Der Schweizer Geschäftsträger a.i. in Bangkok kritisiert die amerikanische Präsenz in Südostasien.
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 19, doc. 11
volume linkZürich/Locarno/Genève 2003
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#53* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 31 | |
Dossier title | Bangkok, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 2 (1951–1954) |
dodis.ch/9483 Le Chargé d’Affaires de Suisse à Bangkok, R. Christinger, au Chef du Département politique, M. Petitpierre1
J’ai l’honneur de revenir sur la situation dans le Sud-Est de l’Asie et plus particulièrement sur les déclarations faites, la semaine dernière, aux Etats-Unis par M. Norman Thomas. La presse siamoise locale a reproduit plusieurs observations relevées par ce leader socialiste américain à la suite d’un bref voyage de sept semaines en Asie. Si certaines remarques semblent incorrectes ou imprécises l’impression générale que cet observateur a retirée me paraît bonne.
Non seulement M. Thomas mais plusieurs officiers supérieurs américains que j’ai rencontrés à Bangkok et qui vivent depuis plusieurs années en Extrême Orient estiment que les Etats-Unis n’ont jamais manqué l’occasion de commettre une erreur, et souvent de s’y complaire. En Corée et en Chine, les Américains ont appuyé Syngman Rhee et Chiang Kai-Shek, symboles d’un régime corrompu. En Indochine, ils soutiennent les Français que l’on déteste ouvertement ou non, mais cordialement. Leur aide à la Thaïlande a engendré souvent la corruption et provoqué une hausse des prix vertigineuse. Et l’on note qu’en Chine, avec le communisme, la corruption a disparu.
Cette constatation n’est pas faite pour accroître le prestige des Américains. Leur comportement dans la vie privée et officielle renforce encore la piètre opinion qu’ils inspirent. C’est par exemple une erreur, vis-à-vis des autochtones, que d’envoyer un personnel nombreux, qui se fait remarquer par des dépenses inconsidérées et par un manque de tact ou d’éducation. La mission militaire au Siam comprend, avec les femmes et les enfants, plus de 400 personnes; un attaché à la maison économique gagne 20’000 dollars par an, sans taxes, et il est défrayé en plus de tous les frais d’hôtel et de ceux de sa famille. La plupart de ces gens n’a rien à faire et passe son temps au golf ou en villégiature hors de Bangkok. Ce gaspillage agace les Siamois et ne leur inspire pas confiance.
Mais le plus grave handicap dont souffrent les Américians et que M. Thomas n’a pas relevé suffisamment est le fait qu’ils défendent avec enthousiasme et naïveté des idées politiques qui n’ont aucun sens ici. Il existe à Bangkok, pour illustrer ce fait, un monument hideux ne représentant rien et qui est nommé le Monument de la démocratie.
Un ami siamois très lié avec l’Ambassadeur des Etats-Unis2 m’a déclaré que M. Stanton, peu avant de partir en congé, lui aurait avoué que sa mission à Bangkok se soldait par un échec. Il a pu constater qu’en Thaïlande aujourd’hui, comme en Chine hier, l’aide américaine avait précipité un processus de corruption sans s’attacher comme on l’espérait des débiteurs fidèles et reconnaissants. Malgré ses efforts, l’Amérique n’a pas réussi à exercer une emprise effective sur le Gouvernement siamois; bien au contraire, dans quelques cas où les Américains ont exercé une pression trop nette sur leurs partenaires, ceux-ci ont fait leur poing dans leur poche et se sont promis d’éviter de donner prise, à l’avenir, à leurs «bienfaiteurs».
Il faut admettre à la décharge de Washington que le personnel qualifié est affecté à des pays plus importants que le Siam et qu’on n’a trouvé, pour Bangkok, que des agents de seconde classe. Mais ces derniers, par leur nombre et par leur attitude desservent les causes qu’ils défendent alors que leurs adversaires marquent des points par leur seule présence et leur retenue.
Le secrétaire-général du Ministère des Affaires étrangères m’a déclaré que l’on s’inquiétait du nombre des agents communistes qui pénètrent en Thaïlande en provenance de Malaisie, d’Indochine et surtout de Birmanie. C’est en effet de Rangoon où sont installées d’importantes missions russes et chinoises que semblent venir les directives. La Légation de l’URSS à Bangkok est chargée aussi de maintenir des contacts surtout par l’entremise du chauffeur de l’Ambassade qui, du point de vue du parti, semble être l’homme le plus en vue. C’est lui qui assure la liaison avec les milieux chinois.
