Classement thématique série 1848–1945:
I. RELATIONS BILATÉRALES
I.9. France
I.9.3. Réfugiés
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 1, doc. 134
volume linkBern 1990
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E21#1000/131#57* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 21(-)1000/131 31 | |
Titre du dossier | Verschiedenes betr. die politischen Flüchtlinge (1852–1852) | |
Référence archives | 11.2.1.1.1.5 |
dodis.ch/41133
Dans une note datée du 24 Janvier dernier2, S.E. M. de Salignac-Fénelon appelle l’attention du Conseil fédéral sur la question des réfugiés politiques et expose que, si des agents de désordre pouvaient, à proximité des frontières de France, reformer des conciliabules démagogiques et se livrer à de nouvelles menées, le Gouvernement Français aurait le devoir et la volonté d’y mettre un terme. L’hospitalité accordée dans divers Cantons aux réfugiés prendrait à l’avenir un tout autre caractère, si elle abritait des complots dirigés contre le repos intérieur et la sûreté d’une Puissance voisine, et s’il était permis à des étrangers de se constituer sur le territoire helvétique, par leur participation à des actes ou à des écrits révolutionnaires, en état de rébellion contre les lois et le Gouvernement de leur pays. La France, continue la note, n’a pas à repousser l’imputation de vouloir se mêler des affaires de la Confédération; mais son Gouvernement ne saurait consentir davantage à ce que le respect qu’il professe pour une nationalité étrangère fût détourné de son objet au point d’assurer une sorte d’impunité aux irréconciliables ennemis de la société. Encore moins pourrait-il admettre, à l’égard de ses nationaux, un autre juge que lui-même des nécessités de sa politique et des moyens les plus propres à hâter le succès de l’œuvre à laquelle il s’est voué.
La Légation a été en conséquence chargée de demander que le Conseil fédéral prenne l’engagement formel que toutes les expulsions qu’elle se trouvera dans le cas de provoquer, lui seront accordées à quelque catégorie de réfugiés français que cette mesure doive s’appliquer, et que les ordres du pouvoir central seront exécutés dans un délai convenu à l’avance, sans pouvoir, comme il vous serait facile d’en citer des exemples, être ni atténués ni éludés sous aucun prétexte par les autorités cantonales. La Légation de France, ajoute Votre Excellence, est seule en position de connaître quels sont, parmi ces individus, ceux dont les antécédents et les relations, rendent la prolongation de leur séjour impossible dans toute l’étendue de la Confédération et ceux qu’une tolérance dont leur conduite ultérieure déterminerait les limites, peut y maintenir provisoirement.
Les premiers devront partir sur la simple désignation que votre Légation fera de leurs personnes; les autres sauront que si le territoire helvétique leur sert encore de refuge, ce n’est qu’à la condition de ne motiver aucune plainte de la part du Ministre de France. En terminant, la note du 24 Février [sic, pour Janvier] annonce qu’un refus de faire droit à ces réclamations aurait pour effet d’altérer gravement les rapports que le Président de la République a à cœur d’entretenir avec le Gouvernement fédéral; qu’une attitude différente de celle dont le Président exprime l’attente ne tarderait pas à entraîner des complications fâcheuses et à imposer notamment au Gouvernement de la République le devoir d’aviser à des mesures que son plus grand désir serait de ne pas employer, mais auxquelles il aurait recours bien malgré lui, si la démarche de Votre Excellence n’atteignait pas son but.
Comme le Conseil fédéral partage sans restriction les vues exprimées au commencement de la note, savoir: qu’aucun Etat ne peut tolérer que des étrangers s’abritent de l’asile qui leur est accordé pour se livrer à des conspirations ou à d’autres entreprises contre la tranquillité et l’ordre d’autres Etats; comme le but constant de ses efforts a été de faire dûment respecter ce principe sur le territoire Suisse il a dû être d’autant plus surpris des conséquences qu’on fait découler de ces vues et des exigences qu’on y rattache. Avant tout on doit se demander s’il existe des faits extraordinaires, des manifestations qui puissent justifier des griefs contre la Suisse. Si des conspirations ont réellement été ourdies sur son territoire contre la France, si cela a eu lieu au su et avec l’approbation des autorités suisses, et si néanmoins les coupables jouissent impunément et sans entraves de la protection de l’asile. Il faudrait admettre l’existence de tous ces antécédents pour trouver tout ou moins une raison suffisante aux sommations qui ont été articulées. Mais c’est en vain que le Conseil fédéral cherche des faits de cette nature. Le nombre des réfugiés français a toujours été peu considérable, et les bruits répandus à cet égard fort exagérés, ainsi que le Conseil fédéral l’a montré précédemment, fondé en partie sur les rapports de ses commissaires, en partie et spécialement sur le dépouillement de différentes listes de réfugiés.
