Classement thématique série 1848–1945:
I. LES RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES ET LA VIE DES ÉTATS
I.12 FRANCE
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 2, Dok. 346
volume linkBern 1985
Mehr… |▼▶Aufbewahrungsort
Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2300#1000/716#710* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2300(-)1000/716 330 | |
Dossiertitel | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 24 (1871–1871) |
dodis.ch/41879
Comme Vous l’avez appris par les journaux et par mes précédentes communications, l’état de Paris depuis quelques semaines était de nature à inquiéter beaucoup d’esprits. La garde nationale, guidée par un «comité central», dont les membres étaient inconnus, s’était emparée d’un certain nombre de canons sous le prétexte d’empêcher le gouvernement de les livrer aux Prussiens. Ces canons avaient été placés au sommet de la butte Montmartre, appelée aujourd’hui le Mont-Aventin, et aux Buttes-Chaumont, dans le quartier de la Villette.
Diverses tentatives eurent lieu pour arriver à une solution amiable. Elles échouèrent devant les refus du «comité central».
En attendant, les manifestations continuaient sur la place de la Bastille, où le drapeau rouge flottait au sommet de la colonne de Juillet. Chaque jour, des détachements de la garde nationale venaient y déposer des couronnes d’immortelles, en signe de deuil pour la République menacée.
Plusieurs individus, soupçonnés d’avoir des relations avec la police, ont été jetés à l’eau par une foule aveugle.
Vendredi, le Gouvernement remplaça le Préfet de Police par un Général, et fit afficher dans la soirée une proclamation annonçant qu’il était décidé à mettre un terme à l’existence de ce comité anonyme qui s’arrogeait la direction de la garde nationale.
Le parti rouge, dont la force s’était accentuée par les dernières élections à l’assemblée constituante, et dont les adhérents augmentaient chaque jour dans la mesure de la faiblesse du Gouvernement, avait de son côté organisé la résistance.
Hier matin Samedi, une attaque fut essayée au point du jour contre la butte Montmartre, afin d’y enlever les canons gardés par la garde nationale. Autant qu’on a pu l’apprendre, les premiers efforts furent heureux. Mais vers les neuf heures, une partie de l’armée refusa d’obéir, et ne tarda pas à fraterniser avec les insurgés. Il s’ensuivit une collision entre la gendarmerie, d’une part, les insurgés et la ligne d’autre part. Un officier fut tué, ainsi que son cheval. Le cheval fut immédiatement dépecé et les morceaux distribués entre les assistants. La gendarmerie se retira. Plusieurs officiers furent alors faits prisonniers, entre autres le Général Lecomte, puis le Général Clément Thomas, arrêté en bourgeois, et qui avait commandé la garde nationale pendant le siège. – Dans la journée, le bruit se répandit que ces deux officiers supérieurs avaient été fusillés dans un jardin de Montmartre. Le fait est malheureusement confirmé.
A Belleville, des barricades furent immédiatement élevées dans toutes les rues. La caserne du Prince Eugène fut enlevée sans résistance, et la troupe de ligne livra ses armes à la garde nationale. Les soldats désarmés, et fraternisant avec les insurgés, se répandirent dans la ville.
Le Général Vinoy avait transporté son quartier général au Ministère des Affaires Etrangères.
Dans la soirée, la garde nationale de Montmartre descendit en ville. L’Etatmajor de la place fut occupé sans résistance, ainsi que l’Hôtel de Ville.
A sept heures, M. Jules Favre et les autres Ministres quittèrent Paris, pour rejoindre à Versailles M. Thiers, qui était parti dans la journée.
On s’attendait à de sanglantes collisions pendant la nuit entre les troupes et la garde nationale insurgées, et celles qui s’étaient rangées du côté du Gouvernement. C’est à ce moment que je Vous ai adressé le télégramme chiffré2 que Vous avez dû recevoir.
L’ordre de ne pas résister ayant été donné, tous les Ministères et les édifices publics ont été occupés dans la matinée d’aujourd’hui. Le Gouvernement avait fait, hier soir encore, un appel énergique à la population parisienne, mais sans résultat.
En ce moment, le «comité central de la garde nationale» est maître de la situation dans toute l’étendue de la capitale. Il vient de faire afficher une proclamation annonçant que les électeurs vont être convoqués pour procéder aux «élections communales», et qu’en attendant il s’installe à l’Hôtel de Ville. Vous trouverez sous ce pli une copie3 de ce document, signé par Assy, l’un des chefs de la grève du Creuzot, et par d’autres chefs de l’internationale.
Je me suis immédiatement rendu au Ministère des Affaires Etrangères, où j’ai rencontré le chef du Cabinet, M. Pontecoulant. Il m’a confirmé le fait du départ de M. Thiers et de tous les Ministres pour Versailles. Il a ajouté qu’il était chargé par M. Jules Favre d’en informer les membres du Corps diplomatique, et d’exprimer en même temps l’espoir que tous les représentants des Etats qui ont reconnu la République Française, se rendraient au siège du Gouvernement.
En sortant, je Vous ai transmis, non sans peine, mon second télégramme, dont je Vous envoie copie, ainsi que de mon télégramme d’hier soir.
De là, je me suis rendu chez Lord Lyons, Ambassadeur d’Angleterre. J’ai rencontré chez lui l’Ambassadeur de Turquie, Djemil Pacha, le Ministre d’Italie, M. Nigra, le chargé d’Affaires de Russie, M. Okunev, et le chargé d’Affaires d’Autriche, qui remplace le prince Metternich, actuellement à Vienne. Pendant que j’étais chez Lord Lyons, M. Washburne, Ministre des Etats-Unis, s’était rendu chez moi.
