Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.6. ESPAGNE
2.6.2. RELATIONS POLITIQUES
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 14, Dok. 261
volume linkBern 1997
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Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2300#1000/716#527* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2300(-)1000/716 260 | |
Dossiertitel | Madrid, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 11 (1942–1942) |
dodis.ch/47447
Les paroles que l’ancien Ambassadeur d’Amérique à Madrid m’avait dites il y a plusieurs mois déjà et dont je vous avais donné connaissance dans un de mes rapports politiques se sont révélées vraiment prophétiques. En effet, les troupes américaines ont subitement débarqué au Maroc français2 avec l’espoir que les soldats de la France d’aujourd’hui se montreraient les dignes descendants de La Fayette et ne s’acharneraient pas à combattre les soldats américains qui auraient franchi l’Atlantique pour venir les aider à reconquérir leur liberté. M. Weddell avait même précisé que le débarquement se ferait à Casablanca. La nouvelle répandue dimanche matin a provoqué de la stupeur dans les milieux germanophiles espagnols officiels et privés où la vision d’une défaite de l’Allemagne apparaît comme le prélude d’une révolution communiste tandis que la grande partie du peuple espagnol même dissimule avec peine sa satisfaction.
Le Conseil des Ministres s’étant réuni, on eut tout de suite l’impression que l’Espagne ne ferait aucun geste qui pût modifier sa politique d’abstention et le silence se prolongeant sur de possibles réactions de l’Allemagne, on acquit la conviction dans les cercles autorisés que l’Espagne ne serait pas entraînée dans l’extension de la guerre au nord de l’Afrique. C’était là le fait capital de la journée - l’Espagne et l’Allemagne gardant le statu quo - dont j’ai estimé devoir vous informer d’urgence par deux télégrammes3. J’avais recueilli des informations sûres à cet égard au Ministère des Affaires extérieures ainsi qu’à l’Ambassade d’Allemagne où je pus acquérir la conviction que l’Espagne ne prendrait aucune décision et que l’Allemagne ne lui présenterait aucune demande de passage ou de livraison de bases. Cependant, un Ministre étranger qui passe pour être bien informé était d’avis que l’Allemagne ne tarderait pas à présenter des exigences au Général Franco qui toutefois les repousserait.
Le lundi matin déjà la presse publiait le texte d’une Note du Ministère des Affaires étrangères de la teneur suivante:
«En relation avec les nouvelles opérations militaires dans le nord de l’Afrique, S.E. le Chef de l’Etat et le Ministre des Affaires étrangères ont reçu du Président des Etats-Unis et du Gouvernement de Sa Majesté britannique la garantie écrite que seront respectés pleinement les territoires espagnols, continental et insulaires ainsi que les colonies et protectorat du Maroc qui ne seront l’objet d’aucune attaque ni d’un acte quelconque contraire à notre souveraineté, intégrité et indépendance. De la même manière seront respectés les intérêts espagnols en général, la situation établie à Tanger et la vigueur des accords commerciaux.»
L’Amérique a justifié son agression contre l’Empire colonial français par la nécessité de prévenir une attaque allemande déjà concertée et décidée. Dans mon dernier rapport politique du 27 octobre4 déjà, j’avais eu l’honneur de vous dire que l’Allemagne cherchait à convaincre le Maréchal Pétain et M. Laval de laisser entrer en Tunisie les troupes italo-allemandes et de les laisser traverser l’Algérie et le Maroc jusqu’à Casablanca afin de parer à la menace anglo-saxonne sur Dakar. J’ajoutais que l’Amiral Darlan qui s’était rendu dans ce dernier port et qui se trouvait être à Casablanca avait pour mission spéciale de s’assurer si les armées coloniales françaises des généraux Noguès et Juin resteraient fidèles au Gouvernement de Vichy si celui-ci venait à donner suite au désir du Reich et de vérifier également si ces troupes françaises seraient capables d’offrir une résistance suffisante pour empêcher la réalisation d’une agression anglo-américaine. J’ajoutais encore que l’Algérie avait adopté une attitude hostile à la Métropole et on a constaté en effet que c’est bien la ville d’Alger qui a le plus vite capitulé. Le projet allemand de créer une ceinture de troupes allant de la Tunisie à Casablanca devait également laisser de côté le Maroc espagnol et Tanger ainsi que Gibraltar et l’Espagne. C’est exactement ce que viennent de faire les Américains en envahissant le nord de l’Afrique.
Nous apprenons ce matin que la réaction allemande au lieu de se porter sur l’Espagne et Gibraltar s’est détournée sur la France libre. Au cours d’une conversation que je viens d’avoir ce matin avec lui, l’Ambassadeur de France, M. Piétri, m’a assuré que M. Hitler avait fait notifier hier soir au Gouvernement de Vichy qu’ayant acquis la certitude qu’une attaque anglo-saxonne se préparait incessamment sur la côte Méridionale de la France, avait décidé de faire traverser les troupes allemandes par la zone non-occupée5 dans le but d’occuper la côte Méridionale de la France ainsi que la Corse. Le Führer a offert au Gouvernement français d’aller s’installer à Versailles ce qui fait supposer qu’il entendrait désormais supprimer la ligne de démarcation entre les deux zones. L’Ambassadeur n’avait pas connaissance encore d’une fermeture des frontières avec la Suisse et l’Espagne mais il pensait qu’elle serait probable à brève échéance. M. Piétri ignorait encore ce que ferait le Gouvernement de Vichy et il demeurait pour le moment dans une position d’attente et juridiquement il considérait qu’il n’y avait rien de changé dans sa situation d’Ambassadeur. Il ignorait si le Gouvernement de Vichy s’en irait ou se désintéresserait de la situation et il attendait des nouvelles à ce sujet mais ne croyait pas que cela se réaliserait.