Bien qu’on n’eût saisi aucune trace de menées politiques et que la France se fût bornée à demander l’internement des réfugiés, seize d’entre eux et un Italien n’en furent pas moins renvoyés de la Suisse dans le courant de Mars 18513, non pour avoir conspiré contre un Etat étranger, car rien ne le faisait voir, mais parce qu’ils bravaient ouvertement les arrêtés du Conseil fédéral sur leur internement.4 La plupart quittèrent effectivement la Suisse et quelques-uns seulement réussirent, en s’éloignant clandestinement, à mettre les autorités dans l’impossibilité de fournir la preuve qu’ils étaient aussi partis: aussi continuèrent-ils d’être signalés aux recherches de la Police. Tel fut l’état de choses jusqu’en Décembre 1851. Le 5 dudit mois, sept réfugiés français se trouvèrent à Lausanne, y rédigèrent et y firent clandestinement imprimer un appel insurrectionnel invitant le Peuple français à prendre les armes. Quoique cet appel ne fût pas répandu et demeura par conséquent à l’état de projet, le Conseil fédéral n’en résolut pas moins d’expulser ces réfugiés de la Suisse, dès qu’il eut connaissance de l’imprimé.5 Cette décision aussi a été en grande partie exécutée et aucun moyen n’a été négligé pour qu’elle le fût complètement. Quoique les faits qui viennent d’être rappelés soient bien connus de la Légation française, le Conseil fédéral a cependant cru devoir les récapituler, afin de faire ressortir avec évidence que la Suisse n’est point le foyer de complots contre la France ou d’autres Etats, que toute tentative de menées politiques qui parvient à la connaissance de l’autorité provoque son intervention immédiate et spontanée, et que les décisions du Conseil fédéral reçoivent toujours l’exécution qui est dans le domaine du possible.
Mais à supposer même qu’il existât actuellement des motifs réels de plainte, ce qu’on serait sans contredit en droit de demander, c’est qu’il soit mis un terme à l’abus de l’asile, qu’il soit pris des mesures contre les individus qui fournissent matière à des réclamations, et que l’exercice de l’hospitalité envers des étrangers soit mis en harmonie avec des obligations internationales que nous ne songeons point à contester. Voilà ce que veut le droit international reconnu; c’est cela et pas davantage que, dans des cas donnés, on a toujours demandé tant de la Suisse que d’autres Etats et c’est aussi ce que le Conseil fédéral n’a jamais refusé et ce qu’il accordera consciencieusement en tout temps: mais ce qu’on demande dans la note du 24 Janvier est tout nouveau.
L’autorité du pays ne doit plus rien avoir à dire sur le séjour ultérieur ou l’expulsion d’étrangers qui ont été reçus dans le pays et y vivent sous la protection de ses lois et de ses institutions, à l’avenir il dépendra plutôt d’un simple signe et d’une Légation étrangère pour décider quelles mesures les autorités auront à prendre dans ce domaine de la police des étrangers.
Si le Conseil fédéral Suisse ne refusait pas d’obtempérer à la demande qui lui est faite, il violerait de la manière la plus grave la Constitution fédérale, ainsi que ses devoirs sacrés envers le pays qui lui a confié le pouvoir directorial et exécutif supérieur; car il doit voir dans cette demande une atteinte profonde portée à l’indépendance, à la dignité et à la liberté de la Confédération, puisqu’il devrait se désister du droit appartenant à tout Etat indépendant d’accorder ou de refuser de son chef et sous sa responsabilité le séjour à des étrangers; il doit voir, de plus, dans cette demande une intervention décidée dans les affaires intérieures de la Suisse, car si le Gouvernement français ne reconnaît d’autre juge que lui-même des nécessités de sa politique et des moyens les plus propres à atteindre son but, il ne saurait cependant sans méconnaître les notions les plus positives du droit des gens, vouloir imposer son jugement à d’autres Etats ni leur contester le droit de décider euxmêmes ce qu’ils ont à faire et à laisser sur leur territoire. La France, qui a de tout temps accordé un asile aux proscrits politiques, ne se laisserait jamais contester ce droit et ne renoncerait jamais à son libre arbitre dans des questions de cette nature.
Mais si le Conseil fédéral doit décliner la demande qui lui est adressée il ne s’ensuit nullement qu’il permettra aux réfugiés de faire servir le territoire suisse à des entreprises hostiles à d’autres Etats, bien au contraire, il doit expressément repousser l’accusation dirigée contre la Suisse, de vouloir assurer une sorte d’impunité aux irréconciliables ennemis de la société. Le Conseil fédéral a tout à l’heure rappelé le fait que depuis quelques années, il a expulsé plusieurs réfugiés français et autres dont la présence paraissait incompatible avec les rapports internationaux entre la Confédération et d’autres Etats; c’est aussi à ce point de vue qu’il jugera et décidera à l’avenir dans chaque cas spécial.
Le Conseil fédéral Suisse espère avoir ainsi donné toutes les assurances compatibles avec l’honneur et l’indépendance de la Confédération et qui satisfont pleinement à ce qu’exige le droit international. Aussi les menaces qui terminent la note ne sauraient-elles le faire sortir de la voie qui lui est tracée tant par le sentiment profond de son devoir que par le droit international et, il n’en doute pas, par la voix du Peuple Suisse.6