dodis.ch/42573
Le Chef du Département des Affaires étrangères,
A. Lachenal, au Ministre de Suisse à Paris, Ch.
Lardy1
Nous croyons devoir attirer votre attention sur l’article ci-joint du «Genevois» d’aujourd’hui, intitulé «Neutralité de la Savoie».2 Il est certain que les manœuvres de l’armée française qui pourraient avoir lieu dans le territoire neutralisé de la Savoie ne sauraient nous laisser indifférents. La France a des garnisons dans cette partie de la Savoie; elle y a bâti des chemins de fer stratégiques. Nous n’avons pas formulé d’opposition, estimant qu’il s’agissait de mesures qu’un Etat était libre de prendre sur son territoire, même quand celui-ci était grevé d’une servitude comme celle que l’articleXCII de l’Acte final du Congrès de Vienne impose à la Savoie neutralisée. Mais la question soulevée aujourd’hui par les journaux se présente sous un aspect différent. Ces manœuvres, touchant l’occupation de certains points stratégiques du territoire neutralisé, auraient un caractère alarmant pour nos droits, si elles devaient, ainsi que l’annoncent les journaux, coïncider avec un essai de mobilisation. On ne procède pas à de telles manœuvres dans une région qu’on a l’intention d’évacuer en temps de guerre. Elles n’auraient de portée que si la France pensait à ne pas respecter l’article XCII rappelé ci-dessus et qui stipule qu’en cas d’hostilité les troupes françaises auront à se retirer hors des provinces neutralisées. C’est là le côté de l’affaire dont nous devons nous occuper.
L’attitude qu’on prête au Ministère de la guerre de la République le mettrait en contradiction, non seulement avec les traités, mais aussi avec le texte même de la dépêche adressée le 14 décembre 1883 par M. Ferry, alors Président du Conseil et Ministre des Affaires étrangères de France, à M. Arago, Ambassadeur de la République à Berne. M. Ferry, après avoir constaté qu’il n’entrait pas dans les intentions du gouvernement français d’établir un ouvrage de fortification au Mont-Vuache, ajoutait, en effet, dans cette note «que dans les études pour la mobilisation l’Etat-major français s’est attaché à respecter complètement le territoire neutralisé».3
Il y a donc lieu dès maintenant de nous renseigner sur le point de savoir si des manœuvres sont projetées dans la Savoie neutralisée, en quoi elles consisteraient et si, notamment, elles seraient en rapport avec les propositions faites l’an dernier par le député Duval et qui tendaient à la création de bataillons alpins dans la Savoie.
Nous vous serions très obligé de vouloir bien prendre à cet égard des informations aussi précises que possible et nous donner sur ce sujet des appréciations que la part que vous avez prise à la solution des incidents de 1883 nous rendent particulièrement précieuses.4