Language: French
4.3.1943 (Thursday)
Le Chef du Département politique, M. Pilet-Golaz, au Ministre de Suisse à Washington, K. Bruggmann
Letter (L)
Pilet-Golaz désire pouvoir doter la Légation à Washington de nouveaux collaborateurs de valeur, car il est conscient de l’importance croissante des Etats-Unis dans le domaine des relations internationales. Après la guerre, leur influence sera peut-être dominante.

Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.7. ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
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Printed in

Antoine Fleury et a. (ed.)

Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 317

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Bern 1997

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Cover of DDS, 14

Repository

dodis.ch/47503
Le Chef du Département politique, M. Pilet-Golaz, au Ministre de Suisse à Washington, K. Bruggmann1

Votre lettre H.4 du 9 février 19432

m’est parvenue le 23 du même mois. Inutile de vous dire que j’en ai pris connaissance avec le plus vif intérêt. Je fus tout particulièrement sensible aux nouvelles que vous me donnez de M. McKittrick et de ses efforts. Je sais combien cet homme remarquable, d’une compréhension internationale rare, est un ami sûr et fidèle de notre pays. Je ne peux trop me féliciter de sa présence à la tête de l’institution qu’il dirige et je n’ignorais pas qu’il utiliserait son séjour en Amérique pour faire comprendre dans la mesure du possible à ceux qui ont de la peine à la saisir quelle est notre véritable situation. Il en connaît les difficultés et les besoins.

Peut-être aura-t-il quitté déjà Washington lorsque cette lettre vous parviendra. Si tel n’était pas le cas, ayez l’obligeance de lui transmettre mes salutations et de l’assurer de mes sentiments fidèles.

Quant aux obstacles auxquels vous vous heurtez, il va sans dire qu’ils ne m’avaient pas échappé: depuis longtemps nous essayons de les surmonter ou de les tourner. Ils me préoccupent constamment, parce qu’avec les mois et les années - nous sommes loin d’être au bout de la guerre - leurs effets sont toujours plus sensibles et pour nous plus défavorables.

Je n’avais pas attendu votre lettre pour insister auprès de la Banque nationale, dont je désirais savoir au plus tôt si elle voulait ou ne voulait pas renvoyer un représentant en Amérique. Pour des raisons qui lui sont propres, elle a tardé longtemps à prendre une décision et à me la communiquer. Je crois qu’ellemême a eu des difficultés qui expliquent ce retard. Quoi qu’il en soit, M. Gautier ne retournera pas. Par contre, M. Pfenninger ira. En principe, il sera aux Etats-Unis le porte-parole et l’agent de la Banque nationale, comme M. Gautier. Mais il va de soi qu’il sera à votre disposition s’il peut vous être utile et si vous désirez le consulter ou l’employer.

Cela ne signifie pas du tout que l’affectation de M. Straessle3 à la Légation, comme vous l’avez esquissée, soit exclue. Si elle n’est pas chose décidée jusqu’à maintenant, c’est qu’il y a peut-être des considérations à l’intérieur qui échappent à l’extérieur. Elles ne me paraissent cependant pas absolument déterminantes. C’est pourquoi, une fois M. Pfenninger sur place et après quelque temps d’expérience, vous pourrez revenir à la charge si vous estimez que c’est le moyen le plus efficace pour tenter de faire aboutir nos légitimes revendications et de créer un climat où il est indispensable qu’il existe.

Mais le problème financier n’est pas le seul qui me préoccupe. Le problème économique dans son ensemble retient mon attention depuis des mois et des mois. Quand je dis dans son ensemble, cela signifie son aspect commercial, son aspect financier, son aspect «trafic et transports».

Je suis convaincu de l’importance croissante des Etats-Unis d’Amérique pour le développement des relations internationales. Je suis sûr que cette importance ira grandissant jusqu’à la fin de la guerre et qu’après, elle sera peutêtre dominante. C’est pourquoi je désire depuis longtemps vous doter de l’appareil de travail qui vous est nécessaire: Votre Légation sera peut-être la Légation vitale pendant quelques années. Il faut multiplier les contacts et assurer les collaborations favorables.

J’ai pensé, et le Conseil fédéral avec moi, que quelqu’un pourrait vous être fort utile: c’est M. de Torrenté4, le conseiller de légation que vous connaissez sans doute. A deux ou trois reprises, il avait été question de l’envoyer en mission temporaire. Je ne crois pas qu’une pareille mission donne les résultats que d’aucuns ont pensés. Par contre, l’activité constante de M. de Torrenté à vos côtés et sous votre direction pourrait avoir, elle, des effets plus substantiels. Je le verrais pendant cinq ou six mois sans responsabilité directe et immédiate à l’intérieur de la Légation, si vous préférez sans être chargé d’un service délimité exigeant une expédition quotidienne des affaires. Je le verrais plutôt pendant ce délai s’orientant avec vous, nouant des liens avec le monde politicoéconomique, étudiant la structure actuelle des Etats-Unis et leur évolution, recherchant - toujours avec vous - les directions dans lesquelles nous aurions des chances de pouvoir nous engager, celles qui, au contraire, sont fermées au moins momentanément, les préparatifs à faire de notre part, le programme que l’on pourrait établir, programme que je ne voudrais pas théorique, mais pratique. Après quoi, vous pourriez le charger de la direction, - bien entendu sous votre contrôle, - comme premier collaborateur, de l’ensemble de vos services politico-économiques. Si je dis politico-économiques, c’est que maintenant l’économie prend constamment un aspect politique et ne peut pas être absolument distinguée de la politique. M. de Torrenté aurait rang de ministre. C’est le cas de quelques-uns de nos agents les plus importants à l’étranger en dehors des chefs de mission, et pour certains d’entre eux ce n’est qu’une satisfaction légitime correspondant à un besoin réel.

Je ne vous fais pas l’éloge de M. de Torrenté; sauf erreur, vous l’avez vu à l’œuvre autrefois. Il a été très apprécié par M. Stucki à Paris. Il l’est aujourd’hui par le Département de l’économie publique, où il fonctionne - prêté par le Département politique - comme délégué aux accords commerciaux. Il en a discuté, négocié et conclu plusieurs déjà avec bonheur. Cela ne veut pas dire que ce soit un technicien de l’économie au sens étroit du mot. Au contraire, son horizon est fort large. Il a le goût et le sens aussi de la politique. Je suis convaincu que plus tard, si les circonstances ne lui sont pas imprévisiblement et injustement contraires, il sera chargé d’un de nos postes importants.

Il me serait agréable, lorsque cette lettre sera en votre possession, que vous m’en accusiez réception par télégramme et que vous me disiez à cette occasion si les intentions du Conseil fédéral - pour ne pas les appeler encore des décisions - vous paraissent opportunes et si vous vous promettez de leur réalisation un résultat sinon immédiat, du moins heureux.

J’aimerais ne pas trop tarder: les événements peuvent marcher ce printemps et cet été. Les discussions importantes peuvent commencer l’hiver prochain déjà. Mais j’en ai assez dit pour que vous m’ayez compris.

A moi maintenant d’attendre votre propre avis.

1
Lettre (Copie): J.I. 17/6.
2
Cf. No 300.
3
Cf. No 300, notes 6 et 7.
4
Cf. No 300, note 7.