Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 20, doc. 89
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#48* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 27 | |
Titre du dossier | Bagdad, Politische Berichte und Briefe, Band 3 (1956–1957) |
dodis.ch/12047 Le Chargé d’Affaires a. i. de Suisse à Bagdad, G. E. Bucher, à la Division des Affaires politiques du Département politique1 RUPTURE DES RELATIONS DIPLOMATIQUES AVEC LA FRANCE
M. Yousef Gaylani, Sous-secrétaire au Ministère des Affaires étrangères, m’a convoqué hier soir, 5 minutes après avoir vu l’Ambassadeur de France auquel il avait annoncé la rupture des relations diplomatiques. Il ne s’agit, pour le moment, pas de rupture des relations économiques et commerciales. On ne sait pas encore ce qui en est des relations culturelles, c. à. d. si les centres officiels français et les écoles françaises continueront leur activité. Il est possible qu’un représentant français soit autorisé à rester sur place pour s’occuper des affaires consulaires.
M. Gaylani m’a prié de toute urgence de vous demander officiellement de vous charger des intérêts irakiens en France2. Il m’a dit aussi que le Gouvernement irakien n’aurait pas d’objection si la Suisse devait être chargée des intérêts français en Irak3.
Le Sous-secrétaire m’a déclaré que le Gouvernement irakien avait pris cette décision avec grand regret mais que des pressions très violentes avaient été faites auxquelles le Gouvernement avait dû céder. Il m’assure qu’une attaque franco-britannique contre le canal de Suez n’aurait nullement ému les Irakiens si on n’avait pas, en même temps, joué le jeu d’Israël. Du moment que cet Etat a été mêlé dans l’action, il fallait – pour calmer les esprits de la masse – venir, dans la mesure du possible, à sa rencontre. C’est une des raisons qui ont amené le Gouvernement à rompre avec la France.
En outre, il m’a dit que la Grande-Bretagne avait mené, en général, une politique qui reconnaissait le droit des peuples de décider de leur propre sort tandis que la France, en Algérie surtout, avait malheureusement suivi un système différent en y massacrant les Arabes. Les radios du Caire et de Damas se sont saisies de cette attitude pour faire une propagande violentissime auprès des populations arabes en utilisant même de nombreux mensonges. La masse semble, dès lors, encore bien plus anti-française que britannophobe. C’est la raison pour laquelle l’Irak aurait rompu avec la France et non pas avec le Royaume-Uni. La vérité me semble toutefois différente, car il est évident que Bagdad ne pouvait pas rompre avec le Royaume-Uni sans conséquences économiques très graves. L’IPC est la seule source de richesse du pays; elle est une société ayant siège à Londres, dirigée surtout par des Anglais.
Le Sous-secrétaire m’a assuré que l’Irak n’avait pas changé de tendance politique et qu’il restait toujours le seul grand ami de l’Occident au Proche-Orient. Mais il se sent, pour le moment au moins, terriblement isolé. Deux raisons l’amènent cependant à rester fermement sur sa position:
1. Le très grave danger communiste qui pèse actuellement sur cette partie du monde. L’armée égyptienne ayant été entièrement écrasée par les Israéliens et la Syrie montrant des tendances dangereusement pro-soviétiques, l’Irak doit rester le pilier anti-communiste. Pour être à même d’intervenir un jour dans un autre pays arabe qui pourrait ouvrir ses portes aux forces de Moscou, il est aujourd’hui obligé de gagner coûte que coûte des sympathies auprès des masses.
2. L’attitude du chef égyptien qui a permis à Moscou de prendre pied au Moyen-Orient ne peut pas être acceptée en Irak. Nasser veut non seulement être le dictateur absolu dans son pays, mais fait montre d’un impérialisme bien plus dangereux que celui des Occidentaux en voulant devenir le chef et le tyran du Proche et du Moyen-Orient.
M. Gaylani est persuadé que c’est surtout l’action israélo-franco-britannique qui a augmenté le danger communiste dans cette partie du monde, car il y aurait eu la possibilité d’écraser Nasser économiquement et même d’occuper le canal de Suez sans qu’Israël y soit mêlé.
- 1
- Lettre: E 2300(-)-/9001/27.↩
- 3
- Sur les décisions relatives à la représentation des intérêts français en Irak, cf. le rapport de G. E. Bucher du 24 novembre 1955, E 2001(E)1976/17/431 (dodis.ch/12737).↩
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Bons offices France (Politique) Intérêts étrangers Crise de Suez (1956)