C’est en effet la colonie chinoise qui est la plus sensible à la propagande communiste. C’est ainsi que les journaux chinois d’extrême gauche ont environ 75’000 lecteurs, alors que l’organe du Gouvernement de Formose tire à moins de 5000 exemplaires. Du côté siamois on dénombre plutôt des sympathisants tels que le Dr. Charoen Supsaeng et Prasert Sabsunthorn que des membres actifs. La situation des communistes est d’ailleurs assez curieuse, pour un esprit européen. Le parti communiste n’est pas interdit comme tel depuis que la Thaïlande est devenue membre de l’ONU3. En théorie aucun parti politique n’a été autorisé par le nouveau Gouvernement. Seuls des clubs, en fait de véritables partis, soutenant le Gouvernement peuvent exercer leur activité. Pourtant le Ministère de l’Intérieur envisagerait d’autoriser trois partis dits «libéral», «socialiste» et «national».
De l’avis de plusieurs hauts fonctionnaires et d’hommes politiques il n’est pas possible aux communistes d’exercer une activité légale, comme c’est par exemple le cas en Inde et à Ceylan. Ils doivent travailler en dehors de la loi, mais ils ne sont poursuivis que lorsqu’ils commettent une infraction aux lois (possession d’émetteurs clandestins par exemple) ou s’ils mettent en danger la sécurité de l’Etat.
Il n’en demeure pas moins que la politique officielle du Gouvernement est anti-communiste comme le démontrent l’envoi d’un corps expéditionnaire en Corée, l’affichage de placards ridiculisant le communisme, l’appui, d’ailleurs très restreint, accordé au clergé bouddhiste etc. Mais il ne faut pas perdre de vue que la Thaïlande n’est pas une démocratie et que le Gouvernement est l’affaire d’une poignée d’hommes qui peuvent soit changer d’avis soit disparaître. M. Norman Thomas a relevé à cet égard que la politique intérieure du Siam rappelait celle de certaines républiques sud-américaines. Cette observation est exacte. L’absolutisme et le régime féodal ont été remplacés par la politique de clans militaires qui tantôt s’allient, tantôt se combattent. A l’heure actuelle l’équilibre est assuré du fait que le chef de la police est le beau-fils du commandant en chef de l’armée4. Cet équilibre risque pourtant d’être rompu prochainement en raison de la maladie de ce dernier qui sera probablement remplacé par un autre officier ambitieux et populaire, le général Saridhi Thannarat. Vers la fin de cette année on verra si le maréchal Pibul Songgram est toujours capable de tenir en main ses lieutenants.
L’accroissement du pouvoir de la police qui profite de la situation pour se livrer à la corruption sur une grande échelle a déjà provoqué des remous et le départ d’hommes intègres. Au début de ce mois le ministre de l’industrie a donné sa démission; il a été remplacé par un militaire.
Du point de vue international il ne faut pas s’attendre à un changement de politique ce qui ne veut pas nécessairement dire que le Siam suivra les Etats-Unis en toutes circonstances. Pour le moment le danger vient de la Chine communiste et l’appui américain n’est donc pas à négliger. On estime à Bangkok que le point faible du Sud-Est de l’Asie demeure la Birmanie et que la conclusion d’un armistice en Corée donnerait le signal à des événements graves dans ce pays. On s’attend à ce que la Birmanie soit un jour «libérée» par l’intérieur ce qui enlèverait aux Nations Unies toute possibilité d’intervention. D’après les renseignements dont disposent les autorités siamoises la situation est mûre et il appartiendrait à Pékin de fixer le moment favorable.
En ce qui concerne la Thaïlande le conflit Est-Ouest peut se résumer ainsi. L’URSS reste immobile et enregistre les erreurs que commettent les Américains débordant d’activité. Ceux-ci, comme représentants de la plus grande puissance dite «européenne» mettent en péril sans le vouloir la position de toutes les nations européennes en Extrême-Orient. Il est souvent nécessaire, pour être bien accueilli de l’homme de la rue, de lui dire en siamois que l’on n’est pas américain. Cette attitude populaire n’a rien à voir avec la propagande communiste mais résulte de l’antinomie foncière des points de vue américain et asiatique. Il est clair que le communisme ne peut que profiter de cette situation. La seule barrière est pour l’instant le Bouddhisme, particulièrement ancré en Birmanie, en Thaïlande, au Laos et au Cambodge, ainsi que le nationalisme. Malheureusement, les Européens ne comprennent pas toujours cela et en Indochine par exemple, on semble parfois pousser les patriotes trop sincères dans les bras des communistes.
- 1
- E 2300(-)-/9001/31. Paraphe: RC.↩
- 4
- P. Songgram.↩
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Colonization and Decolonization