Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
13. France
13.1. Commerce
13.1.1. Traité de commerce et guerre douanière
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 47
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E13#1000/38#151* | |
Old classification | CH-BAR E 13(-)1000/38 32 | |
Dossier title | Korrespondenz des Departements des Auswärtigen mit der Schweizer Gesandtschaft in Paris, T. 1 (1891–1891) |
dodis.ch/42457 Le Ministre de Suisse à Paris, Ch. Lardy, au Chef du Département des Affaires étrangères, N. Droz1
Je viens de déjeuner, chez l’Ambassadeur d’Angleterre, avec le président de la Commission d’enquête nommée à Londres pour étudier la situation commerciale et industrielle faite à la Grande-Bretagne par l’échéance de la plupart des traités de commerce européens, et pour étudier les mesures éventuelles à prendre en vue de cette échéance; M. Mundella a été Ministre du commerce et appartient au parti radical. L’impression que j’ai rapportée de mon tête-à-tête de plus d’une heure avec M. Mundella est la suivante:
1. L’Angleterre voit sans émotion la France se lancer dans le protectionnisme. Ses exportations en France représentent peut-être la centième partie des exportations totales de la Grande-Bretagne. Si la France est assez maladroite pour renchérir à plaisir la vie de ses patrons et de ses ouvriers, les Etats qui seront assez intelligents pour ne pas renchérir chez eux les conditions générales de l’existence prendront assez rapidement, dans le monde entier, la place que la France se sera maladroitement enlevée elle-même. Or cette place est beaucoup plus grande que l’exportation de ces Etats à destination de la France (1900 millions contre 550).
2. L’Angleterre n’usera pas de représailles, ou tout au moins, si, ce qui est fort improbable, elle le fait, ce sera seulement sur certains vins et peut-être sur certaines espèces de soieries exclusivement lyonnaises (brochées, velours). C’est tout ce qu’il y a de plus invraisemblable qu’on fasse ces représailles partielles.
3. L’Angleterre verrait avec plaisir la Suisse, la Belgique et l’Allemagne combiner avec habileté leurs tarifs de manière à faire sentir à la France l’absurdité de sa conduite, et notamment adopter des droits ad valorem sur les lainages (je ne m’explique pas trop comment le no 3 peut se concilier avec le no 1 ci-dessus, à moins qu’on ne désire à Londres voir les trois Etats industriels du continent renchérir, sous prétexte de représailles contre la France, les conditions de leur existence; M. Mundella semble avoir montré ici le bout de l’oreille).
Samedi soir (avant-hier) j’ai rencontré M.Méline chez notre compatriote vaudois M. Barbey, Ministre de la marine et lui ai demandé une liste des décisions prises par la Commission du tarif général des douanes; il me l’a promise. Nous avons ensuite parlé de la situation franco-suisse: j’ai été jadis assez lié avec M.Méline, allais déjeuner chez lui en famille et le gardais à dîner chez moi quand nous avions à traiter des affaires de phylloxera savoyard ou gessien à l’époque où il était Ministre de l’agriculture; M. Méline est absolument honorable dans sa vie privée, simple, aimable, mais je ne l’ai jamais trouvé «fort» et ne puis m’expliquer l’autorité dont il jouit en matière douanière. Il a évidemment bénéficié d’un courant, qui s’est incorporé dans sa personne parce qu’il n’admet aucune transaction et que son esprit simpliste va droit au but, sans se soucier et probablement sans se rendre compte des obstacles. M. Méline m’a soutenu avec calme, douceur, bonté, qu’on s’était trompé en 1882 pour le droit des broderies; que pour les montres, le rapporteur M. Berger assurait qu’on était ultra modéré dans les propositions de sa sous-commission; que pour les fromages, on réussirait dans l’Est à remplacer les envois suisses et hollandais; que pour les soieries il n’y avait aucun motif de ne pas les protéger dans la même proportion que toutes les autres industries; et que, si le marché suisse avait une importance, c’était un infiniment petit en comparaison du marché intérieur français. Je lui ai demandé comment il comptait remplacer le travail français actuellement occupé à produire les cent millions de produits manufacturés français vendus chaque année en Suisse, et pourquoi il avait l’intention de faire cadeau de ces cent millions à d’autres, aux Anglais, Belges et Allemands pour les produits manufacturés, aux Hongrois et aux Italiens pour les vins; il a répondu en haussant les épaules et en levant les bras, voulant donner à entendre que c’était un infiniment petit, une mesquinerie en présence du grand but à atteindre, qui est de réserver la France aux Français. Ce qu’il y a de pire, c’est que M. Méline, j’en jurerais, est absolument sincère et croit réellement ces énormités; c’est décidément un fanatique, borné, inintelligent, doux et bête comme un mouton. Je vous demande pardon de ces expressions peu diplomatiques, mais je n’en trouve pas d’autres pour expliquer ma pensée; une photographie de M. Méline commenterait encore mieux ma pensée; il a tout à fait le profil de ce qu’il est.
Des amis de Franche-Comté qui ont déjeuné hier avec M. Viette assurent que ce dernier s’agite beaucoup contre nous et se plaint de nous rencontrer partout en face de lui, dans le Gouvernement et auprès des meneurs parlementaires. Tant mieux.
M. Méline a eu huit jours d’influenza; cela a retardé d’autant son rapport. On s’attend néanmoins toujours, et c’est l’opinion de M. Méline lui-même, à ce que le débat s’ouvre à la Chambre dans la première semaine de mars.
- 1
- Lettre: E 13 (B)/180.↩
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