état d’esprit dont on doit avant tout tenir compte; vis-à-vis de l’Espagne, par exemple, il y avait à sauver une exportation française de 150 millions dont environ 100 millions de produits manufacturés; on le pouvait en se montrant non pas raisonnable mais simplement énergiquement protectionniste sur les vins; le Parlement a refusé; il n’a pas voulu voir clair. Sans dire que quos Jupiter perdere vult, dementat, il est nécessaire de se mettre en présence du bloc parlementaire et de le détailler. Si la Suisse demande des concessions aux agraires français (vaches, lait, fromages, bois), et aux horlogers, et aux brodeurs, et aux fabricants de tissus de soie, chacun le comprendra, parce que c’est là l’essence même de la vie suisse sans répercussion sur d’autres Etats. Mais si la Suisse entend grouper contre elle les cotonniers français, puis les métallurgistes ou constructeurs de machines, sans compter la chapellerie, la bonneterie, il n’y a aucune chance d’aboutir dans le Parlement. Il n’y a pas même de chances très précises d’aboutir au sein du Cabinet, où MM. Loubet et Ricard ne sont pas des éléments sur lesquels il faille compter avec sécurité. La Suisse, si elle veut une entente, et si elle a le sentiment de l’état d’esprit parlementaire français, doit faire porter l’apparence extérieure de ses demandes sur le moins de points possibles.
A ces arguments, nous avons répondu qu’en dehors de ces quatre industries dites nationales, il était indispensable d’obtenir le concours d’un certain nombre d’autres branches pour qu’un arrangement fût acceptable; c’est ainsi que, sur l’industrie cotonnière, la bonneterie et les machines, si nous n’obtenons rien, nous n’aurons pas de majorité pour approuver un accord. Le Conseil fédéral a déjà éliminé un très grand nombre de demandes, et celles que nous avons présentées ne sont que les plus essentielles. Nous avons nous-mêmes pris la responsabilité de dépasser nos instructions en donnant à entendre que certaines spécialités devaient avant tout être prises en considération, ce qui permettrait plus facilement de renoncer à nos demandes sur l’ensemble de certaines grandes industries d’intérêt européen autant que franco-suisse. Dans ces conditions, avons-nous conclu, et malgré notre sentiment très vif des difficultés parlementaires du gouvernement français, nous ne pouvons pas prendre sur nous de restreindre le nombre de nos demandes.
Nous avons fait aussi un exposé des rapports commerciaux entre la Suisse et la France en remettant une note basée sur les renseignements statistiques fournis par le Département fédéral des Affaires étrangères à M. Cramer, par lettre du 9 avril2, et qui sera envoyée en copie. Plusieurs chiffres ont dû être rectifiés et modifiés. A cette occasion, nous n’avons pas manqué de relever le fait qu’une guerre de tarifs enlèverait certainement à la France une grande partie de ses importations en Suisse au profit de l’Allemagne pour certains produits, et aussi au profit de l’Autriche, de l’Italie et d’autres Etats; qu’en accordant à la France en janvier le traitement de la nation la plus favorisée3, alors que nous appliquions le tarif général aux produits italiens, la Suisse avait donné une preuve très marquée de ses intentions conciliantes et de sa sympathie, ce qui n’avait pas été sans inconvénients lors des dernières tractations avec l’Italie – cet Etat ayant prétendu avec une certaine raison que nous avions deux poids et deux mesures dans nos relations avec nos voisins; que si les pourparlers actuels échouaient devant les résistances du parlement français, il nous serait absolument impossible de continuer à la France le traitement de la nation la plus favorisée, ce qui ne tarderait probablement pas à entraîner un relèvement des taux de notre tarif général sur les articles intéressant spécialement la France; que les chambres de commerce françaises redoutent moins des tarifs généraux élevés que des droits différentiels; et enfin que la clause de la nation la plus favorisée n’offrira probablement de longtemps aucune valeur pour nous à l’entrée en France tandis qu’elle implique déjà actuellement, à l’entrée en Suisse, des réductions sur 62 millions de produits français et des liaisons sur 38 millions, soit un ensemble de cent millions.
M. Roche a répondu qu’on pouvait compter sur lui pour faire valoir devant le parlement français tous les arguments qui seraient de nature à convaincre celuici; qu’il n’avait pas peur de la lutte, mais qu’il avait le devoir de chercher à l’engager seulement sur des positions et avec des éléments permettant le succès, qu’il allait donc, avec ses collaborateurs, examiner toutes nos demandes sans distinction; qu’il promettait de nous donner tout ce qu’il pourrait; qu’il quitterait Paris demain pour se rendre dans l’Isère, où on lui enverrait chaque jour les courriers, en sorte que, même pendant son absence, il ne manquerait pas de suivre de près les études auxquelles M. Roume et M. Chandèze vont se livrer – que si ces derniers avaient besoin d’informations, ils nous les demanderaient – et qu’ainsi on pourrait, au moment où l’on aurait de nouvelles réunions, être en possession de tous les éléments nécessaires. M. Roche a parlé de son retour pour le 10 mai.
Quant à la durée des arrangements à prendre, M. Jules Roche ne croit pas possible de lier les tarifs existants ou à faire pour plus d’une année, en ce sens qu’il admettrait des engagements indéfinis comme durée dénonçables en tout temps à un an d’échéance.
Quant à la forme des arrangements, M. Roche voudrait deux lois intérieures séparées, par lesquelles, dans chaque pays, on abaisserait le taux du tarif pour certains articles déterminés. Nous avons répondu que la forme d’une loi intérieure offrait en Suisse des inconvénients à cause du référendum. M. Roche désirerait éviter des réclamations sur la forme, quand il y a déjà tant de difficultés sur le fond. Nous pensons qu’il y aura moyen d’aboutir à régler cette question de forme.
Considérations finales
Ainsi que nous l’avons fait remarquer à M. Jules Roche, il nous paraît impossible d’espérer une majorité dans notre Parlement si l’industrie cotonnière et celle des machines ne reçoivent pas des satisfactions.
Notre tâche nous paraît être que pendant la période consacrée en France à l’examen de nos demandes, il convient de rechercher les spécialités les plus indispensables et les plus intéressantes.
M. Cramer-Frey part ce soir pour Zurich et aura l’occasion de s’entretenir verbalement avec Monsieur le Conseiller fédéral Droz des travaux, études et consultations qui seront nécessaires, du côté suisse, pour permettre d’accélérer les pourparlers avec la France.
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