Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 182
volume linkBern 1997
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1553#6150* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 298 | |
Dossier title | Faschistischer Irredentismus (1939–1945) | |
File reference archive | B.46.I.10 |
dodis.ch/47368 Le Chargé d’Affaires de Suisse à Rome, L. H. Micheli, au Chef du Département politique, M. Pilet-Golaz1
J’ai eu l’honneur de recevoir votre lettre du 18 mars2, dont je vous remercie.
Depuis lors, à la suite d’un nouveau rapport confidentiel de M. de Bavier du 28 mars dernier3, dont copie vous a été transmise et dont il résulte que le Secrétaire fédéral fasciste Ippolito malgré les deux représentations faites au Ministère des Affaires étrangères, avait continué son agitation irrédentiste, je me suis vu amené à présenter un troisième pro memoria, en date du 1er avril, au Ministère des Affaires étrangères. Vous en trouverez copie sous ce pli4.
Jusqu’à présent, cela a été le silence complet de la part du Palais Chigi et nous n’avons reçu aucune assurance, ni écrite, ni orale, quant à la cessation des manifestations déplacées et de nature à créer des incidents regrettables survenues ces derniers temps à Milan; bien que ces manifestations soient encore de proportions modestes, dans un cadre restreint, elles représentent cependant des signes avant-coureurs sur lesquels nous devons garder un œil attentif. Je n’avais toutefois pas cru devoir, jusqu’à présent, donner trop d’importance à la chose, d’autant plus qu’ayant eu l’occasion de rencontrer une des personnes militantes dans les œuvres fascistes féminines de Milan, celle-ci m’avait dit que M. Ippolito était un homme actif et dynamique, cherchant avant tout à faire du zèle et à enfler sa stature, mais n’ayant probablement pas d’intentions mauvaises.
La situation me semble changée quelque peu à la suite de la lettre confidentielle de M. de Bavier, du 3 avril5, qui m’est parvenue ces jours. Bien que copie vous en ait été adressée, j’en joins encore un exemplaire à toutes bonnes fins, vu que cette affaire paraît prendre une plus grande importance qu’au début et une tournure pouvant avoir des conséquences méritant toute notre fermeté et notre circonspection.
J’ai à peine besoin d’ajouter qu’il n’est pas surprenant que la jeunesse universitaire fasciste de Milan, si elle se nourrit de l’organe «Libro e Moschetto», au sujet duquel nous avons attiré votre attention et celle du Ministère des Affaires étrangères et de la Culture populaire plus de vingt à trente fois ces dernières années, s’anime peu à peu de sentiments peu favorables à la Suisse. Cette feuille, au ton violent et provocateur (même si l’on fait la part d’une certaine truculence naturelle à la jeunesse) n’a cessé de représenter la Suisse comme un organisme archaïque, création de Metternich, reste d’un libéralisme désormais caduc, s’attribuant des missions que personne ne lui a confiées, nid d’espionnage, centre de chefs de francs-maçons et d’anti-fascistes, tolérée provisoirement par la bonne grâce des puissances de l’Axe, avec de ci de là des pointes mettant en cause l’existence même du pays.
A certains moments, le ton a paru se calmer; mais toujours de nouveau on a dû nous signaler des articles littéralement offensants et grossièrement agressifs qui ont fait l’objet d’innombrables démarches auprès des bureaux compétents. Vos dossiers de ces dernières années vous orienteront d’ailleurs à cet égard.
Ce que l’on peut affirmer immédiatement à ce propos, c’est que jamais le Secrétaire fédéral du Parti à Milan n’eût osé faire ces campagnes sans l’approbation, formelle ou tacite, probablement secrète, du Chef du Fascisme, Ministre de l’Intérieur. Dans des cas semblables, il est évident que les fonctionnaires des Ministères des Affaires étrangères et de la Culture populaire, animés de bonnes intentions, ne sont même pas mis au courant. Il n’y a peut-être que deux ou trois hauts personnages qui connaissent les directives confidentielles pour des «montature» de ce genre-là.
Quant au but que l’on poursuit, il n’est que fort évident; c’est de nous donner un avertissement, d’opérer une pression et une intimidation sur nos Autorités. Nous connaissons ce genre de manœuvre qui a précédé presque invariablement toutes les négociations économiques. Il est à peine besoin de rappeler à ce propos le discours injurieux à la radio d’avril 1941 d’EzioMaria Gray, la campagne de l’été 1940 à propos des avions anglais survolant la Suisse, etc. La mise en scène est désormais connue. La régie spécule sur le fait que les colonies suisses, certains hommes d’affaires, nos Autorités se laissent impressionner ou, craignant des conséquences plus graves, soient amenées à faire des concessions de nature à apaiser les soi-disant mécontents à notre égard.
