Classement thématique série 1848–1945:
I. RELATIONS BILATÉRALES
I.9. France
I.9.10. Juifs
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 1, doc. 130
volume linkBern 1990
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E22#1000/134#1872* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 22(-)1000/134 345 | |
Titre du dossier | Rechtsverhältnisse französischer Juden in Basel-Stadt und -Land, v.a. Aufenthalt, Niederlassung und Berufsausübung (1851–1864) | |
Référence archives | 4.12 |
dodis.ch/41129
Le 16 décembre dernier, Son Excellence Monsieur de Reinhard, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la République française près la Confédération suisse, a communiqué au Conseil fédéral l’extrait d’une dépêche de son gouvernement2 portant en substance que:
«Une pétition a été adressée au gouvernement par plusieurs négociants israélites français demandant protection contre les mesures de rigueur dans les cantons de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne envers les citoyens français professant la religion de Moïse. L’expulsion violente de ces nationaux a été encore aggravée par les dispositions législatives adoptées postérieurement aux réclamations des pétitionnaires, et qui inderdisent à toute une classe de citoyens français la faculté de s’établir dorénavant dans ces cantons. Des faits de cette nature imposent au gouvernement l’obligation de demander formellement, au nom des principes de droit public universellement adoptés aujourd’hui, la modification d’une législation intolérante qui blesse les principes de civilisation libérale dont la France s’honore d’être le soutien. Tous ses ressortissants à quelque croyance qu’ils appartiennent ont un droit égal à la protection du gouvernement, qui ne pourrait, sans manquer à ses devoirs, conserver intactes ses relations avec un Etat où un certain nombre d’entre eux seraient en butte à un traitement qui a tout le caractère d’un acte de mauvais vouloir prémédité et tout au moins celui d’injurieuse persévérance dans un système contre lequel il a sans cesse réclamé. Le Gouvernement de la République avait conçu l’espoir que les sérieuses réclamations de la Légation auraient au moins pour effet de suspendre les actes violents et injustifiables dont on avait à se plaindre. Loin de là, le Grand Conseil de Bâle-Campagne y a répondu par l’adoption de mesures plus rigoureuses encore.3
«A teneur de l’art. 3 du traité de 18274, les cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne devraient traiter les citoyens français comme leurs nationaux; mais c’est ce qui n’a pas eu lieu. La France n’est par conséquent pas tenue non plus d’assimiler les ressortissants de ces cantons à ses propres nationaux. Le Gouvernement français éprouverait un vif regret de devoir adopter des mesures de représailles envers la Suisse et il désire épuiser préalablement tous les moyens de conciliation compatibles avec sa dignité et l’intérêt de ces concitoyens. La Légation est donc chargée d’inviter le Conseil fédéral à ouvrir une négociation destinée à obtenir l’abrogation des dispositions législatives dont il s’agit. Ce but pourrait être atteint, soit par une modification de la Constitution fédérale qui aurait pour effet d’investir le Conseil fédéral du pouvoir de contraindre les cantons à traiter les Israélites français comme les autres Français, soit par une interprétation de cette constitution qui n’impose à aucun canton l’obligation d’admettre les juifs sur son territoire, mais qui ne leur en enlève pas cependant la faculté. Le Conseil fédéral sera en outre engagé à prévenir les Gouvernements de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne que, si l’état de choses actuel devait continuer, la France serait dans la nécessité de refuser à leurs ressortissants des droits déniés aux citoyens français. La Légation demandera de plus qu’en attendant une décision définitive, il ne soit pas donné suite aux ordres de renvoi qui ont été prononcés. Le Gouvernement de la République espère que le Conseil fédéral comprendra l’importance de cette démarche et s’attachera à trouver un moyen de donner satisfaction. Si ce but n’était pas atteint, l’impérieux devoir qui commande au Gouvernement français de faire respecter la nationalité et les intérêts des citoyens français le mettrait dans la pénible obligation de recourir à des mesures que la prudence du Conseil fédéral saura, sans doute, prévenir, afin que cette revendication d’un droit incontestable ne devienne pas l’occasion d’une altération bien regrettable dans les rapports existant entre la France et la Confédération suisse.»
