Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.11. GRÈCE
Également: Tableau statistique des denrées alimentaires et de leurs prix: famine et mortalité. Activités du CICR pour ravitailler la Grèce. Annexe de 12.2.1941
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 162
volume linkBern 1997
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1553#4905* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 233 | |
Dossier title | Verproviantierung der Auslandschweizer in Griechenland (1941–1945) | |
File reference archive | B.36.31 • Additional component: Griechenland |
dodis.ch/47348
SITUATION EN GRÈCE.
Il a toujours été de mon intention de donner plus de poids aux différents rapports que j’ai eu l’honneur de vous faire parvenir depuis le début de ma mission temporaire en Grèce3, soit avec des documents, soit avec des exposés précis, circonstanciés et surtout dignes de foi. D’autre part, je me suis toujours refusé de vous relater des «on dit» et des faits en grande partie fruits de la fantaisie d’un peuple accablé et durement éprouvé. Tout ce qui a été dit dans mes rapports correspond par conséquent à la réalité.
Aujourd’hui, c’est bien le cas de le dire, c’est un rapport macabre que j’ai l’honneur de vous adresser et les pièces à l’appui sont telles que tout commentaire devient inutile.
Au rapport original qui vous est destiné4, vous trouverez en annexe une documentation photographique que je n’ai pu obtenir qu’après de longs efforts et bien des démarches5. Inutile de vous dire que la personnalité qui m’a procuré ce macabre document ne s’est décidée à me le remettre qu’après beaucoup d’hésitations. Bien qu’il soit tout à fait hors de cause que nous poursuivons un but démagogique ou politique et qu’uniquement des raisons humanitaires nous amènent à nous occuper de la situation en Grèce, il est toutefois certain que les Autorités d’occupation ne verraient pas d’un bon œil à ce que nous poussions notre intérêt jusqu’à toucher au plus profond de la plaie qui mine la santé et la vie de tout le peuple grec. Il vous sera aisé de comprendre la raison qui m’oblige à vous taire les noms des personnalités qui ont bien voulu m’accorder leur précieux appui. Qu’il me soit cependant permis de vous assurer qu’il s’agit là de personnalités de haute valeur et de toute confiance, personnalités qui partagent aujourd’hui volontairement le tragique sort de leurs concitoyens et qui sont restées dans l’unique espoir de pouvoir servir ainsi leur patrie en détresse. Les rapports et les données statistiques qui n’émanent pas d’une autorité officielle ont été rédigés et rassemblés avec le plus grand soin et sont appuyés sur des circonstances et des faits précis. Il n’y a point d’exagération ni de parti pris. Même les rapports officiels ont été obtenus avec beaucoup de peine. Quant au documentaire photographique, il ne représente pas de scènes montées expressément: il ne s’agit donc pas d’un photomontage semblable à ceux qu’on fait circuler bien souvent pour épater le monde et le gagner à une cause. L’appareil photographique n’a fait qu’enregistrer des scènes de tous les jours sans les avoir préparées ou provoquées. J’ajouterai même qu’il est très hasardeux de se promener avec un appareil de prise de vues et que la plupart des photos ont dû être faites en cachette et en grande hâte.
Les personnalités qui, s’étant assurées de notre discrétion et de notre désir désintéressé de faire notre possible pour aider ce malheureux peuple et qui m’ont consigné le documentaire photographique et les différents rapports, ont voulu par là nous témoigner tout d’abord leur plus profonde reconnaissance. Elles nous ont en outre demandé - tout en vous laissant libre de décider si vous le jugez opportun - de bien vouloir porter leurs rapports à la connaissance de la Légation de Grèce à Berne, afin qu’elle tâche de provoquer de la part de son Gouvernement à Londres une intervention des plus sérieuses et des plus pressantes auprès des Puissances du blocus en faveur du peuple grec. Si vous estimez pouvoir donner suite à ce désir, il faudrait toutefois qu’absolument aucune allusion soit faite soit sur la provenance des rapports, soit sur les autorités qui les ont fournis. Je n’ai certainement pas besoin de vous en indiquer les raisons.
Le rapport et ses annexes vous seraient parvenus bien plus tôt, si je ne les avais pas retenus, afin de les confier à un courrier tout à fait sûr. Pour cette raison, j’attendrai le départ de M. Brunei, notre concitoyen, délégué du C.I.C.R. en Grèce, pour la Suisse, départ qui, à ce qu’il paraît, devrait avoir lieu prochainement et qui aurait déjà eu lieu, si le remplacement du bateau apportant des vivres de Turquie et qui a coulé6, avait pu se faire plus vite.
