dodis.ch/47978 Le Président de la Délégation suisse pour les Négociations économiques avec les Alliés, W. Rappard, au Chef de l’Etat-Major personnel du Général H. Guisan, B. Barbey1 Mon cher Colonel,
Permettez-moi de vous remercier de votre aimable envoi et des deux pièces que vous avez bien voulu me faire tenir2. Je les garde dans mes dossiers pour mon information personnelle, tant que je ne saurai pas que vous les destinez à un autre usage.
Puis-je vous dire combien a été forte et heureuse l’impression que M. Currie a rapportée de votre réception et notamment de sa conversation avec le Général3. Par la clarté et la netteté de ses déclarations autant que par sa personnalité même, il a fortement imposé à notre partenaire d’outre-mer. Je suis particulièrement reconnaissant au Général de la force avec laquelle il a bien voulu souligner l’importance vitale pour notre pays du maintien de notre neutralité constitutionnelle.
Le seul point de l’entretien qui m’a causé quelque embarras en tant qu’interprète est celui relatif à l’action du Maréchal Kesselring dans l’Italiedu Nord. Si je le mentionne, c’est uniquement pour votre information en vue d’autres conversations du même ordre que le Général pourrait avoir avec d’autres de nos partenaires alliés. Voici de quoi il s’agit:
Au cours de nos pourparlers, nous nous heurtons chez ces derniers à la volonté d’obtenir de nous la cessation de tout trafic à travers le Gothard. Nous avons cru pouvoir leur donner satisfaction en bloquant le transit de charbon Nord-Sud. Vous connaissez sans doute nos arguments à ce propos, mais nous tenons essentiellement, pour le moment tout au moins, au maintien de notre liberté de décision en ce qui touche au transit Sud-Nord. Or, lorsque M. Currie a demandé au Général comment il s’expliquait la persistance de l’armée Kesselring dans le nord de l’Italie, le Général a répondu qu’il s’agissait pour les Allemands de piller tout ce qu’ils pouvaient emporter du territoire occupé pour en faire bénéficier ses compatriotes transalpins.
Je ne crois pas que M. Currie ait relevé la chose pour en faire état dans les pourparlers, mais si d’autres interlocuteurs Alliés du Général revenaient à la charge au même propos, il serait opportun de ne pas exprimer d’avis à ce sujet dont ils pourraient tirer parti contre nous.
Je n’exagère nullement l’importance de ce petit accident dont le Général ne porte du reste pas la moindre responsabilité; mais puisque votre aimable envoi m’a fourni l’occasion de vous écrire deux mots, j’ai jugé utile de vous faire connaître ce détail. Si vous deviez en parler au Général, je vous prie de vouloir bien lui dire en mon nom combien je lui ai été reconnaissant de sa réception et combien a été favorable l’impression produite par lui sur le Chef de la Délégation américaine.
Assuré que vous ne vous méprendrez pas sur les sentiments qui m’ont inspiré ces lignes hâtives, je vous prie, mon cher Colonel, de présenter tous mes hommages au Général Guisan et d’agréer mes meilleurs souvenirs.