Classement thématique série 1848–1945:
V. ÉMIGRATION
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 1, doc. 97
volume linkBern 1990
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2#1000/44#2061* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2(-)1000/44 379 | |
Titre du dossier | Verschiedenes (1848–1862) | |
Référence archives | D.411 |
dodis.ch/41096
Je regarde comme inutile d’ajouter aux innombrables faits consignés dans mes rapports antérieurs et dans ma correspondance, faits qui prouvent jusqu’à la dernière évidence que nos concitoyens qui émigrent sont déjà trompés en Suisse, et victimes d’incroyables abus, pendant le voyage, au Havre et au port de débarquement en Amérique. Mais il est de mon devoir de vous signaler une entreprise nouvelle de transport d’émigrants qui me paraît menacer gravement la dernière liberté des malheureux qui vont chercher au-delà des mers une nouvelle patrie. Je veux parler des Messageries nationales qui, ayant des bureaux sur toutes les frontières et des services qui vont aboutir, qui vont même plus loin, annonçant l’intention de prendre en quelque sorte les émigrants chez eux et de traiter avec eux à forfait, pour les rendre à la Nouvelle-Orléans ou à New York, nourriture et tout compris. Cette compagnie est puissante, je l’ai éprouvé en plus d’une occasion, et qui sait si ce n’est pas son bras qui se fait sentir dans l’affaire que vous savez? Elle connaît très bien le consul du Havre et sait jusqu’à quel point il peut être surveillant incommode pour elle. Je me borne pour le moment à l’observation suivante: Les Messageries nationales disposent de moyens de transport jusqu’au Havre immenses, et sont en mesure de les augmenter et proportionner à tous les besoins. Ce n’est pas trop hasarder que de supposer qu’il y aura même entente avec les Messageries générales. Cela admis, et au moins pour les Messageries nationales, il faut l’admettre, il n’y aura donc plus moyen pour les émigrants d’arrêter leur place pour le Havre seulement, d’arriver ici libres de choisir leur navire, d’acheter euxmêmes leurs vivres, de loger où ils voudront, car évidemment tout émigrant qui se présentera dans un bureau des Messageries nationales pour se faire inscrire pour le Havre recevra invariablement pour réponse: plus de place, toutes les places sont arrêtées pour 15 jours. Puis des hommes officieux seront là pour souffler à Immigrant l’heureuse idée de se faire inscrire tout de suite pour l’Amérique, pour vanter l’avantage qui en résultera pour lui, etc., etc., et le malheureux subira évidemment l’accord qu’on voudra lui imposer. Il sera vendu à une administration qui a maintes fois transporté des émigrants comme du bétail!
J’avoue que cela devient à tel point effrayant qu’il n’y aura peut-être de remède que dans une intervention diplomatique. Et me voilà réduit à n’avoir plus qu’une médiocre confiance dans le remède que j’ai si longtemps et si vainement recommandé, la création d’un bureau fédéral à Bâle.
J’y reviens cependant et je vous prie de m’entendre avant de condamner pour toujours mon idée.
Des agents odieux ont fait leur métier à Bâle sans que jamais les autorités de Bâle s’en soient émues. Interviendraient-elles davantage contre un agent puissant qui s’appellerait Messageries nationales?Cela est au moins douteux. D’ailleurs où voyons-nous de notre temps les défenseurs de l’intérêt général se prendre corps à corps avec un intérêt privé? Et l’intérêt moral lutter avec avantage contre l’intérêt matériel? Ce dernier seul sait s’ingénier et faire de l’énergie. Je voudrais donc mettre aux prises des intérêts de même nature, mais comment? Le voici:
L’Assemblée nationale s’est séparée sans vouloir s’occuper, sans rien faire pour l’émigration. Je pars donc de là. Il n’y a point de fonds de votés pour cet objet. Je n’en ai pas besoin pour mon projet.
Il existe à Bâle une maison honnête Beck et Herzog qui depuis un an a l’agence des paquebots de New York, dont le bureau ici a également à sa tête d’honnêtes gens. Beck et Herzog se réfèrent sur les premières et plus respectables maisons de Bâle, et je n’ai jamais entendu de plaintes sur leur compte.
Bien plus, ils m’ont demandé à se soumettre à ma juridiction pour toutes les contestations auxquelles leurs accords pourraient donner lieu. Eh bien, je propose que Beck et Herzog soient nommés agents fédéraux pour Immigration suisse et qu’un tarif d’honoraires leur soit accordé, analogue à ceux des consulats, à charge par eux d’organiser leur comptabilité selon le mode qui pourra être prescrit et qui pourra rendre facile tout contrôle qui sera jugé nécessaire, à charge encore pour eux de se soumettre à chaque réquisition, à l’inspection de leurs livres et bureaux par telle personne désignée à l’avance; ou, ce qui vaudrait mieux, à l’inspection de telle personne porteur d’un mandat de S. Exc. M. le Président de la Confédération. Ce mandat pourrait tantôt être exercé par une autorité de Bâle, tantôt par une autre.
J’arrive aux objections:
J’ai été tout d’abord frappé de l’inconvénient qu’il pouvait y avoir à investir d’un titre fédéral une maison qui avait déjà l’agence des paquebots.
Je me suis dit: l’agent fédéral ne doit avoir d’engagements avec personne et être en position de recevoir les offres de tout le monde, c’est-à-dire de tous ceux qui mettent des navires en charge pour porter des émigrants. Or par cela seul qu’on saura que Beck et Herzog sont les agents de Chrystie, Heinrich et Cie, qui sont ici les consignataires des paquebots, les autres maisons qui ont souvent aussi des navires pour New York et pour la Nouvelle Orléans ne diront pas leurs prix à Beck et Herzog et ne les chargeront pas d’engager des passagers pour eux.
Ayant reconnu ces difficultés, qui sont moins réelles qu’apparentes, j’ai été en causer avec MM. Chrystie, Heinrich et Cie, qui ont tout d’abord compris quel relief donnerait à leurs agents de Bâle le titre d’agents fédéraux, et se sont empressés de me proposer de faire une exception en faveur de MM. Beck et Herzog pour reconnaître tout ce que leur position gagnerait par l’octroi d’un titre officiel.
Nous vous offrons, m’ont-ils dit, de vous fixer un minimum et un maximum de prix de passage, pour soustraire vos compatriotes au danger des trop grandes fluctuations, ou bien de les admettre toujours avec une augmentation de prix de 10 ou 15 francs sur les prix que paieraient les passagers sur les navires concurrents, qui ne sont pas des paquebots; ou enfin de prendre toujours les émigrants qui viendraient de Beck et Herzog ou de l’agence fédérale au plus bas prix des passages inscrits pour le même navire. J’ai répondu sur le premier point: ni un prix fixé pour toute l’année, ni un minimum pour les époques de rareté des voyageurs, ni un maximum pour les temps d’abondance ne me paraissent praticables par la raison que les émigrants n’ont rien de commun entre eux et qu’un minimum et un maximum, difficiles à fixer, auraient comme un prix moyen pour toute l’année, le grave inconvénient de faire payer quelquefois aux uns moins que le cours, aux autres plus, sans compensation possible entre eux.2 [...]