J’ajouterai à ce propos que l’attente du nouveau bateau est devenue fiévreuse. Des milliers et des milliers de gens affamés considèrent cette prochaine arrivée comme la dernière ancre de salut. Déjà plusieurs soupes populaires ont dû être fermées, et les autres ne donnent que des vivres insuffisants (des raisins secs surtout) et en quantités minimes. Or, tandis que le mauvais temps et le froid continuent, le spectre terrible de la famine s’approche de plus en plus. Pour comprendre le bénéfice de ces soupes populaires, il faut d’abord penser que le peuple grec, en général, a toujours été très sobre et que la ration de soupe journalière donnée à des milliers de personnes constitue à présent la seule nourriture de ces malheureux. Tout le monde est unanime à affirmer que si le ravitaillement, même très limité, de la Turquie ou d’ailleurs devait trop tarder ou cesser, le plus grand désastre que l’histoire d’un peuple n’ait jamais enregistré deviendrait inévitable pour cette malheureuse nation.
Qu’il vous soit dit encore que la suspension des voyages du bateau turc a eu de très fâcheuses conséquences sur le marché noir, conséquences qui ont touché encore plus profondément les moyens financiers dont disposent encore certainés catégories de personnes. Les prix des quelques marchandises qu’on pouvait se procurer encore (légumes secs, pommes de terre, huile, etc.) ont augmenté et atteint des hauteurs absolument fantastiques.
On ne se trompe par conséquent pas en disant que l’avenir s’annonce de plus en plus sombre et tragique. Combien de temps pourra-t-on encore tenir? Personne ne le sait. Tous sont cependant d’accord pour affirmer qu’à moins qu’une aide efficace ne soit donnée à la Grèce, la situation deviendra bientôt intenable.
P.S. Le départ de M. Brunei, hélas, se fait encore toujours attendre, car il ne peut avoir lieu avant que le bateau, apportant du blé et qui, d’après certaines communications, devrait être déjà en route venant d’Egypte, ne soit arrivé au Pirée. A la suite du manque de communications directes ou de courriers plus réguliers, tout le travail de la Légation est entravé et retardé. Bien des communications qui vous sont destinées, comme d’ailleurs les rapports aussi, devraient être modifiés et complétés, ce qui n’est pas possible, car nous devons nous tenir prêts, jour par jour, à fermer notre courrier et que le travail courant nous empêche de revenir sur les cas déjà traités.
C’est pour cette raison qu’aux diverses annexes viennent s’ajouter deux procès-verbaux des séances du Comité de haute direction de la Croix-Rouge7, qui ont eu lieu, entre-temps, et qui vous intéresseront certainement.
- 1
- F. Brenni, Consul de Suisse à Naples, a été chargé en novembre 1941 à titre temporaire du poste de Chargé d’Affaires de Suisse a.i. à Athènes jusqu’à l’arrivée en avril 1942 de C. de Bavier, Consul général à Milan.↩
- 2
- Rapport: E 2001 (D) 3/233.↩
- 3
- Cf. le rapport du 12 février 1942 reproduit en annexe au présent document.↩
- 4
- Non reproduit. Ce rapport de 17 pages dactylographiées est daté du 31 janvier 1942.↩
- 5
- Cette documentation photographique ne se trouve pas dans le dossier. Sans doute a-t-elle été confiée au Cartel suisse de secours aux enfants victimes de la guerre auquel étaient aussi adressés les rapports de la Légation de Suisse à Athènes, concernant la famine qui sévit en Grèce depuis l’été 1941.↩
- 6
- Il s’agit du bateau turc Kurtulus qui disparut en mer avec sa cargaison, le 21 janvier 1942.↩
- 7
- Ce Comité de haute direction de l’œuvre de secours à la Grèce créé en octobre 1941, est présidé par R. Brunei, délégué du CICR en Grèce et composé du délégué de la Croix-Rouge allemande, du délégué de la Croix-Rouge italienne, du président de la Croix-Rouge hellénique, accompagné d’un membre du Comité de la Croix-Rouge hellénique. Les procès-verbaux des séances de ce Comité fournissent des informations détaillées sur l’action de secours à la Grèce, cf. E 2001 (D) 3/233.↩
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