Gespräch mit Malraux: Aussagen über De Gaulle. Gespräch mit Auriol hinsichtlich der in Frankreich verurteilten Schweizer Kollaborateure und gewisser Finanzangelegenheiten.
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 17, Dok. 1
volume linkZürich/Locarno/Genève 1999
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Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2800#1990/106#80* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2800(-)1990/106 16 | |
Dossiertitel | Correspondance avec Carl J. Burckhardt (ministre de Suisse à Paris) : volume II (1945–1949) | |
Aktenzeichen Archiv | 321.31 |
dodis.ch/1710
J’ai passé la soirée d’hier avec Malraux, qui est actuellement, sans contredit, la personnalité le plus fréquemment en contact avec le Général de Gaulle.
Malraux m’a dit, entre autres: «Le malheur est que le Général soit un homme triste. Parfois, il me semble qu’il n’ait plus de véritable espérance. La maladie de sa fille pèse terriblement sur lui. Il devient de plus en plus absolu dans ses assertions, déclarant que presque toutes les notions dont vit la politique du XXe siècle ne sont que des mensonges, sont devenus des espèces de totems en paroles.» Il a cité un propos du Général: «Parfois, il me semble que j’appartienne à l’époque tertiaire.» Autre propos: «Il faut refaire une Europe, mais, pour cela, il faut créer d’abord un noyau. Il faut faire appel aux sentiments les plus simples. Il faut réveiller la conscience de chaque individu, de chaque citoyen, d’appartenir à une unité indélébile, la France. Tout le reste, toutes les autres passions auxquelles l’on s’adonne actuellement, sont vaines. Il faut être simplificateur. Il n’y a pas d’autre issue.»
Malraux m’a confié: «Madame de Gaulle est une pauvre femme, infiniment tourmentée, qui meurt de peur pour son mari.» «Je dirais», ajouta-t-il, «80% de détresse et de peur, et 20% d’amertume, parce qu’elle est d’avis que les Français ont été profondément ingrats envers lui. Elle est persuadée qu’il sera tué, tandis que lui, cela lui est complètement indifférent. Il a un courage physique à toute épreuve, mais je crois», remarqua le romancier, «qu’en somme, il serait content de trouver la mort dans un attentat.»
Malraux m’a dit encore: «Ce qui est tragique, c’est que pour arriver à reprendre sa tâche, il faut au Général, soit la guerre, soit un cataclysme économique en France.» D’après lui, «si M. Ramadier réussit à sauver le franc français, le Général finira ses jours à Colombey». Etant un polémiste, il poursuivit: «Vos banquiers qui trafiquent avec le franc et qui sont de dangereux ennemis de notre relèvement, sont, dans un certain sens, les alliés du Général.»
Au sujet du Rassemblement2, Malraux déclare: «Nous avons actuellement un million cent mille signatures, parmi lesquelles il faut compter beaucoup de noyautage. L’on nous prête des illusions dont nous serions dupes à l’égard du ‹communiste converti›. Je ne partage pas ces illusions et le Général non plus.»
Parlant des intelligences à utiliser, des intelligences françaises gaspillées par l’épuration, l’on évoqua le cas de Bergery. Aux dires de Malraux: «Il est de la famille des Jouvenel, des Fabre-Luce, des Berl. Ce sont là des esprits seulement possibles en France, où l’intelligence est constamment mise au service du verbalisme et où un verbalisme excessif atrophie l’instinct, la sagesse, l’intuition, où l’intelligence marche comme un moteur débrayé à plein gaz.» A ce moment-là, le Général Corniglion (voir mon rapport du 3 juin3) s’empressa de dire: «L’autre jour, je l’ai éprouvé en lui donnant certains espoirs, mais je suis arrivé à la conclusion qu’il ne vaut rien.» C’était là une pirouette.
Un Général Corniglion représente le type de ceux que de Gaulle appelle «les camarades», et dont il dit, toujours d’après Malraux: «Il y a des camarades qui m’ont lâché. Moi, je n’en lâcherai jamais aucun.»
Ces «camarades»-là paraissent s’apparenter à certaines figures que l’on a vues, au cours de ces dernières années, passer sur la scène germanique. Quant on leur oppose certaines figures d’une moyenne solide, des hommes dotés de bon sens, de prudence, d’endurance, de courage aussi, tel que M. Ramadier, l’on comprend que ce dernier en soit arrivé à une véritable passion, lorsqu’il agit dans l’intention de sauver la stabilité économique et monétaire du pays. «Tout est là», dit-il. «C’est le fond du problème. Cette stabilité fera disparaître l’élément d’aventure qui menace notre situation intérieure.» Et encore: «Les petits pays sont très directement intéressés au relèvement économique de la France. Une catastrophe française les entraînerait.»
Lors de ma visite au Président de la République, après m’avoir parlé en termes chaleureux de la Suisse, «pays dans lequel est né et a dû naître l’esprit auquel je dois tout» (Jean-JacquesRousseau), M. Vincent Auriol me posa la question: «Y a-t-il actuellement des problèmes graves entre nos deux pays?» Il écouta avec beaucoup d’attention ce que j’avais à lui dire concernant les détenus condamnés par les Cours de Justice4. Puis, subitement, sa physionomie changea et, avec une vivacité qui m’étonna de la part d’un homme aussi placide et un peu débonnaire, il me dit: «Mais, il y a dans votre pays des véritables ennemis de notre relèvement. C’est affreux de spéculer contre un voisin qui souffre, qui fait des efforts désespérés pour se redresser. Nous emploierons contre ces gens-là la dernière rigueur. Est-ce que l’on sent cela, chez vous, dans toute sa gravité?» Ma réponse fut que le Gouvernement de la Confédération ne faisait preuve d’aucune sympathie à l’égard de ces profiteurs, mais qu’il ne fallait pas oublier que cette question était rendue complexe, du fait que des provocations avaient eu lieu et avaient lieu encore, que c’était les Français eux-mêmes qui, dans bien des cas, concluaient des affaires dont le paiement ne passait qu’en partie par le clearing5.
- 1
- Lettre: E 2800(-)1990/106/16.↩
- 2
- Sur le Rassemblement du Peuple français organisé par Ch. De Gaulle, cf. le rapport de C. J. Burckhardt du 10 avril 1947, E 2300Paris/101.↩
- 4
- Cf. la lettre de V. Auriol à C. J. Burckhardt du 28 juillet 1947 au sujet des Suisses condamnés pour faits de collaboration durant l’occupation allemande, E 2200.41(-)-/36/ B13 (dodis.ch/2328). Cf. aussi E 2001(D)-/3/158-159, E 2001(E)-/1/59, E 4320(B)1968/195/ 96 et DDS, vol. 17, doc. 78.↩
- 5
- A ce sujet, cf. DDS, vol. 17, doc. 28.↩
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