Confidentiel Stockholm, 1er novembre 1943
En complément et aussi confirmation de ce que je vous écrivais avant-hier2, je suis en mesure de donner encore, de la meilleure source, les informations qui suivent sur l’état de choses présent au Danemark.
Le nouvel ordre introduit, - qu’il soit passager ou plus ou moins durable, - selon la note jointe à ma dernière lettre et à laquelle M. Scavenius lui-même mit la dernière main, constitue effectivement une sorte de compromis ou moyenterme. Les adversaires d’une collaboration réelle avec les Allemands, dont le Souverain avec la grande majorité du parlement et du peuple, évitent la constitution d’un véritable gouvernement paraissant pactiser avec l’occupant. Il leur paraît essentiel qu’à la fin des hostilités, le Danemark ne se trouve pas en pareille posture.
D’autre part, il s’agissait d’assurer la continuation de l’administration proprement dite dans l’intérêt même du pays. Il importe aussi qu’il existe un organe danois avec lequel les autorités d’occupation puissent discuter nombre de mesures avant leur exécution, sinon elles risquent de ne tenir aucun compte des possibilités et convenances danoises. Je souligne à nouveau que les chefs de l’administration centrale danoise ne forment pas un conseil prenant des décisions ou édictant des prescriptions en corps; chacun des chefs d’administration donne, au contraire, individuellement les avis et instructions qui sont de son ressort propre.
Remarque ne manquant pas de piquant: M. Scavenius et plusieurs des membres de son dernier Cabinet ne croient pas que le nouveau système puisse fonctionner pendant longtemps, tandis que la plupart des hauts fonctionnaires sont d’avis contraire. [...]
On saurait aujourd’hui que l’ordre de donner la chasse aux Juifs danois est venu de Hitler en personne. Même Himmler et von Ribbentrop auraient cherché à l’empêcher. Il n’y a actuellement plus mille Juifs au Danemark, sur un total de près de 8000. Des officiels allemands ont eux-mêmes prévenu des Juifs danois, quelques jours à l’avance, de ce qui allait leur arriver. Aussi le plus grand nombre des Juifs riches ont-ils réussi à se sauver à temps. Ceux qui sont tombés entre les mains des Allemands sont en majorité des pauvres, des vieux et des malades. Des 1600 embarqués et transportés sur un bateau, on reste sans nouvelle aucune, même de ceux d’entre eux qui ont été enlevés par méprise.
D’autre part, il n’y aurait encore eu aucune mesure de confiscation contre les biens des Juifs au Danemark, ni avoirs bancaires, ni biens mobiliers, ni immeubles.
Enfin, les mesures nombreuses devenues urgemment nécessaires par l’arrivée de plus de 7000 réfugiés danois en Suède ont eu pour effet de rétablir le contact entre la légation de Danemark à Stockholm et son ministère des affaires étrangères.