Spanische Reaktion auf den amerikanischen Vorschlag, Franco-Spanien von der Beteiligung an internationalen Konferenzen auszuschliessen und zur Bildung einer provisorischen demokratischen Regierung.
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 16, doc. 106
volume linkZürich/Locarno/Genève 1997
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#531* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 261 | |
Titre du dossier | Madrid, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 15 (1946–1947) |
dodis.ch/1702
La proposition du délégué américain, M. Conelly [sic: Connally], présentée le 2 décembre au Comité Politique et de Sécurité des Nations Unies sur le cas de l’Espagne2 a produit dans tout le pays en même temps qu’une profonde surprise une vague d’indignation et de révolte. Jusqu’ici, le Gouvernement espagnol s’était montré très optimiste, comme en faisaient foi les déclarations concordantes que m’ont faites le Ministre des Affaires extérieures et le Sous-Secrétaire d’Etat, relatées dans mes deux derniers rapports, à l’égard des diverses propositions présentées surtout par les satellites de la Russie aux organes compétents de l’ONU quand «éclata soudain la bombe de la proposition américaine». Celle-ci qualifie de fasciste le Gouvernement du Général Franco et l’accuse d’avoir été imposé par la force au peuple espagnol avec l’aide de l’Axe, recommandant son exclusion de toute participation aux Conférences internationales, faisant enfin appel au peuple espagnol pour qu’il se donne lui-même un Gouvernement, le Général Franco devant abandonner le pouvoir à un Gouvernement provisoire représentatif de ce peuple.
Le texte de la proposition américaine qui fut publié le 3 et 4 décembre parut dans la presse en même temps que le texte de la note espagnole de protestation que le Ministère des Affaires extérieures a remise au Chargé d’Affaires des Etats-Unis d’Amérique à Madrid et dont je vous remets sous ce pli la traduction française3. La rapidité et la précision de la riposte espagnole ont été interprétées comme le symptôme d’une réaction énergique au ton assez dur de la note américaine et dans certains milieux on s’est même demandé si le Gouvernement espagnol n’avait pas été informé de l’intervention américaine avant que celle-ci n’ait eu lieu. Jusqu’ici, c’était les satellites de la Russie qui conduisaient l’offensive contre l’Espagne et les Anglo-Saxons allaient plutôt à leur remorque. Par leur proposition qui a été une surprise, les Etats-Unis d’Amérique cherchent à arracher l’initiative aux satellites de Moscou. Le Sénateur Conelly reprend, en effet, une partie des arguments utilisés par les Russes et en ce faisant, il donne à l’Espagne la possibilité de riposter. La protestation espagnole réfute en effet les allégations américaines surtout celle qui prétend que le Régime Franco a été imposé à l’Espagne contre la volonté des Espagnols. L’Amérique a blessé la susceptibilité espagnole et a refait le bloc à l’intérieur de l’Espagne et autour du Général Franco qui a aujourd’hui même la satisfaction de voir s’organiser dans toutes les villes d’Espagne et surtout à Madrid une manifestation monstre organisée par les anciens-combattants et les jeunesses universitaires auxquels se rallieront tous les syndicats et une grande partie de la population de la capitale pour manifester leur indignation contre l’intromission étrangère et leur ralliement autour du Caudillo. En répétant eux-mêmes une partie des arguments évidemment exagérés sinon non-fondés dont se sont servis jusqu’ici les Russes, les Américains ont permis à Franco de se défendre efficacement. Les Anglo-Saxons prétendent vouloir chasser Franco pour avoir déclenché le Mouvement du 18 juillet 19364 et se sont pourtant empressés de le reconnaître dès qu’il fut victorieux au printemps 1939. Les Russes veulent le départ de Franco parce qu’il les a vaincus et pour instaurer en Espagne le communisme, tandis que les Anglo-Saxons veulent son départ parce que pendant la guerre mondiale il ne s’est pas conduit comme il aurait dû et pour empêcher le retour du communisme en Espagne. Les Anglo-Saxons voudraient maintenant arracher l’initiative de la conduite de la procédure du cas espagnol à la Russie, ce qui, si elle était obligée à y renoncer, rendrait les choses plus faciles pour changer de régime en Espagne. En ce qui concerne le reproche que la note américaine adresse au Général Franco qui ne respecterait pas la liberté de religion, je voudrais rappeler à votre attention les rapports que j’ai adressés au Département politique de 1941 à 1943 sur la situation des protestants en Espagne, étrangers et espagnols, et sur la liberté d’exercer leur culte. J’avais également été en correspondance à ce sujet avec le Président du Consistoire de Genève et même avec feu Mgr Besson, Evêque de Fribourg, Lausanne et Genève qui s’intéressait également au sort des protestants dans ce pays5. Ce sort est tout à fait tolérable.
Le ton énergique de la proposition américaine fut d’ailleurs immédiatement atténué par des déclarations successives selon lesquelles les Etats-Unis continueront à s’opposer à toute mesure coercitive et notamment à la rupture des relations diplomatiques et commerciales, ce qui rendrait illusoire des sanctions économiques qui seraient prises individuellement, le cas échéant, par certains pays.
