Classement thématique série 1848–1945:
III. AFFAIRE DE NEUCHÂTEL
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 1, doc. 246
volume linkBern 1990
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2#1000/44#443* | |
Old classification | CH-BAR E 2(-)1000/44 74 | |
Dossier title | Neuenburgerhandel (1856–1856) | |
File reference archive | B.254 |
dodis.ch/41245
Instructions du Conseil fédéral au Général G. H. Dufour1
Monsieur le Général Dufour exposera avant toute chose à l’Empereur que le Conseil fédéral apprécie pleinement l’intérêt que l’Empereur voue à la Suisse, ainsi que ses efforts en vue d’une solution de la question neuchâteloise, et qu’il en est reconnaissant.
Que toutefois le Conseil fédéral regrette de ne pouvoir satisfaire au désir de l’Empereur quant à l’élargissement immédiat des prisonniers et de devoir s’en tenir aux bases, qu’ensuite de l’initiative de l’Angleterre, il a dernièrement communiquées au Cabinet anglais et dont il a aussi donné connaissance au Gouvernement français.
M. le Général Dufour donnera à l’Empereur tous les éclaircissements nécessaires pour l’édifier sur la situation et lui faire comprendre pourquoi le Conseil fédéral ne peut pas entrer dans les propositions de l’Empereur. Le Conseil fédéral appelle ici l’attention sur les points de vue suivants dont M. le Général Dufour fera l’usage convenable.
A supposer même que le Roi de Prusse ait des droits sur Neuchâtel, la Suisse a aussi pour sa part des droits, notamment envers les auteurs de la dernière insurrection. Exiger d’elle qu’elle proclame l’amnistie sans obtenir simultanément l’assurance d’une compensation de la part du Roi de Prusse, ce serait méconnaître la position des deux parties au détriment de la Suisse et exiger de celle-ci qu’elle se désiste de la juridiction en matière d’actes commis sur son territoire, par conséquent de sa souveraineté.
Si le Roi estime que son honneur est intéressé dans la question, il ne faut pas oublier que la Suisse aussi a à sauvegarder son honneur et sa considération devant le monde. Ce n’est pas à elle qu’on peut imputer les causes qui ont amené le changement de 1848; ce n’est pas elle qu’on peut rendre responsable de l’entreprise coupable qui a été tentée récemment contre l’ordre de choses existant dans le canton de Neuchâtel et la Confédération. Vouloir que la Suisse passe l’éponge sur les conséquences de cet acte coupable, sans lui offrir en même temps une compensation équivalente, ce serait la traiter comme coupable d’une injustice et lui faire accepter à titre de grâce seulement ce qui lui serait offert plus tard.
Une prétention semblable est d’autant moins admissible que le Roi de Prusse a avant toutes choses réclamé l’amnistie comme un droit et accompagné sa demande de menaces.
La circulaire confidentielle adressée par M. de Manteuffel aux Etats de la Confédération germanique a déjà fait mention de mesures sérieuses au cas qu’il ne serait pas fait droit à la demande de l’élargissement des prisonniers.
Dans cet état de choses, une amnistie sans compensation ne passerait plus aux yeux du monde comme un acte spontané ou de générosité, mais comme un acte dicté par la crainte.
Le Conseil fédéral ajoute la foi la plus entière aux assurances de l’Empereur, portant que dans le cas d’une mise en liberté immédiate des prisonniers, il prend l’engagement de procurer une solution de la question à l’avantage de la Suisse. Mais il ne saurait avoir la même confiance envers le Roi et le Cabinet de Berlin. Le motif pour lequel le Conseil fédéral ne peut pas avoir la même confiance gît dans la circulaire mentionnée de Manteuffel, circulaire dans laquelle on donne clairement à entendre que la mise en liberté des prisonniers ne serait qu’une première conquête ou concession. Qu’arriverait-il une fois l’élargissement obtenu, alors que le Roi de Prusse ne voudrait pas renoncer à ses droits prétendus ou ne prononcerait sa renonciation que sous des conditions inacceptables ou onéreuses pour la Suisse? Ce que la France pourrait empêcher sans doute, ce serait une guerre ou telle autre manifestation active de la Prusse contre la Suisse; mais que serait-ce, si le Roi de Prusse persistait après comme avant à maintenir le status ab ante et l’expectative de conjonctures européennes plus favorables?
Si, en retour d’une amnistie préalable des prisonniers, on met en perspective une renonciation du Roi de Prusse ou un arrangement à l’avantage de la Suisse, il importe que la Suisse sache avant tout sous quelles conditions spéciales une pareille renonciation aura lieu. M. le Général Dufour s’en référera ici aux conditions renfermées dans les dernières ouvertures adressées au Cabinet anglais2 et qui reposent en principe sur les bases suivantes:
Aucunes réserves impliquant une dépendance quelconque vis à vis de l’étranger; aucunes réserves emportant une restriction quelconque de la législation et de l’administration à l’intérieur.
On tient aussi à savoir d’avance si le Roi de Prusse entend rattacher ici une question financière et laquelle? De plus si on estime que l’amnistie comprendra, indépendamment de la remise de la peine, aussi une remise des frais et indemnités, et dans quelle proportion?
Les négociations pourraient échouer plus tard à l’endroit de ces points et autres analogues, et le Roi de Prusse pourrait en prendre occasion pour refuser toute renonciation et tout arrangement. C’est pourquoi il est absolument indispensable pour la Suisse que ces conditions soient nettement réglées à l’avance, si elle ne veut pas s’exposer au danger de dépendre du bon vouloir de la partie adverse une fois l’amnistie prononcée.
Or une renonciation sur de pareilles bases positivement déterminées doit être prononcée formellement par le Roi de Prusse en même temps que l’amnistie le sera par la Suisse, ou il faut tout au moins que l’on donne pour cette renonciation les assurances et les garanties demandées dans les communications qui ont été faites dernièrement aux cabinets anglais et français ou des assurances et des garanties d’une valeur analogue. En l’absence d’une pareille base, le Conseil fédéral se trouverait dans l’impossibilité de soumettre une proposition d’amnistie aux Conseils législatifs; il ne pourrait invoquer à cet effet aucun motif politique et juridique; en présence des dispositions qui se sont manifestées à l’unanimité dans la dernière session des Conseils et que les derniers actes de la Prusse ne sont pas de nature à faire fléchir, une proposition semblable ne manquerait pas d’être rejetée à une grande majorité, si ce n’est à l’unanimité.
Les bases adoptées par le Conseil fédéral, sur l’initiative du Cabinet anglais, ainsi que les éclaircissements donnés par le Conseil fédéral sont annexés à la présente instruction.3