L’opinion unanime des assistants était qu’il y a lieu de déférer au désir exprimé par M. Jules Favre, au nom du Gouvernement Français, et qu’aucun des chefs de missions diplomatiques ne doit rester à Paris dans les circonstances actuelles.
En effet, la position n’est plus la même qu’au début du siège de Paris. A cette époque, le siège du Gouvernement était Paris; le Ministre des Affaires Etrangères y restait; une délégation seulement était envoyée en province. Rester dans la capitale m’a paru être un devoir.
Aujourd’hui, le Gouvernement tout entier s’est rendu à Versailles. Pas un seul de ses membres n’est ici. De plus, il exprime formellement le vœu de se voir entouré des représentants des Etats avec lesquels la France soutient des relations officielles. Le Gouvernement, présidé par M. Thiers et sorti du suffrage national, est le seul Gouvernement constitutionnel en France, et c’est à ce titre que Vous m’avez accrédité auprès de lui. – A Paris, par contre, il n’y a qu’un «comité central de la garde nationale». Le comité ne se pose même pas en Gouvernement provisoire; il déclare vouloir attendre des élections, et ces élections sont seulement des élections «communales» ou locales.
Dans ces circonstances, une considération domine pour moi toutes les autres, c’est celle-ci: le devoir du représentant officiel du Gouvernement fédéral est de se rendre au siège du Gouvernement auprès duquel il est officiellement accrédité. En présence de l’accord unanime de tous les chefs de missions diplomatiques, je n’hésite pas à exprimer l’opinion que si le représentant de la Suisse restait seul à Paris, l’effet produit serait des plus fâcheux, et qu’à tous les points de vue, l’intérêt de notre pays réclame que son représentant n’ait pas l’apparence d’approuver, même indirectement et par sa présence à Paris, les événements dont cette ville vient d’être le théâtre.
M. Washburne, que je viens de rencontrer, partage de tous points cette manière de voir. Il est décidé à se rendre dès demain matin à Versailles, et personne ne met ici en doute que tous les chefs de missions en feront autant, autant que j’ai pu m’en rendre compte.
Je n’hésite pas à déclarer d’autre part que s’il ne m’était pas possible de rester au milieu de la colonie Suisse, et de partager sa vie comme je l’ai fait pendant tout le siège, ce serait pour moi un vif et profond regret. Cependant, la position de la Suisse vis-à-vis du Gouvernement qu’elle a officiellement reconnu il y a quelques jours, et des considérations politiques d’ordre supérieur, m’obligent à Vous proposer de quitter Paris pour ne pas faire une exception parmi mes collègues. En Vous exposant les considérations qui précèdent, je crois du reste me conformer aux instructions que Vous m’avez fait parvenir par télégramme chiffré, le 8 Septembre 1870: «Nous envisageons qu’il est convenable que le Corps diplomatique reste là où est le siège du Gouvernement.»4
Comme le télégraphe est actuellement aux mains des insurgés à Paris, et que c’est avec la plus grande peine que j’ai pu Vous transmettre aujourd’hui un télégramme, je Vous serais très obligé de m’expédier la réponse par télégramme à l’adresse que je Vous indiquerai plus tard, demain ou après-demain par voie télégraphique.
Dans le cas où Vous partageriez ma manière de voir sur la situation actuelle, il va sans dire que le 1er Secrétaire de ma Légation, M. le Dr Lardy, resterait à Paris pour veiller aux affaires courantes, à la distribution des secours extraordinaires aux indigents, et surtout à la protection de nos compatriotes. Je suis heureux de pouvoir lui donner ce témoignage de confiance après les longs mois de travail excessif que la Légation a traversés. Comme je suis en même temps chargé de la protection des Bavarois et des Badois, M. Lardy serait appelé provisoirement à prendre en leur faveur les mesures nécessaires. Je Vous serais obligé en conséquence de vouloir bien informer de ce fait les représentants à Berne des deux Gouvernement intéressés.
J’espère du reste pouvoir revenir fréquemment de Versailles à Paris, tant que l’assemblée nationale restera à Versailles. Mais si, comme plusieurs le craignent, une tentative est faite de Paris pour entraver les délibérations de l’assemblée, il me paraîtrait nécessaire de suivre le Gouvernement dans le lieu où il croira devoir se transporter. Plusieurs membres du Conseil des Ministres exprimaient hier l’opinion, entre autres M. Picard, que d’ici à quelques jours l’ordre serait entièrement rétabli; d’autre part, le mécontentement paraît être assez vif dans la population parisienne et dans la Bourgeoisie en particulier qui rend, à tort ou à raison, le Gouvernement responsable de tout ce qui se passe. Comme il n’y a pas eu de résistance ni de nouveau sang versé, le parti de l’opposition contre l’état de choses actuel ne s’accentue en aucune manière à Paris, de sorte que cela laisse place à la supposition que cet état de choses pourra durer un certain temps.
Bien que la plupart de mes collègues soient décidés, à ce que j’ai appris, à se rendre demain ou après-demain déjà à Versailles, j’ai tenu cependant à Vous exposer la situation telle que je la juge, et à demander Vos instructions.
Quoiqu’il arrive, il est indispensable que je me rende au siège du Gouvernement pour me mettre en rapports personnels, au sujet des questions importantes et urgentes que Vous m’avez chargé de traiter dans les derniers temps avec M. Favre et si possible avec M. Thiers. Je fais spécialement allusion à Vos instructions relatives à la position faite à la Suisse par l’annexion de l’Alsace à l’Allemagne, cette question me paraissant d’autant plus urgente que les négociations vont prochainement s’ouvrir à Bruxelles.
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