Le Gouvernement espagnol et le peuple espagnol tout entier ont été néanmoins profondément impressionnés et alarmés par la motion américaine parce que celle-ci contient un message adressé au peuple espagnol, selon les propres paroles de M. Conelly, l’invitant à provoquer le départ du Général Franco. Il semble d’ores et déjà que l’Amérique a échoué dans sa tentative de mettre en opposition le peuple espagnol et le Général Franco, puisque le plébiscite de ce matin constitue le ralliement de toutes les forces agissantes autour du Caudillo, mais au moins l’Amérique aura la satisfaction d’avoir indiqué au peuple espagnol la vraie voie à suivre pour recouvrer sa normalité et sa place au sein des nations tout en s’opposant énergiquement à la rupture des relations diplomatiques et commerciales. Toute l’Espagne comprend la gravité de la situation et du danger lorsqu’elle constate que des pays comme le Danemark et la Suède approuvent naturellement l’attitude américaine qui suggère le départ de Franco. Or, toute la question est là: Comment remplacer Franco qui s’est rendu lui-même irremplaçable après avoir, comme tout Gouvernement autoritaire, désarticulé tous les partis historiques et détruit par avance ses possibles successeurs. Le Gouvernement intérimaire qu’entrevoit la proposition américaine ne pourrait qu’être un Gouvernement militaire fort contenant peut-être quelques civils ce qui ne donnerait qu’une satisfaction ad personam aux ennemis du Général Franco, le régime anti-démocratique demeurant encore le même, sous la férule forcée des généraux jusqu’à l’avènement d’un Gouvernement élu.
En présence de la dizaine de motions et d’amendements présentés à l’ONU sur le cas espagnol, le Comité Politique et de Sécurité a décidé de le passer à un Sous-comité composé de représentants de dix-huit pays afin de rédiger un projet qui coordonne toutes ces propositions. Parmi ces dix-huit pays, la presse espagnole estime que neuf sont satellites de la Russie, quatre sont hostiles à l’Espagne et seulement cinq peuvent être impartiaux, soit, la Colombie, Cuba, la Hollande, les Etats-Unis et l’Angleterre, tandis que tous les autres sont ou les accusateurs de l’Espagne dans les autres comités ou des pays satellites ou amis du Kremlin, soit la Pologne, la Yougoslavie, la Russie Blanche, ou la Chine, la France, la Norvège, le Guatémala, le Panama et le Vénézuela, ou encore le Guatémala, la France, le Mexique et la Pologne.
Le Sous-comité des dix-huit a approuvé le 7 la première partie du projet de résolution sur l’Espagne qui exclut le Gouvernement espagnol de tous les organismes en relation avec l’ONU par 14 voix contre 2 abstentions, celles de la Hollande et des Etats-Unis d’Amérique. Le paragraphe approuvé sera soumis à l’Assemblée générale.
Mais ce qui est beaucoup plus grave, c’est la décision prise hier soir dimanche 8 décembre de proposer à l’Assemblée générale la rupture des relations avec l’Espagne, ainsi qu’une motion française tendant à ce que toutes les Nations Unies s’abstiennent d’acheter des produits alimentaires à l’Espagne. La radio de Londres qui a annoncé cette nouvelle a encore mis l’accent sur le fait que l’Assemblée générale vient de repousser par 32 voix contre 23 la proposition du Maréchal Smuts au sujet du traitement réservé aux Indiens dans l’Afriquedu Sud tendant à renvoyer l’affaire à la Cour Internationale de Justice. Cet échec du Maréchal Smuts démontre que les Anglo-Saxons sont en minorité, ce qui est grave.
Au moment où le Sous-comité des dix-huit décide de proposer à l’Assemblée la rupture des relations avec l’Espagne, il y a lieu de rapprocher cette décision, d’une part, des déclarations de M. Conelly soutenant que chaque pays demeurera libre de rompre ou non et, d’autre part, de la proposition de la Norvège demandant que les Nations Unies informent le Secrétariat général avant le 16 janvier de leur décision de rompre les relations; si les deux tiers des pays décident de rompre, le Secrétariat général enverra une communication invitant les Etats à rompre avant le 1er février 1947. Si les pays disposés à rompre sont moins des deux tiers, les Etats seront libres de rompre ou non.
La situation de l’Espagne, en présence de telles perspectives devenues soudainement possibles alors qu’elles étaient improbables il y a peu de temps, est grave. La rupture serait le plus sûr chemin pour conduire à la guerre civile, comme l’a dit M. Conelly. Ce serait surtout la rupture des relations commerciales ou des transports, comme l’a proposé la Russie Blanche, qui serait fatale à l’Espagne et à beaucoup de nos maisons suisses installées dans le pays. Le représentant de Ciba à Barcelone m’a fait part de ses craintes sérieuses pour son entreprise, si, contre nos espoirs et même notre attente, de telles mesures coercitives devaient être prises.
