dodis.ch/47007
Le Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique,
P. Bonna, au Ministre de Suisse à
Rom e,
P. Ruegger1
Confidentielle
Berne, 12 mars 1940
Nous avons eu l’honneur de recevoir la lettre du 6 mars2 par laquelle vous voulez bien nous faire connaître que, d’accord avec le Colonel de Watteville, vous jugez désirable que le Chef de la Section des renseignements de l’Etat-major général suisse se rende en personne à Rome pour prendre, à une date aussi rapprochée que possible, des contacts avec le Service des renseignements du Ministère italien de la Guerre et d’autres Autorités militaires italiennes.
Nous ne saurions cacher que l’établissement d’un contact personnel entre le Chef de la Section des renseignements de l’Etat-major suisse et ses collègues du Ministère italien de la Guerre nous semble, dans les circonstances présentes, devoir soulever tant d’objections, pouvoir prêter à tant de malentendus et nous exposer à des risques si graves que nous hésitons à transmettre votre rapport au Commandement de l’Armée avant d’avoir recueilli de vous des informations complémentaires.
Il ne faut pas oublier que les personnalités dirigeantes de notre Etat-major général sont observées par les agents des autres Etats avec une vigilance soupçonneuse. Leurs moindres actes sont interprétés et commentés. Tout ce qui pourrait être considéré comme une marque d’intimité plus grande envers l’un de nos voisins est retenu. Bien que non belligérante, l’Italie ne saurait être considérée comme neutre. Ses représentants à Berne restent très près des représentants de l’Allemagne alliée. Le voyage que vous voudriez voir entreprendre au Colonel Masson ne passerait pas inaperçu et il donnerait lieu aux interprétations les plus fantaisistes. Du point de vue politique, ce voyage est donc nettement à déconseiller.
Pour que nous puissions renoncer aux objections susexposées, il faudrait que le risque de voir se reproduire des difficultés analogues à celles qui ont compliqué la tâche de notre Etat-major général durant la guerre de 1914/1918 fût contrebalancé par un intérêt capital, que nous ne discernons pas encore. Nous ne voyons pas, en effet, quelles communications décisives pourraient être recueillies par le Chef de la Section des renseignements alors qu’elles ne sauraient l’être par votre Attaché militaire3.