Confidentielle
Londres, 15 février 1945
Au moment des négociations fort importantes qui se déroulent à Berne avec des délégations anglaise et américaine, je me suis employé, dans la mesure du possible, à intensifier les contacts directs avec des membres du gouvernement britannique qui, en dernier ressort, devront prendre acte des résultats de ces négociations.
J’ai eu, ces derniers jours, des conversations prolongées dans un cadre tout à fait inofficiel, avec une série de membres du gouvernement, comme Mr. Morrison, Secrétaire d’Etat de l’Intérieur, Mr. RichardButler, Président du Board of Education, le Chancelier de l’Echiquier, Sir JohnAnderson, et d’autres. Grâce surtout à l’amabilité du Chancelier de l’Echiquier et de Lady Anderson, j’ai pu aussi faire connaître d’une manière détaillée notre manière de voir, comme je l’avais fait vis-à-vis d’autres membres du gouvernement, à Mr. Attlee, Vice-Premier Ministre et chef du gouvernement en l’absence de Mr. Churchill. Il est assez significatif d’observer les premières réactions de ces hommes d’Etat, car ces réactions correspondent à une idée à peu près unanimement exprimée - donc, probablement à une formule arrêtée au Cabinet de guerre: on apprécie unanimement et sans aucune réserve, en usant même des termes les plus chaleureux, l’action déployée par la Suisse - durant les dures années d’une guerre longue, durant laquelle nous avons été longtemps encerclés -, dans le domaine humanitaire de la prévoyance en faveur des prisonniers de guerre et internés civils. L’on reconnaît également, comme l’ont fait Mr. Eden et le Ministre d’Etat, Mr. Richard Law, dans des conversations dont je vous ai rendu compte à part2, l’action véritablement neutre de la Suisse. Cependant, comme l’a dit Mr. Morrison, et comme l’ont paru indiquer d’autres membres du gouvernement, - et à cet égard nous devons tenir un compte particulier aussi des vues des représentants du «Labour party», largement associés au cabinet de coalition - que la Suisse, «voyant maintenant s’écarter d’elle une menace militaire directe, devrait diminuer ses échanges avec l’Allemagne et apporter des entraves au transit à travers son territoire». Je n’ai pas besoin de dire que je n’ai cessé de rappeler les arguments maintes fois répétés à nos interlocuteurs habituels - Mr. Eden, LordSelborne et Mr. Foot -, touchant, entre autres, les obligations contractuelles assumées par notre pays et, le rôle permanent qui lui est dévolu en tant que seul et unique Etat neutre. Je voudrais aussi espérer que la répétition très nécessaire de cet argument n’a pas été inutile. Si nous nous trouvons ici en présence d’une doctrine assez fortement ancrée, il y a d’autre part un sens traditionnel des nuances et des nécessités politiques, auquel on peut toujours faire appel. Je pense que la délégation suisse à Berne fera les mêmes constatations. D’autant plus que Mr. Dingle Foot est, quant à lui, - j’en suis convaincu, - parfaitement conscient de nos difficultés et de nos obligations, et qu’il voudrait le démontrer. D’autre part, je me permets, encore une fois, d’attirer votre attention sur la recommandation qui m’a été faite par Mr. Richard Law, qu’il importe de ne pas vouloir escompter une divergence de vues entre les délégués anglais qui connaissent notre situation et ceux des Etats-Unis qui, peut-être, la connaissent moins. Ce qu’on peut faire, c’est de tenter une œuvre de persuasion continuelle sur ces derniers.