L’Espagne attend avec sérénité la suite des événements à Lake Success. Le plébiscite d’aujourd’hui qui est un défi à l’ONU ne fera toutefois que prolonger l’agonie du Général Franco qui a bien compris qu’il doit partir et qui doit regretter les occasions manquées de l’avoir fait plus tôt. L’Espagne doit rester néanmoins, coûte que coûte, dans la zone de l’Angleterre et être soustraite à l’influence russe. La solution de la crise espagnole ne pourra donc être trouvée que dans le maintien du régime Franco jusqu’à l’instauration d’un Gouvernement militaire intérimaire muni de tous les pouvoirs autoritaires dont disposait ce dernier qui préparerait l’avènement d’un régime issu de l’expression de la volonté populaire. Mais à l’heure actuelle personne n’est capable encore de prévoir quel sera ce régime, la Monarchie n’étant pas prête et le retour de la République devant ouvrir la porte à l’aventure révolutionnaire.
La manifestation de ce jour a pris l’ampleur d’un plébiscite monstre de plus de la moitié de la population de la capitale, les journaux évaluant la foule à plus de 600’000 personnes. Organisée par les anciens-combattants, les jeunesses universitaires et la Phalange, elle est devenue une démonstration éclatante d’adhésion totale au Général Franco et de protestation contre l’ingérence étrangère.
Pendant que le peuple espagnol se vouait à ces vaines protestations, le Comité Politique et de Sécurité rejetait la motion de rupture des relations avec l’Espagne par 20 voix contre 20, égalité qui, d’après les règlements, comporte le rejet de la proposition. En revanche, ce même Comité a approuvé la motion belge recommandant le retrait collectif de tous les Ambassadeurs et Ministres des Etats membres des Nations Unies à Madrid. Cette recommandation figure au second paragraphe de la motion belge qui fut approuvée par 27 voix contre 7 et 16 abstentions. Le Comité rejeta également la motion nord-américaine tendant à ce que l’on exhorte le peuple espagnol à établir un Gouvernement démocratique, proposition qui fut repoussée par 22 voix contre 22 et 6 abstentions. Ce retrait des chefs de missions ne comporterait pas la rupture des relations diplomatiques. D’ailleurs, en pratique, cette décision est déjà exécutée pour les deux tiers à Madrid où sont absents depuis plus d’un an les Ambassadeurs des Etats-Unis d’Amérique, d’Argentine, du Pérou, du Chili, du Brésil, de Belgique qui n’ont pas été remplacés, ainsi que les Ministres de Suède, du Danemark et de toutes les Républiques sud-américaines, à deux exceptions près. La motion de rupture des relations ayant été rejetée grâce, il est vrai, à la majorité dubitative, il y a lieu de penser que le Comité ne présentera pas cette même proposition à l’Assemblée, laquelle sera saisie en revanche du projet de retrait des chefs de missions. La Suisse serait ainsi débarrassée du gros souci éventuel d’accepter, le cas échéant, des représentations d’intérêts étrangers considérables.
[P. S.]
Le Directeur général de la Politique du Ministère des Affaires extérieures m’a convoqué ce soir pour me faire, à titre personnel et amical, la communication suivante, d’ordre de son chef, M. Martin Artajo:
En présence de l’approbation par le Comité Politique et de Sécurité d’une motion belge recommandant le retrait collectif de tous les Ministres et Ambassadeurs des Etats membres des Nations Unies à Madrid, décision qui sera soumise à l’Assemblée générale, le Gouvernement espagnol réitère son désir universel d’entretenir des bonnes relations avec tous les Etats. En outre, il tient à exposer son point de vue à l’égard de cette motion en ce sens qu’il estime qu’il ne s’agit que d’une recommandation individuelle faite à chaque Etat, lequel demeure libre d’y donner suite ou non, si cette motion devait être approuvée par l’Assemblée, et non pas une décision obligatoire pour tous. La majorité des Ambassadeurs et Ministres des Etats membres de l’ONU ayant été rappelés il y a déjà plus d’un an et n’ayant pas été remplacés, le retrait éventuellement envisagé ne pourrait viser que l’Ambassadeur d’Angleterre, les Ministres de Hollande, de Turquie, de Salvador et de Saint Domingue, puisque seuls le St-Siège, le Portugal et l’Italie qui ont conservé leurs Ambassadeurs à Madrid ne font pas partie de l’ONU. Le ministère a reçu l’assurance que le Salvador et Saint Domingue ne retireraient pas leurs Ministres et il admet que la Turquie conservera son attitude d’abstention. Quant à la Suisse, le diplomate espagnol s’est borné à relever en passant qu’elle ne faisait pas partie de l’ONU et que sa démarche auprès de moi n’avait que pour but de souligner le caractère facultatif de l’éventuelle décision de l’Assemblée générale qui ne comporterait qu’une recommandation.
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