Confidentiel
Londres, 1er août 1944
Au cours de notre dernier entretien, vous avez bien voulu me donner vos instructions en ce qui concerne les rapports que vous désirez voir s’intensifier entre notre Légation et les Gouvernements Alliés en exil, établis provisoirement à Londres.
L’Ambassadeur de Belgique, Baron de Cartier de Marchienne, qui est doyen du Corps Diplomatique, ayant eu l’amabilité de donner un déjeuner en mon honneur dès avant la présentation de mes Lettres de Créance, déjeuner auquel assistaient plusieurs membres du Gouvernement Belge, je suis en mesure de vous relater quelques impressions recueillies dans les milieux dirigeants, aujourd’hui expatriés, d’un des pays occupés avec lequel nous avons traditionnellement les rapports les plus étroits. J’ai rencontré notamment M. Spaak, Ministre des Affaires Etrangères, avec deux de ses collègues, et quelques hauts fonctionnaires du Ministère Belge des Affaires Etrangères; il y avait en outre l’Ambassadeur Strang, bien connu à Genève où il accompagnait fréquemment les délégations britanniques à la Société des Nations, et l’Ambassadeur de GrèceAghnidès.
M. Spaak m’a parlé en termes fort amicaux de la Suisse, de nos autorités et de leurs efforts; il s’est enquis particulièrement du Ministre Frédéric Barbey ainsi que de mon collègue M. le Ministre de Stoutz - non sans une très légère allusion au fait qu’il y a à Londres un Corps Diplomatique accrédité au Gouvernement Belge. J’ai parlé de la tâche urgente et immédiate que M. de Stoutz2 avait dû assumer, tâche qui était par définition de caractère provisoire, en insistant qu’il demeurait Ministre auprès de Sa Majesté le Roi Léopold.
Les collègues de M. Spaak ont également eu des mots très aimables au sujet de notre pays. L’un d’eux - il y avait là un signe de la sensibilité qui caractérise, tout naturellement d’ailleurs, l’état psychologique des Gouvernements en exil - a voulu s’enquérir si les idées de M. Musy avaient «encore un écho en Suisse». J’ai dû expliquer que M. Musy, ayant quitté depuis fort longtemps notre Gouvernement Fédéral, ne parlait vraiment qu’à titre de simple citoyen et que ses vues n’étaient généralement pas partagées. Ce qui m’a frappé d’une manière générale dans la conversation avec les ministres et diplomates belges, c’est leur évaluation, beaucoup plus prudente que celle ayant cours dans les milieux britanniques, de la durée probable de la guerre. M. Spaak a taxé d’« optimistes» ceux qui croyaient à une fin de la guerre dans un avenir rapproché, voire pour les semaines prochaines. D’autres de ses collègues ont fait part du grand souci que leur causaient les bombardements continuels des territoires occupés, qui risquaient de s’attaquer à la substance même du pays. Enfin, le problème du ravitaillement de l’enfance belge (dont M. de Kerkhove m’avait exposé à Lisbonne les nouvelles difficultés) ne cesse naturellement de retenir l’attention des dirigeants belges de Londres. [...]