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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 21, doc. 67
volume linkZürich/Locarno/Genève 2007
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001E#1972/33#428* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(E)1972/33 C191 | |
Dossier title | Devisenvergehen (Devisenaffäre Rivara) (1949–1960) | |
File reference archive | C.41.132.3.0 • Additional component: Spanien |
dodis.ch/15490 Le Secrétaire général du Département politique, R. Kohli, au Directeur général de la Société de Banque Suisse, S. Schweizer1 Affaire gouvernement espagnol / clients espagnols de la Société de Banque Suisse, Genève2
Je me réfère à votre lettre du 8 janvier3 et à ma réponse provisoire du 16 du même mois4 et vous donne connaissance ci-dessous des conclusions auxquelles nous sommes arrivés, après un examen approfondi de votre demande concernant une éventuelle démarche de notre Ambassade à Madrid dans l’affaire citée en marge.
Vous avez fort bien compris, je vous en ai su gré, les raisons que nous avons eues de ne pas intervenir jusqu’ici, officiellement ou officieusement, dans la procédure introduite en Espagne contre M. Rivara. L’examen auquel nous avons procédé nous a persuadés qu’une démarche de notre part, dans la nouvelle phase où cette affaire est maintenant entrée, ne serait pas plus justifiée, pour les mêmes raisons.
En effet, ce que vous désirez c’est amener le Gouvernement espagnol à modifier le décret-loi d’amnistie du 21 juillet 19595. Or, cette amnistie est une décision formelle prise en toute souveraineté par le Gouvernement de Madrid et contre laquelle un gouvernement étranger ne saurait intervenir que si elle était contraire au droit des gens et lésait ses ressortissants. Vous estimez que l’exception que prévoit cette amnistie est contraire aux principes reconnus en matière de droit pénal et à la tradition observée dans presque tous les pays civilisés. Nous ne saurions guère, quant à nous, fonder une intervention sur cette seule considération, car non seulement nous ne pensons pas que le droit des gens s’oppose à ce qu’un gouvernement limite le bénéfice d’une amnistie à certaines personnes, selon un critère objectif, mais en outre, même s’il était possible dans le cas présent d’établir que le critère ne fut pas objectif et que l’exception ne visait qu’un groupe précis de personnes, il n’en demeurerait pas moins que les personnes touchées ne sont pas des ressortissants suisses. Dès lors, plus qu’à nous, liés par les règles du droit des gens, ce serait en premier lieu aux clients espagnols de votre banque, directement lésés par l’exception en cause, ou éventuellement à votre banque, indirectement touchée par cette mesure, qu’il appartiendrait d’intervenir; en s’attaquant à cette exception, seul un jurisconsulte espagnol pourrait trancher ce point.
A ces considérations d’ordre purement juridique s’ajoutent d’autres considérations qui nous conduisent à la même conclusion, soit qu’une intervention de notre part ne serait pas indiquée. Ainsi, à notre avis, une démarche même officieuse venant d’une mission étrangère risquerait fort de buter les autorités madrilènes, de les figer dans une attitude défensive; cela d’autant plus que les remous que pourrait aisément provoquer cette affaire sur le plan politique interne ne peuvent qu’inciter ces autorités à une prudence extrême. Il y aurait au contraire tout intérêt à ne fermer aucune porte, à traiter «en souplesse», sans faire appel à de grands principes juridiques, une affaire aussi délicate et dont personne ne peut dire aujourd’hui de quelle façon elle pourra être
finalement résolue.
D’autre part, on peut se demander s’il ne serait pas hasardeux d’avancer certains des arguments sur lesquels vous estimez qu’une éventuelle démarche pourrait être fondée. Certes, il est clair que la sentence de confiscation espagnole est inexécutable en Suisse, tant en vertu du droit international public que, comme l’a fort bien démontré M. le Professeur Secrétan, en vertu du droit international privé; mais serait-ce véritablement dans votre intérêt d’opposer, d’entrée de cause, une telle fin de non-recevoir qui risquerait fort d’indisposer définitivement les autorités espagnoles? Quant à l’argument concernant l’aide financière apportée à l’Espagne et au Gouvernement du
Général Franco en 19386, il n’est pas d’un poids décisif, tant il est vrai qu’on ne pourrait l’avancer que très prudemment, dans le cours d’une conversation et au moment opportun.
Ainsi donc, tant du point de vue juridique que du point de vue tactique, nous estimons qu’une intervention officielle ou officieuse de notre part ne serait ni justifiable ni recommandable.