Conformément à l’usage établi, le Conseil fédéral s’est empressé de porter cette note à la connaissance des gouvernements cantonaux qu’elle concerne plus particulièrement;5 et il a eu d’autant plus de raison de le faire dans le cas actuel qu’il a pu se convaincre par le ton et le contenu de la note que la pétition des Israélites sur laquelle elle s’appuie est partiale, incomplète et empreinte d’exagération.
Basé sur les rapports des Gouvernements de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne6, le Conseil fédéral doit avant tout compléter les faits et les ramener à leur véritable état.
En ce qui concerne Bâle-Ville, aucun israélite français établi dans ce canton n’en a été renvoyé, et il n’y a été promulgué ni loi ni ordonnance en vertu de laquelle des citoyens français, juifs ou chrétiens, doivent être traités plus rigoureusement que des citoyens de Bâle même ou d’autres citoyens suisses. Voici plutôt ce qui s’est passé: depuis nombre d’années les ordonnances de police en matière d’industrie étaient éludées, soit par des citoyens du canton et d’autres Suisses établis, soit par des habitants des localités limitrophes, en ce que des individus ne possédant pas le droit d’exercer certaines industries empruntaient le nom d’autres personnes, exploitant ainsi une industrie sous de faux noms et d’une manière illégale. Dans le but de réprimer efficacement des abus de ce genre, on rendit le 2 juillet dernier, une ordonnance de police statuant des peines contre ceux qui coopéraient à une pareille infraction de la loi, soit en prêtant leur nom, soit en empruntant celui d’autrui.7 Il en résulta que plusieurs dénonciations d’exploitation industrielle illicite parvinrent aux tribunaux et que l’on ferma divers établissements ou magasins dont les possesseurs ne réussirent plus à faire passer une personne ayant droit d’exercer l’industrie comme prétendu propriétaire de l’établissement. Au nombre des individus qui ont été punis se trouvent aussi quelques Israélites français de l’Alsace qui n’étaient nullement établis dans le canton de Bâle, mais qui se rendaient journellement du lieu de leur domicile dans la ville et y tenaient des établissements industriels sous des noms d’emprunt et contrairement aux lois du canton. Or cette ordonannce de police n’est point une mesure exceptionnelle contre les israélites français, mais elle est aussi appliquée à tous les citoyens suisses, quelque religion qu’ils professent. D’ailleurs c’est toujours avec les plus grands ménagements qu’on a procédé à l’exécution de ces jugements, et des délais convenables pour la liquidation ont été accordés à ceux qui les ont sollicités.
La Légation française ayant aussi demandé un délai équitable en cas pareil, on a lieu d’être surpris qu’après qu’il a été immédiatement satisfait à cette demande, la sentence judiciaire elle-même soit attaquée et signalée comme une mesure vexatoire et contraire au traité. Il est donc établi en fait qu’aucun israélite français établi n’a été renvoyé et qu’il n’a été pris aucune mesure exceptionnelle contre cette classe de citoyens français; que, par conséquent et faisant même abstraction du point de vue du droit, il n’existe pas de motif de plainte contre le Gouvernement de Bâle-Ville.
Plusieurs israélites français ont, il est vrai, été renvoyés du canton de Bâle-Campagne; on y a aussi rendu en novembre dernier une loi interdisant l’établissement et l’exercice permanent d’une industrie à tous les israélites, par conséquent aussi aux Suisses, et frappant d’une amende les contraventions à cette loi. Les renvois dont il s’agit n’ont point été ordonnés en exécution de cette loi, mais en application de la législation antérieure et par suite de la conduite des israélites qui ont porté plainte. Bien que plusieurs séjournassent déjà depuis longtemps dans le canton, il est de fait qu’aucun d’eux n’a jamais obtenu la permission de s’y établir et d’y exercer une industrie, mais ainsi que le Conseil fédéral a déjà eu l’honneur de l’exposer dans sa réponse du 7 novembre dernier8, ils ont eu recours à la ruse et enfreint les lois, notamment en mettant en avant d’autres personnes comme prétendus propriétaires d’une industrie, en les faisant passer comme employés ou en usant d’autres expédients semblables. Bravant des comminations réitérées, d’expulsion et de punition, ils persistèrent dans leur conduite jusqu’à ce que l’opinion publique, se prononçant toujours plus hautement contre l’illégalité d’un pareil état de choses, mît les autorités dans l’obligation de procéder avec plus de rigueur, puisque tous les moyens employés précédemment étaient demeurés sans effet. Quant à cette loi, qui fait aussi l’objet de la plainte, elle ne renferme point, comme on le prétend, une interdiction toute nouvelle de l’établissement et de l’exercice de l’industrie aux israélites tant suisses qu’étrangers. Elle ne fait que confirmer, quant au point principal, des dispositions antérieures, puisque cette interdiction a été statuée déjà dans diverses lois, notamment en 1803, 1816 et 1840.