J’ai fait immédiatement part de ces informations de l’Ambassadeur de France à M. de Torrenté qui ayant déjà eu connaissance de la décision de M. Hitler d’occuper la côte Méridionale de la France qui s’étend jusqu’à Cerbère d’où partent nos trains de marchandises pour la Suisse a décidé de faire arrêter en cours de route ou au point de départ de Lisbonne, Bilbao ou Canfranc le transport des marchandises destinées à la Suisse surtout le plomb que les Allemands voudraient sans doute acquérir. M. Brand de son côté en sa qualité de représentant de l’Office de guerre pour les Transports a donné des instructions d’entente avec M. de Torrenté à ses agents à Lisbonne ainsi qu’à Bilbao, Canfranc et Port-Bou. Selon M. Brand, l’Angleterre ne donnerait provisoirement plus de nouveaux landcerts et nos bateaux seraient arrêtés à Gibraltar. Toutefois les déclarations de M. Brand semblent en contradiction avec celles de l’Ambassade britannique.
En effet, dans les assurances écrites que Sir SamuelHoare a remises au Général Franco, il y a lieu de relever la garantie que les opérations militaires actuelles ne compromettront pas le modus vivendi existant à Tanger. Quant au maintien de la vigueur des accords commerciaux également garanti, le Bulletin de l’Ambassade britannique précise que le Gouvernement de Sa Majesté estime que ces opérations ne doivent affecter en rien non seulement l’inter-échange de marchandises entre l’Espagne et les territoires britanniques mais encore entre l’Espagne et le monde extérieur, inter-échange pour lequel l’Angleterre accorde des certificats de la flotte britannique (navicerts), ni le commerce intérieur entre la zone du Maroc. Le Gouvernement de Sa Majesté estime qu’en réalité ces accords commerciaux devraient être appliqués pour éliminer de la côte du nord de l’Afrique le danger de leur contrôle par l’Axe en diminuant ainsi le danger que constitue pour les bateaux alliés et neutres les sous-marins de l’Axe.
Les assurances écrites par Washington et Londres à Madrid ont également contribué à empêcher le Reich de se servir de l’argument classique de gagner de vitesse l’adversaire pour occuper les territoires espagnols. La radio a annoncé que le Général Franco avait répondu aux messages de garanties du Président Roosevelt et de M. Churchill mais je n’ai pas réussi à en obtenir la confirmation au Ministère des Affaires étrangères où l’on semble vouloir garder quelque réserve à cet égard. Un Ministre étranger m’a dit même que l’Ambassadeur d’Allemagne aurait fait des démarches auprès du Ministère des Affaires extérieures pour empêcher que la presse ne publiât le texte même des messages si cordiaux et rassurants des deux chefs de Gouvernement alliés, le Ministère s’étant borné à publier une Note en résumé.
Au moment où je rédige ces lignes, j’apprends que votre collaborateur, M. le vice-Consul Baumann qui après avoir terminé son inspection à notre Chancellerie était parti ce matin en avion pour Séville, vient de rentrer dans la capitale son aéroplane n’ayant pas été admis à atterrir sur l’aérodrome sévillan. Cette nouvelle ne manque pas de m’intriguer et pourrait laisser supposer des mesures d’ordre militaire prises par l’Espagne pour renforcer ses troupes du Maroc à moins qu’il n’y ait là, contrairement à nos suppositions établies, une ingérence de l’Allemagne.
[...]
J’ai eu aujourd’hui vendredi 13 novembre une conversation avec le Ministre des Affaires étrangères ainsi qu’avec son Sous-Secrétaire d’Etat au cours de laquelle nous avons parlé de la situation de l’Espagne au regard de l’invasion du nord de l’Afrique par les Anglo-Saxons et de l’occupation de la France libre par les Allemands. J’en ai recueilli nettement l’impression que rien ne serait changé dans l’attitude passive de l’Espagne. Il y a un an encore même six mois, personne n’eût douté que l’Espagne aurait pu se tenir à l’écart du conflit si les côtes de l’Afrique eussent été occupées par les ennemis de l’Axe, la ligne de Carthagène et des Iles Baléares ayant dû nécessairement être englobées dans le territoire des hostilités.
Au cours d’un déjeuner offert par le Nonce Apostolique en l’honneur de M. de Las Barcenas6, l’Archevêque de Madrid m’a dit que depuis la défaite du MaréchalRommel7 la populace de la capitale recommençait à insulter les prêtres dans les rues et le prélat voyait dans ce fait le même indice qui caractérisa la période qui précéda la révolution communiste en Espagne. Aussi ne faut-il pas s’étonner que les milieux dirigeants de l’Espagne souhaitent la victoire de l’Allemagne et constatent avec anxiété que les chances de l’obtenir diminuent à mesure que croissent les succès des alliés. [...]
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