dodis.ch/47591
Le Ministre de Suisse à
Rome,
P. Vieli, au Chef du Département politique,
M. Pilet-Golaz
1
Strictement confidentielle et personnelle
Rome, 9 août 1943
Lors de mon entretien avec Guariglia, celui-ci m’a demandé si je ne pouvais pas faire un saut à Berne pour vous prier de faire une démarche auprès des Anglo-Saxons en vue d’obtenir d’eux qu’ils patientent quelque temps afin de permettre à l’Italie de se dégager de l’Allemagne2.
Il m’a prié, il est vrai, de ne pas vous dire que cette suggestion venait de lui. «Ce n’est pas le Ministre italien des Affaires étrangères qui vous parle, m’a-t-il dit, c’est un vieil ami que vous avez devant vous»; - je connais très bien Guariglia depuis 19 ans3 Il ajouta que, bien entendu, cette démarche ne devrait même pas avoir l’air de venir du côté italien. Il pensait que vous pourriez parler aux Alliés du point de vue suisse, un débarquement des Alliés à Gênes et des batailles dans la plaine du Pô pouvant avoir de très graves conséquences pour notre pays et nous mettre en grand danger. C’est en partant de cette conception que M. Guariglia imagine une démarche de notre part auprès des Alliés, évidemment tout à fait officieuse.
J’ai répondu à M. Guariglia qu’il m’était absolument impossible de quitter actuellement Rome, mais que je voulais charger une personne de confiance de vous en parler. J’avais pensé à mon collaborateur M. Mallet, qui devait partir ce soir en vacances mais qui, lui aussi, vu le moment très critique, préfère renvoyer son départ pour rester sur place. Je me permets de vous soumettre, par cette lettre personnelle, le désir de M. Guariglia.
Je ne vous cache pas - je l’ai aussi dit à M. Guariglia - que je trouve une pareille démarche extrêmement délicate et risquée. En outre, j’ai bien l’impression que les Etats-Majors des Alliés ne changeront pas leurs plans pour les beaux yeux de la Suisse et répondre à notre désir. Je crains par conséquent qu’une telle démarche, outre les risques qu’elle comporte, soit à l’avance vouée à l’insuccès. L’observation de M. Guariglia concernant la situation critique dans laquelle viendrait à se trouver la Suisse au cas où la guerre se rapprocherait de notre frontière du sud est certainement exacte; mais il est certain aussi que ce ne sont pas les préoccupations suisses qui empêcheront les Alliés de poursuivre leurs plans qu’ils doivent avoir établis de longue date.
Je me suis permis de vous soumettre mes propres réflexions mais n’ai pas voulu manquer de vous faire part du désir de M. Guariglia, homme fort intelligent mais qui, samedi soir, m’a fait l’impression de ne plus savoir à quel saint se vouer.