Cela dit, je saisis parfaitement les soucis que vous cause cette affaire et vous assure que nous souhaitons sincèrement, dans votre intérêt comme dans celui des banques suisses en général, qu’une solution soit trouvée qui permette de sortir de cette impasse. Dans toute la mesure du possible, mais donc à l’exclu sion d’une démarche directe de notre Ambassade, nous sommes prêts à vous aider dans la recherche d’une telle solution. Notre Ambassadeur7 pourra par exemple faciliter vos démarches à Madrid, ainsi d’ailleurs qu’il s’y est toujours prêté jusqu’ici, en organisant par exemple le dîner suggéré par M. Nuñez, lors de son entretien à Paris avec M. Umbricht8, et où vous rencontreriez le Ministre du Commerce9 et le Ministre des Finances10. De cette façon, notre Ambassade donnera à entendre aux autorités espagnoles que nous ne sommes pas indifférents aux développements de cette affaire et souhaitons qu’une solution intervienne qui satisfasse chacune des parties.
Je me réfère, à propos de l’appui que vous savez pouvoir trouver à notre
Ambassade à Madrid, à mon récent téléphone et vous confirme que M. Fumasoli a eu l’occasion de s’entretenir avec M. Manuel Arburua, président du
Banco Exterior de España11. Voici comment M. Fumasoli nous a rapporté ce que M. Arburua lui a confié: «M. Schweizer est venu me voir le jour de son départ avant Noël et il me déclara que d’après ce qu’il avait pu apprendre les plus grandes difficultés au règlement de l’affaire seraient faites par le Ministre du «Mouvement» (Phalange), M. José Solis Ruiz, et qu’il se demandait comment il allait surmonter cet écueil de nature politique. Je lui répondis que je me chargeais de M. Solis et qu’il ne devait pas le craindre. En effet, j’ai parlé avec Solis et je lui ai dit qu’on répète partout que c’est lui qui s’oppose à l’arrangement du problème avec la banque suisse; que cela est dangereux parce que les capitaux étrangers se méfient de nous; qu’il fallait donc, dans son intérêt, qu’il détruise cette rumeur qui nuit à la Phalange et qu’il accepte de régler l’affaire. M. Solis donna dans le panneau et me dit que j’avais raison, qu’il était tout disposé à étudier une solution et à la discuter avec les banquiers suisses s’ils allaient le voir. Il faut donc que M. Schweizer revienne et je suis tout prêt à l’accompagner chez le Ministre Solis avec vous si vous voulez venir et à vous aider à trouver une sortie.»
A cela, M. Fumasoli a répondu que vous alliez sans doute arriver d’un moment à l’autre et qu’on verrait alors ce qu’il conviendrait de faire.
Il m’intéressera d’apprendre, le moment venu, quelle solution se dessine. Je serai, bien entendu toujours à votre disposition pour examiner tout nouveau développement de cette affaire qui pourrait, le cas échéant, nécessiter et justifier une intervention plus directe de notre part12.
- 1
- Lettre: E 2001(E)1972/33/C191.↩
- 2
- Sur cette affaire, cf. DDS, vol. 21, doc. 29.↩
- 3
- Cf. la lettre de S. Schweizer à R. Kohli du 8 janvier 1960, non reproduite (dodis.ch/15491).↩
- 4
- Non reproduite.↩
- 5
- Décret-loi n o 10 du 21 juillet 1959 concernant l’organisation économique, dont l’article 7 prévoit que: Les personnes indiquées dans l’article précédent [Espagnols résidant en Espagne et personnes juridiques de nationalité espagnole qui détiennent des devises étrangères]qui, sans avoir satisfait aux obligations imposées par les articles 1er et 3 de la loi du 4 mai 1948 concernant la déclaration et la cession de devises étrangères, vendent sur le marché ou cèdent leurs devises étrangères à l’Etat dans les cas prévus par l’article précédent, et cela dans un délai de 6 mois à compter de la publication du présent décret, seront libérées de la responsabilité fixée par la législation sur les délits monétaires et le régime fiscal […]. Cf. la traduction du texte original établie par l’Ambassade de Suisse à Madrid et envoyée à la Division du commerce du Département de l’économie publique le 22 juillet 1959, E 2001(E)1972/33/ C 66.↩
- 6
- Cf. DDS, vol. 13, doc. 59, dodis.ch/46816 et annexes et 255.↩
- 7
- M. Fumasoli.↩
- 8
- Cf. la lettre de V. Umbricht à M. Petitpierre du 27 janvier 1960, non reproduite.↩
- 11
- Cf. la lettre de M. Fumasoli à R. Kohli du 26 janvier 1960, non reproduite.↩
- 12
- Sur la suite de l’affaire, cf. E 2001(E)1988/16/734.↩