La nouvelle loi ne diffère au fond des anciennes qu’en ce qu’elle réprime les infractions avec plus d’efficacité et qu’elle supprime en faveur des israélites diverses restrictions auxquelles ils étaient soumis précédemment dans le domaine du droit civil. Tel est l’état réel de l’affaire dans ces deux cantons.
Le Conseil fédéral revenant au contenu de la note du 16 décembre dernier, ne saurait admettre que les intérêts d’une civilisation libérale soient ici en question, que ces intérêts aient été lésés en Suisse à l’égard des Français, ni que la France ait le droit d’intervenir à ce sujet. Sans entrer plus avant dans les motifs exposés dans la note, le Conseil fédéral doit cependant présenter les observations suivantes.
La législation de divers cantons, qui refuse ou rend difficile l’établissement des juifs en général, n’a point été inspirée par des idées d’intolérance ou de persécution religieuse, mais dictée par de nombreuses et amères expériences de la manière dont ces gens exercent ordinairement leur industrie et comment ils ont essentiellement contribué à appauvrir des contrées entières. Ces lois n’ont pas davantage pour mobile des sentiments d’inhumanité ou la haine envers ceux qui professent la religion judaïque. Non seulement une foule d’israélites étrangers ont été de tout temps et sont aujourd’hui encore établis en Suisse, mais la Confédération a fait à réitérées fois preuve de la plus grande inhumanité [sic]à leur égard, notamment en 1848 et 1849, alors qu’elle accorda asile et protection à plus de cent familles juives de la France, menacées dans leur vie et leurs propriétés en Alsace; et ce furent précisément les cantons contre lesquels la plainte actuelle est plus spécialement dirigée qui se distinguèrent fort honorablement à cette occasion.
Il ne saurait d’ailleurs être ici question de savoir si la Constitution et la législation d’un Etat indépendant répondent ou non à toutes les exigences et à toutes les idées de l’époque. Car cette question, fort relative du reste, concerne les rapports intérieurs de chaque Etat; et d’après les principes reconnus du droit international, elle ne peut être l’objet de l’immixtion d’un autre Etat. Il s’agit au contraire de savoir si les cantons suisses sont dans l’obligation d’accorder l’établissement aux israélites français et si le refus qui en serait fait constitue une violation des rapports internationaux avec la France. Le Conseil fédéral estime que chaque Etat a le droit de statuer par sa constitution ou sa législation les principes, les restrictions et les conditions d’après lesquelles il entend accorder aux étrangers le droit de s’établir dans le pays. Ce droit gît non seulement dans la nature des choses, mais encore il trouve sa confirmation partout dans la réalité. Si un Etat était, par les principes généraux de droit international, obligé d’accorder l’établissement à tous les ressortissants des autres Etats, les traités relatifs à ces objets seraient superflus ou du moins perdraient leur principale signification.
En Suisse ce droit de législation souveraine en matière d’établissement appartenait précédemment tout entier aux cantons, en sorte qu’il leur était loisible de refuser en tout ou en partie l’établissement, non seulement aux ressortissants d’Etats étrangers, mais aussi à des citoyens d’autres cantons. La Constitution fédérale de 1848 a limité la souveraineté des cantons en tant qu’ils sont maintenant obligés d’accorder l’établissement aux citoyens d’autres cantons qui appartiennent à la confession chrétienne et remplissent les conditions voulues par la Constitution. La contrainte imposée aux Etats confédérés par la Constitution ne va pas plus loin, et il suit de là que, aujourd’hui comme avant, les cantons sont libres d’accorder ou de refuser l’établissement à des personnes qui n’appartiennent pas à la confession chrétienne. A cet égard les cantons sont donc indépendants et se trouvent dans leur droit constitutionnel lorsque, par exemple, ils n’accordent pas l’établissement à des israélites suisses. Par le même motif, on ne saurait exiger non plus qu’ils traitent les ressortissants d’Etats étrangers plus favorablement que les citoyens suisses. Ce principe de l’indépendance en matière de législation, la Suisse l’a maintenu de tout temps dans ses rapports avec d’autres Etats, et il n’a été contesté encore par aucun Etat parce que chaque Etat le revendique pareillement pour lui-même.