Comme personne ne sent la moindre indignation ou le moindre mécontentement vis-à-vis de la Suisse, sauf quelques exaltés ou des dirigeants désirant obtenir de nous des concessions et tenir en bride la petite Suisse - que l’on sent peut-être trop populaire ici au point de vue des idées démocratiques et parfois trop «didactique», - il a fallu des années de campagne de petites feuilles estudiantines parfaitement déplacées, les arguments les plus abracadabrants clamés sur un ton forcené, pour amener les étudiants à en finir par une «démonstration». Inutile de dire que ces démonstrations, comme nous l’avons vu maintes fois à Rome, sont préparées techniquement par quelques «caporioni» ou agitateurs de quartiers endoctrinés. Elles sont minutieusements prévues dans toutes les phases, sauf que, parfois, il faut évidemment, à un moment donné, réprimer les velléités chahuteuses d’une jeunesse qui a actuellement peu l’occasion de s’essourer [sic] dans la rue.
Ce qu’écrit M. de Bavier cadre d’ailleurs parfaitement avec certaines indications que nous avons reçues de divers côtés tendant à dire qu’une menace obscure à distance pèse sur les Suisses de Milan et de Gênes, à titre d’intimidation à l’égard de notre pays, probablement dans le but d’obtenir des concessions financières que l’on réclame depuis l’automne dernier.
Un des membres bien connus de la colonie suisse de Rome, dont le frère dirige un grand établissement industriel, a rencontré dernièrement à son club le Ministre des Echanges et des Devises, M. Riccardi, chef de M. Masi*6. Lui prenant familièrement le bras, il lui a dit: «Excellence, qu’en est-il des bruits dont nous avons entendu parler, selon lesquels on voudrait prendre des mesures à l’égard de certaines colonies suisses, par exemple à Milan ou à Gênes?»
Le Ministre (homme connaissant peu notre pays et d’un caractère assez discuté) aurait répondu plus ou moins comme suit: «Je ne puis vous répondre ni oui, ni non. Les Suisses se sont montrés durs au point de vue économique. Mon envoyé est revenu cet hiver sans résultats. Ce ne sont pas des choses que l’on devrait faire vis-à-vis de l’Italie».
La tentative d’intimidation, pour ne pas dire de chantage, se passe de commentaires et nos négociateurs sont heureusement trop avertis pour se laisser impressionner indûment. Cependant, il m’a paru fort important de vous signaler plus en détails ces faits.
Vu ce qui précède, je vous serais très obligé de bien vouloir m’envoyer des instructions, si possible télégraphiques, pour me dire si vous estimez utile que je fasse une démarche auprès du Chef de Cabinet du Ministre des Affaires étrangères (ou auprès du Directeur général des Affaires politiques), donnant ainsi plus d’ampleur à nos représentations antérieures faites auprès du chef de bureau s’occupant des affaires de la Suisse.
Nous devons, je crois, marquer le point et montrer en tous cas que nous ouvrons l’œil et que nous sommes parfaitement au courant de ce qui se passe, mais que le moyen adopté ne serait pas le bon avec nous et qu’on irait à fins contraires. Les nouvelles négociations économiques doivent s’ouvrir dans une atmosphère d’égalité, en tenant compte des intérêts réciproques, sans qu’on y injecte un élément d’«orage politique», de manœuvre bruyante, contre lequel nous pourrions seulement nous rebiffer.
Les directives que vous voudrez bien me donner à cet égard me seront extrêmement précieuses7; si nous allons au devant d’un orage, je suis certain qu’en y tenant tête, sans lâcher prise avec des sacrifices ou des gestes témoignant d’hésitations ou de craintes, nous pourrons nous en tirer en tout honneur et dignité, sans conséquences graves. Les concessions de prévenance, les gestes d’apaisement hâtifs ne pourraient qu’éveiller l’idée qu’il suffit de nous parler avec la manière forte et de frapper sur la table pour nous faire peur; cela nous engagerait dans une voie dont les conséquences fâcheuses seraient incalculables et imprévisibles.
- 1
- Lettre: E 2001 (D) 3/298.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 3
- Non reproduit.↩
- 4
- Non reproduit.↩
- 5
- Non reproduit (E 2001 (D) 2/120).↩
- 6
- * rentré mécontent de Berne en décembre dernier[cf. ci-dessus No 148]↩
- 7
- Cf. à ce sujet le télégramme No 70 du 11 avril, envoyé par le DPF à la Légation à Rome: Vous remercions vigilance et approuvons fermeté. Considérons pourtant que si manifestations irrédentistes larvées sont en étroit rapport avec négociations économiques, il n’est pas opportun les souligner par de trop nombreuses démarches. Démarche Bavier pour prévenir manifestation étudiants suffit et n’a pas besoin confirmation à Rome. Saisissez en revanche prochaine occasion favorable pour signaler à nouveau verbalement avec sérénité et sans noircir tableau que zèle Ippolito est déplaisant et gêne nos efforts dans d’autres domaines.↩
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Irredentism in Ticino (1876–1942)