Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
II.5. CHILI
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 15, doc. 147
volume linkBern 1992
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#973* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 428 | |
Dossier title | Santiago de Chile, Politische Berichte und Briefe, Band 6 (1943–1950) |
dodis.ch/47751
J’ai l’honneur de vous faire part, ci-dessous, de quelques considérations concernant la politique chilienne:
Le Président Rios qui, voici un peu plus de deux ans, avait été porté au pouvoir par les radicaux avec l’aide des partis de gauche, est en butte, depuis un an environ, à de vives critiques de la part de ses électeurs de naguère. On lui reproche son indécision et sa tendance à ménager les conservateurs parmi lesquels il trouva, après coup, certains appuis.
Depuis plusieurs mois, on attendait que le Président du Chili prît position pour répondre aux attaques dont il était l’objet. Or, sortant de son mutisme, il adressa récemment aux chefs du parti radical une lettre ouverte dont le texte fut reproduit par tous les journaux et par laquelle il fait connaître son avis sur certains postulats de l’Alliance démocratique visant, notamment, l’épuration de l’administration publique, la réalisation effective des accords pris avec les Nations Unies, la reprise des relations diplomatiques avec l’U.R.S.S. et la rupture avec le Gouvernement du Général Franco. On comprendra aisément que le Président du Chili, dont les attributions constitutionnelles sont extrêmement étendues, ait protesté avec vigueur contre la prétention de le diriger en pareilles matières. Dans sa lettre, M. Rios commence par déclarer qu’il entend gouverner lui-même; puis, reprenant les points essentiels du mémoire de l’Alliance démocratique, il les repousse l’un après l’autre. «On me demande, dit-il, d’épurer l’administration. Je refuse cette suggestion car, en l’acceptant, je donnerais à croire que mes collaborateurs sont corrompus, ce qui n’est pas le cas. Au surplus, un malaise général ne tarderait pas à peser sur tous les cadres de l’administration si de telles méthodes étaient innovées.» En matière de relations extérieures, le Président se défend de n’avoir pas accompli strictement les engagements pris avec les Nations Unies et mentionne, notamment, les mesures adoptées en matière de répression d’espionnage. «On me propose, ajoute-t-il, la reprise des relations avec la Russie soviétique. Cette question est beaucoup trop complexe pour être résolue d’un trait de plume. Aussi ne puis-je entrer en matière, tout en relevant à titre d’indication que le Brésil, qui est en guerre avec les pays de l’Axe, n’a pas renoué ses relations avec la Russie, tandis que le Japon maintient sa représentation à Moscou.» Quant à la rupture avec le Gouvernement espagnol, il Pécarte comme un projet simplement absurde.
Ces déclarations, largement diffusées dans le pays, provoquèrent une très vive réaction. Alors que la droite se félicitait de la fermeté présidentielle, la gauche ne cachait pas sa colère et allait jusqu’à déclarer la patrie en danger. Il s’agissait, bel et bien, d’une lutte ouverte entre le Président et le parti même où il avait fait sa carrière. Les radicaux répondirent à leur tour par lettre ouverte, s’appesantissant sur des points de détail et cherchant à démontrer que, tout président qu’il soit, M. Rios doit suivre les directives de son groupe. Celui-ci rétorqua qu’il estimait les responsabilités de sa charge beaucoup trop importantes envers l’ensemble du pays pour qu’il puisse se limiter à favoriser le seul parti radical auquel, ajoutait-il, il restait fermement dévoué quant au reste. Les radicaux n’admirent pas cette manière de voir et obligèrent les cinq ministres de leur parti, membres de l’actuel Cabinet, à donner leur démission. Ils s’exécutèrent, mais la démission fut refusée par le Président Rios et ils restèrent en fonction, rompant ouvertement avec leurs coreligionnaires politiques. La situation devenait de plus en plus tendue et certaines personnes pronostiquaient, non seulement un remaniement du Gouvernement, mais un changement à la Présidence. C’est, peut-être, alléché par cette perspective que l’Ambassadeur du Chili à Rio, M. Gonzales Videla, abandonna précipitamment son poste pour venir patriotiquement offrir sa collaboration au parti radical. Ce diplomate occasionnel avait, en effet, été candidat aux élections d’il y a deux ans et il semble qu’il n’ait pas abandonné l’espoir d’occuper un jour le poste de roi sans couronne qu’est la Présidence chilienne. Malheureusement pour lui, il ne trouva pas, parmi ses amis, l’accueil qu’il aurait désiré et devra se borner, pour l’instant, à accepter un fauteuil de Sénateur, lequel lui offrira, sans doute, moins d’honneur et d’avantages que l’Ambassade du Brésil.
Malgré les innombrables intrigues qui viennent se greffer sur la situation créée entre le pouvoir exécutif et les partis qui occupent la majorité des sièges du Congrès, aucune décision «brisante» ne fut prise jusqu’ici. Si l’on en croit certains bruits, les Etats-Unis verraient d’un œil défavorable des mesures extrêmes au Chili et c’est épaulé par ce puissant voisin du nord que le Gouvernement chilien se maintiendrait au pouvoir. D’autre part, les exemples de la Bolivie, de l’Argentine et les tendances qui régnent dans d’autres nations sud-américaines, notamment l’Equateur, font toujours redouter un coup d’Etat s’appuyant sur l’Armée où l’Allemagne compte encore, malgré tout, de fervents admirateurs. Les méthodes souvent dures, employées par les Etats-Unis dans leurs relations économiques et financières avec le Chili, continuent à leur susciter une résistance croissante. Les radicaux, ainsi que les socialistes et les communistes doivent se rendre compte de cet état d’esprit car, sinon, ils eussent sans doute tenté d’utiliser l’occasion qui leur était donnée de créer un Gouvernement à leur image en excluant complètement les représentants conservateurs.
La tension continue à être forte et il n’est pas impossible que l’on assiste à un dénouement plus ou moins prochain. D’aucuns l’avaient prédit pour l’ouverture du Congrès. Il ne s’y passa, toutefois, rien et le Président Rios, au milieu d’une assistance nombreuse et froide, lut, sans incident, un long message au cours duquel il justifiait sa gestion pour l’année écoulée.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Santiago de Chile/6. En date des 2 mars et 28 mai 1943, le Conseil fédéral, sur proposition du Département politique, a décidé la création à Santiago d’une Chancellerie diplomatique et l’attribution à ce poste de M. Philippe Zutter, Conseiller de Légation, en qualité de Chargé d’Affaires intérimaire. (Cf. PVCF ° 1757 du 13 octobre 1944, E 1004.1 1/450).↩