Maintenant existe-t-il entre la France et la Suisse un traité qui restreigne les cantons et surtout leur impose l’obligation d’accorder l’établissement aux Français de toutes les confessions? Comme dans la note on s’appuie en effet sur le traité de 1827, le Conseil fédéral doit aussi examiner la question de plus près. L’article 3 invoqué présuppose l’obtention de l’établissement, en ce qu’il se réfère itérativement à l’article 1er9, lequel traite spécialement du droit de séjour, d’établissement et d’exercer une industrie; il est ainsi conçu: «Art. 3. Les Suisses jouiront en France des mêmes droits et avantages que l’article 1 ci-dessus assure aux Français en Suisse, de telle sorte qu’à l’égard des cantons qui, sous les rapports spécifiés au dit article 1er, traiteront les Français comme leurs propres ressortissants, ceux-ci seront, sous les mêmes rapports, traités en France comme les nationaux. Sa Majesté Très Chrétienne garantit aux autres cantons les mêmes droits et avantages dont ils feront jouir ses sujets.»
Il résulte évidemment de cet article que les Français ont droit au séjour, à l’établissement et à l’exercice de leur industrie dans les cantons, dans la même mesure et étendue que les autres citoyens suisses. Mais une classe de citoyens suisses étant exclue de ce droit, il ne pouvait pas être dans l’intention des parties contractantes que ces droits fussent néanmoins accordés à la même classe d’étrangers, et qu’une inégalité fût consacrée par là au détriment des citoyens suisses. Et, afin de prévenir toute espèce de doute à ce sujet, la commission de la Diète, avant de conclure le traité, demanda à l’envoyé français chargé de négocier, une déclaration authentique sur le sens du traité à l’égard des israélites français. Cette déclaration fut donnée à la Diète le 7 août 1826 par M. le Baron de Rayneval, Ambassadeur de France, en ces termes:
«M. le Président,
La commission chargée par la Diète fédérale de se concerter avec moi sur les bases de la négociation que mon gouvernement m’a autorisé à suivre avec la Suisse a témoigné le désir de recevoir quelques explications propres à ne laisser subsister aucun doute sur le véritable sens de quelques-uns des articles que nous avons arrêtés d’un commun accord dans notre dernière conférence; je m’empresse d’autant plus volontiers d’acquiescer à ce vœu, que l’intention bien certaine du Roi mon maître, en réglant par une nouvelle transaction les rapports habituels de ses Etats avec ceux qui composent la Confédération est d’écarter pour l’avenir, sur les obligations réciproques qui en résultent, tout sujet de malentendu et d’incertitude.
«Le premier point qui ait paru avoir besoin de quelques éclaircissements, est relatif aux israélites, sujets du Roi, qui, en cette qualité, pourraient se croire autorisés à réclamer dans tous les cantons le bénéfice de l’article I du projet arrêté entre la commission et moi. Je ferai observer à cet égard que cet article ne concédant aux
Français que les droits qui sont accordés par chaque Etat de la Confédération aux ressortissants des autres cantons, il s’ensuit nécessairement que dans ceux des cantons où le domicile et tout nouvel établissement seraient interdits par les lois aux individus de la religion de Moïse, les sujets du Roi qui professent cette religion ne sauraient se prévaloir de l’article en question pour réclamer une exception à la
règle générale. Il est bien entendu toutefois et c’est une conséquence directe de
l’article VI, que ceux d’entre eux qui se seraient établis sur le territoire de la
Confédération sous le régime de l’Acte de Médiation et en vertu du traité de 1803,
continueront à jouir des droits qui leur étaient acquis.»10
La France a ainsi donné par son représentant une déclaration authentique portant que les juifs établis en Suisse depuis l’abrogation de l’Acte de Médiation ne doivent avoir aucun privilège sur les juifs suisses et que par conséquent les cantons suisses ne seraient tenus d’accorder l’établissement à ces premiers qu’autant qu’ils accorderaient aussi le même droit aux derniers. Or cette supposition n’existe pas,
puisque les lois de Bâle n’accordent aucune prérogative aux juifs suisses. Et aucun des juifs français qui se sont établis en Suisse durant l’époque de la Médiation n’a
été renvoyé.
