Classement thématique série 1848–1945:
I. RELATIONS BILATÉRALES
I.9. France
I.9.3. Réfugiés
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 1, doc. 135
volume linkBern 1990
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#J1.20#1000/1311#2* | |
Old classification | CH-BAR J 1.20(-)1000/1311 1 | |
Dossier title | Briefwechsel mit Barmann, schweizerischer Gesandter in Paris (1849–1855) |
dodis.ch/41134
M. Turgot m’ayant fait prier de passer chez lui hier à 5 heures, je m’y suis rendu. Il m’a reproduit ses observations du 31 décembre et du 2 février, mais d’un ton bien plus tranchant et élevé. Je vais chercher à les résumer.
«Je vous ai fait connaître, m’a-t-il dit, les dangers dont la Suisse est menacée; ces dangers s’accroissent et deviennent imminents. Jusqu’à présent, j’y ai paré, mais la Suisse ne faisant rien pour nous satisfaire, ne répondant même pas à ma dernière note2, je vous déclare très nettement que je laisserai faire; vous vous en tirerez comme vous pourrez. Alea jacta est. Votre gouvernement aura à s’imputer d’avoir compromis la Suisse bénévolement.» J’ai répondu que le Conseil fédéral devait s’occuper dès les premiers jours de la semaine passée de répondre à la note du 24 janvier et que cette réponse a probablement été retardée par votre indisposition et celle de M. Druey; qu’il était très mal renseigné en affirmant que la Suisse n’a rien fait; qu’elle estimait au contraire avoir rempli loyalement et largement ses devoirs internationaux; que je priais le Ministre de vouloir bien sortir des généralités et de formuler quelques griefs.
Il me répliqua qu’il n’entrerait pas dans des détails et que c’était l’affaire de M. de Fénelon. Sur mon insistance, il me cita Boichot, dont il connaissait le séjour et un juif nouvellement renvoyé.3
J’ai dit à M. Turgot qu’il nous rendrait service en nous révélant la retraite de Boichat, qui est signalé à toutes les polices. Quant au juif, je ne sais ce que le Ministre a voulu dire.
Après diverses autres observations de ma part, il s’est écrié: Enfin vous ne voulez pas faire droit à ma note. «Je doute en effet, ai-je dit, que le Conseil fédéral soit disposé à se lier d’avance et à abdiquer son libre arbitre. La Belgique et le Piémont dont vous êtes si satisfait ne souscriraient certainement pas un tel engagement. Autre chose est de s’engager à renvoyer des réfugiés, sans examen préalable, dans un temps fixé sur la simple réquisition d’une puissance étrangère, autre chose est d’avoir égard à la demande motivée de cette puissance dans un cas spécial: le Conseil fédéral n’entend tolérer sur le territoire suisse aucune menée contre la France et il examinera certainement avec le désir d’y faire droit toutes les réclamations du Gouvernement français.
Là-dessus, le Ministre soutint que je faisais de la diplomatie, que je me croyais en Diète, qu’il n’allait pas par deux chemins, qu’il avait averti la Suisse comme vieille amie et alliée de la France, qu’il attendait une réponse catégorique, que le Président était de cet avis, qu’après cela, il s’en laverait les mains, que la France ne craignait rien, que si l’Autriche occupait le Tessin, la France en ferait autant de Genève, etc.
J’ai quitté le Ministre en lui disant que puisqu’il voulait bien nous qualifier de vieux amis, il nous traiterait aussi comme tels, et qu’en conséquence aucune mesure ne serait prise contre nous sans examen et sans nous avoir entendus.
Je ne dois pas omettre que le Ministre s’est montré très satisfait du Piémont et a ajouté que l’Autriche ne savait plus que dire. Il m’a aussi dit un mot d’articles infâmes de la Revue Suisse contre le Président.
J’attribue cette recrudescence aux intrigues de l’Autriche d’abord, puis aux élections du Tessin et aux chances qu’on croit ici très fortes, des radicaux bernois pour ressaisir le pouvoir. Je soupçonne même des traîtres de la Suisse de souffler le feu. J’ai en outre la conviction que l’article d’hier du Constitutionnel sur la Suisse est communiqué.
Le Conseil fédéral trouvera peut-être que j’ai trop parlé, mais il m’a paru impossible de garder le silence ou de rester dans les banalités; croyez-bien, dans tous les cas, que ces réflexions personnelles je les ai émises avec beaucoup de calme.
Votre réponse4 est sans doute remise. Permettez-moi de répéter, il ne s’agit pas de faire, il faut encore le faire valoir, et à ce point de vue, M. de Fénelon peut être utile ou très nuisible. J’espère que le choix des commissaires produira un bon effet5 et que vous ne perdez pas de vue les Tessinois dont le caractère distinctif n’est pas la prudence.
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