Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 20, doc. 122
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#446* | |
Dossier title | Lissabon, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 12 (1955–1957) |
dodis.ch/12015 RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS EN RHODÉSIE
Lors de ma rapide excursion en Rhodésie au cours de mon voyage au Mozambique2, j’ai été reçu à titre privé par Sir Roy Welensky3, Premier Ministre de la Fédération des Rhodésie et du Nyassaland. C’était le représentant de la Fédération à Lisbonne qui, à mon insu, avait organisé cette rencontre.
Ma conversation avec Sir Roy a surtout touché les relations entre la Fédération et le Mozambique et la façon des deux pays d’envisager la coexistence entre les blancs et les noirs.
«Nous, blancs de Rhodésie, voulons arriver, me dit Sir Roy, à un partnership avec les Africains, association surtout économique où blancs et noirs gagneront. Mais il est évident que les blancs, qui ont fait le pays et le conduisent, doivent rester les seniors partners.»
«Il faut revoir certains aspects du christianisme et surtout les idées modernes d’égalité et de nationalisme. Telles qu’on les accepte dans la vieille Europe et souvent à l’ONU, on ne peut les appliquer ici où le pays a été construit par le génie, par l’initiative, par le goût du risque et par le sens des responsabilités des blancs et où les noirs ne jouent le plus souvent qu’un rôle d’exécutants. Il n’y a pas d’égalité entre un créateur et un homme qui vit au jour le jour, entre un chef politique acceptant des risques et des responsabilités et un simple votant, entre un technicien qualifié et un manœuvre. Il faut oublier les égalités théoriques. Il ne peut y avoir qu’une hiérarchie: celle des valeurs humaines et professionnelles. Il faut aussi renoncer au nationalisme qui donne le pays à ceux que le simple hasard y a fait naître et qui leur accorde le droit d’y ériger un Etat: les pays doivent appartenir à ceux qui les ont fait et qui les dirigent dans le sens du progrès. Voyez l’exemple d’Israël.»
«Nous demandons l’autonomie pour 1960. Il n’est guère normal que le Soudan et [le Ghana, par exemple, qui sont moins développés que nous, soient indépendants4 et que nous ne le soyons pas encore. Il est souhaitable que les peuples de la Rhodésie forment enfin un ensemble et que les noirs n’aient plus la possibilité ‹to look over the shoulder› vers Londres pour contrecarrer notre action.»
«Nous n’avons pas honte de notre façon d’envisager nos relations avec les Africains. Nous ne souffrons pas de complexe de culpabilité à leur égard comme cela est souvent le cas de Londres. Nous ne souffrons pas non plus de complexe d’infériorité et nous ne sentons pas le besoin de compenser des fautes du passé par des concessions sociales aujourd’hui. Nous avons fait notre pays nous-mêmes avec notre travail et celui des Africains et nous sommes fiers de ce que nous avons accompli ensemble. Notre politique repose sur la réalité: le travail constructif, la compréhension mutuelle et le progrès.»
«Nous n’avons pas peur de défendre notre point de vue devant l’ONU lorsque nous y serons entrés. Nous aurons le courage de dire devant cette assemblée ce que certains n’osent pas dire aujourd’hui à cause de leur mauvaise conscience coloniale, c’est-à-dire que nous réclamons le leadership de ceux, je le répète, qui ont construit le pays et qui prennent les risques et les responsabilités de sa conduite dans le sens du progrès moderne.»
Comme vous le voyez, Sir Roy Welensky a été ouvert. Grand et fort, ancien boxeur et conducteur de locomotive, devenu politicien par goût, d’origine polonaise mais né en Rhodésie, intelligent et doué d’une forte volonté, il est impressionnant par sa vitalité. On sent le lutteur en lui.
Il est entouré de collaborateurs et de politiciens qui pensent comme lui. J’ai eu l’occasion de connaître l’un ou l’autre et de les entendre parler. Voici ce que m’explique l’actuel Président du Parlement fédéral: «Nous voulons l’autonomie pour 1960. Nous saurons nous la procurer d’une façon ou d’une autre. En nous faisant des difficultés, l’Angleterre commet la même faute qu’elle a déjà faite au 18 ème siècle à l’égard de ses anciennes colonies américaines. Si Londres persiste dans son attitude négative, elle risque de perdre non seulement la Fédération, mais encore notre affection pour elle.»
Je voudrais ajouter ici quelques indications qui m’ont été données par des hommes d’affaires rhodésiens. «Il nous faut constamment de l’argent frais, m’exposait l’un d’eux, pour développer le pays. Or, l’Angleterre ne nous en envoie plus autant qu’avant, voire commence à mesurer ses capitaux et à soumettre souvent leur octroi à des conditions politiques. Nous nous tournons dès lors vers l’Amérique et elle nous aide de plus en plus. Si, d’autre part, l’Angleterre s’affaiblit, elle ne sera plus à même de nous défendre et les Etats-Unis devront prendre sa place. Il n’est donc pas tout à fait faux de renforcer dès maintenant nos liens avec New York et Washington.»
Notre excellent consul à Salisbury, M. Wyler, vous informe sans doute régulièrement sur l’évolution de la Fédération5. Personnellement, je n’ai naturellement pas pu me faire une idée générale de la situation à cause de la courte durée de mon séjour. Mais j’ai pensé utile de vous transmettre les idées que j’ai entendu exposer parce qu’elles sortent de la bouche de personnalités responsables.
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