Mais la note de M. de Rayneval n’est pas la seule déclaration et reconnaissance du véritable sens du traité. Un décret rendu en 1839 par le Gouvernement de
Bâle-Campagne11 concernant le séjour temporaire donna lieu à une correspondance diplomatique.
Le Conseil fédéral prend la liberté de joindre ici deux notes des ambassadeurs français, MM. Mortier et de Pontois, relatives à cette affaire. A côté de diverses observations et de certaines réserves générales, on remarque les passages suivants dans ces pièces.
Dans la note du 5 octobre 1843, il est dit:
«Le décret de 1839 viole la convention du 30 mai 1827, car si, conformément à
la déclaration de M. Rayneval en date du 7 août 1826, les juifs français ne peuvent
pas se prévaloir des stipulations de l’article Isous le rapport de la faculté de prendre
domicile et de former établissement en Suisse, toujours est-il que celle d’aller, venir
et séjourner dans ce pays, reste entière pour eux»12Dans la note du 28 juillet 1845, M. l’Ambassadeur déclare:
«Que si le Gouvernement de Bâle-Campagne persistait, même après la révocation du décret mentionné, à refuser des permis de séjour à des juifs français qui ne veulent ni former un établissement ni exercer une industrie, il ne pourrait voir dans une telle conduite qu’une infraction aux traités.'»13
Si, d’après les principes généralement reçus et mis en pratique, chaque Etat est en droit de déterminer l’étendue de la faculté de s’établir dans le pays accordée aux étrangers, si à l’occasion du traité conclu entre la France et la Suisse, les juifs français ont été exceptés par la déclaration formelle de la France, déclaration qui a dès lors été itérativement reconnue, le Conseil fédéral ne comprend réellement pas qu’on puisse parler de violation de droits internationaux et de traités existants, d’un mauvais vouloir persistant, de mesures violentes et de vexations. Les gouvernements cantonaux que cela concerne repoussent de pareilles imputations; ils déclarent qu’ils ont constamment et consciencieusement observé le traité et qu’ils ne cesseront pas de l’observer, mais aussi qu’ils ne reconnaissent aucune obligation en dehors de ce traité et qu’ils doivent réserver les droits de leur canton contre toutes prétentions ultérieures.
Le renvoi de divers israélites français a eu lieu en septembre et en octobre de l’année dernière. Quoique la Légation française soit intervenue alors par une série de notes, elle n’a jamais prétendu que ces mesures fussent contraires aux obligations internationales ou aux traités, mais elle a fait valoir les circonstances particulières, les bons certificats délivrés en faveur des réclamants, leur séjour prolongé, les pétitions adressées en leur faveur, etc., et elle a demandé que le Gouvernement de Bâle-Campagne fût invité à revenir de ses décisions ou que tout au moins un délai équitable fût accordé aux intéressés pour mettre en ordre leurs affaires, et qu’en tout cas il fût sursis à l’exécution jusqu’à ce que l’affaire fût terminée. Maintenant les mêmes mesures sont qualifiées de violation du traité existant entre la Suisse et la France; si l’on eût réellement agi contre le traité on aurait purement et simplement demandé que le Conseil fédéral mît un terme à une pareille violation du droit; car la Constitution fédérale ne renferme aucun article qui implique contradiction avec les obligations internationales et le Conseil fédéral aurait le pouvoir et le devoir de rétablir l’état de droit alors que les traités existants viendraient à être violés par un canton.
Au lieu de cela, on demande en première ligne que le Conseil fédéral avise à une révision de la Constitution fédérale dans le but d’obtenir l’assimilation des israélites suisses avec les autres citoyens suisses, et par là indirectement l’assimilation des israélites français. Ce n’est pas sans un sentiment pénible que le Conseil fédéral a vu cette prétention, car c’est la première fois qu’un gouvernement étranger l’a invité à apporter un changement à la Constitution de la Confédération et cela dans le but de procurer certains avantages à une classe d’étrangers, avantages auxquels leur gouvernement a formellement renoncé par un traité. Le Conseil fédéral, en repoussant cette demande, doit faire observer que la Constitution fédérale n’est en contradiction avec aucune obligation internationale et que, pour les accomplir, une révision de cette constitution serait par conséquent entièrement superflue. Si toutefois des motifs de convenance faisaient désirer une révision, l’initiative ne peut en appartenir qu’au peuple suisse ou à ses autorités constitutionnelles.
On demande en seconde ligne, qu’il soit donné à la Constitution fédérale une interprétation en vertu de laquelle les cantons seraient sinon obligés, du moins autorisés à accorder l’établissement aux israélites français. Cette demande repose probablement sur une erreur. Car il n’existe aucun doute, et cela a été démontré plus haut, que tel est précisément l’état de droit actuel, et que chaque canton est parfaitement libre d’agir en ceci comme il l’entend. La Légation française est en mesure de se convaincre par ses registres d’immatriculation que cette liberté profite largement aux israélites français. Tandis qu’on se plaint de refus d’établissement fait à une huitaine d’individus dans le canton de Bâle-Campagne, il est avéré qu’un grand nombre d’israélites français ont obtenu librement et sans aucune obligation internationale dans les divers cantons de la Suisse le droit de s’établir et d’exercer leur industrie, et que dans le canton de Bâle-Ville, par exemple, contre lequel, chose étrange, on élève aussi des plaintes, il y a plus de cent israélites français domiciliés. Le Conseil fédéral ne doute point que le Gouvernement français ne prenne ces faits en due considération. Il ne saurait d’ailleurs comprendre la portée pratique de la seconde demande en ce qui concerne la cause de la plainte dont il s’agit; car le Gouvernement de Bâle-Campagne a précisément fait usage de la liberté revendiquée pour les cantons d’accorder ou de refuser l’établissement aux juifs français. Il a aussi été démontré plus haut que le renvoi de quelques israélites n’a pas eu lieu ensuite de la loi de novembre 1851, mais en vertu de dispositions antérieures, et que pas un seul des intéressés ne serait en état de produire un permis d’établissement et d’industrie délivré par l’autorité compétente et dont on pût faire découler l’obligation du canton à les tolérer plus longtemps.
Le Conseil fédéral espère avoir montré par ce qui précède que les réclamations de ces israélites ne sont nullement fondées en droit et il ne doute nullement que le Gouvernement français, après avoir pris connaissance de ces faits et pesé ces considérations, se convaincra qu’il n’y a aucune violation du droit et par conséquent aucun motif de représailles. Si cependant il y avait recours, ce que le Conseil fédéral déplorerait dans l’intérêt des deux nations, ces mesures ne pourraient atteindre que des personnes en possession d’un droit d’établissement fondé sur les traités, ce qui n’est pas le cas des israélites, et le Conseil fédéral devrait envisager les dites mesures comme une rupture partielle du traité du 30 mai 1827 de la part de la France.
En terminant, le Conseil fédéral a l’honneur d’informer S.E. M. de Salignac-Fénelon de [ce]que non seulement il a été sursis à l’exécution du renvoi, mais encore que le Gouvernement de Bâle-Campagne a déclaré être disposé à accorder toutes les facilités désirables aux intéressés pour la liquidation de leurs affaires.
- 1
- Note (Copie): E 22/1872.↩
- 2
- Non reproduite.↩
- 3
- Gesetz betreffend die Verhältnisse der Juden, vom 17. November 1851. Imprimé, non reproduit.↩
- 4
- Convention d’établissement du 30 mai 1827, RO II, p. 233.↩
- 5
- Lettre du 23 décembre 1851, non reproduite.↩
- 6
- Des 7 et 3 janvier 1852, non reproduits.↩
- 7
- Verordnung über Namenleiherei, als Nachtrag zu den § 198 und 204 der Allgemeinen Polizei und Strafordnung für den Kanton Basel-Stadttheil vom 1. September 1837. Sammlung der Gesetze und Beschlüsse..., welche seit Anfang 1851 bis Ende 1854 für den Kanton Basel-Stadt erlassen worden. Basel 1855, p. 52–53.↩
- 8
- Non reproduite.↩
- 9
- RO II, p. 233.↩
- 10
- D 2030.↩
- 11
- Décret du 20 avril 1839. Nonpublié. Liestal, Staatsarchiv, Protokolle des Regierungsrathes, no 24.↩
- 12
- Mortier au Conseil d’Etat de Bâle-Campagne, non reproduite.↩
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