Classement thématique série 1848–1945:
VI. AFFAIRES DE PRESSE, CENSURE, PROPAGANDE ET OPINION PUBLIQUE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 13, doc. 315
volume linkBern 1991
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E3800#1000/780#114* | |
Old classification | CH-BAR E 3800(-)1000/780 52 | |
Dossier title | Korrespondenzen-Presse April-Juni 1940 (1940–1940) | |
File reference archive | 2.10 |
dodis.ch/47072
L’évolution de la situation militaire, politique et diplomatique, impose à notre peuple un devoir de tenue et de sang-froid.
Sans vouloir jeter un cri d’alarme, j’estime qu’il est grand temps de faire connaître au Pays que notre neutralité lui commande la réserve et la discipline dans l’expression de ses sentiments.
Partout où elles dépassent les mouvements de l’humanité et de la charité, les manifestations qui se répètent sur le passage des réfugiés civils et des internés militaires prouvent que notre peuple n’a pas encore compris ce devoir et cette nécessité (par exemple, incidents de Neuchâtel, Biel, etc.)2. Il importe donc de réagir pendant qu’il est temps et avant que cette réaction ne nous soit imposée de l’extérieur. La période dans laquelle nous entrons jusqu’à la conclusion d’un armistice ou même jusqu’à la signature de la paix, aura, à cet égard, une importance décisive. Les avertissements, les leçons ne nous auront pas manqué; déjà les moindres réactions de notre opinion, écrite ou parlée, sont «guettées» avec la plus vive attention.
Le Conseil fédéral a indiqué au commandement de l’armée - et, d’ailleurs, j’en ai compris moi-même l’impérieuse nécessité - d’éviter, à la frontière, comme dans notre espace aérien, tout incident susceptible de provoquer des complications diplomatiques3. J’ai ordonné les mesures nécessaires; leur exécution a été assurée par les moyens appropriés. Il serait paradoxal de ne pas prendre des mesures analogues dans le domaine de la presse, mais les moyens me manquent.
Suivant une disposition qui nous est propre et qui ne se retrouve dans aucun pays, quel que soit son régime, démocratique ou totalitaire, la surveillance de la presse (censure et propagande) incombe chez nous au commandement de l’armée. Il ne m’appartient pas d’en apprécier ici les raisons. Je remarque seulement que la presque totalité des questions que pose cette surveillance sont d’ordre politique, et, plus particulièrement, de politique extérieure.
Puisque la responsabilité de cette surveillance et de ce contrôle appartient au commandement de l’armée, j’estime qu’il est de mon devoir de déceler le danger, tel qu’il s’accentue aujourd’hui, pour notre défense nationale, dans le domaine de la presse, au même titre qu’à nos frontières terrestres ou dans notre espace aérien, et, par conséquent, d’y faire face en prenant les mesures que comporte la situation.
Je dispose, à cet effet, de la Division «Presse et Radio» de l’Etat-Major de l’Armée.
Fort des expériences faites au cours de ces derniers mois et, notamment, des récentes difficultés survenues avec la «Gazette de Lausanne» (article de M. Denis de Rougemont paru dans le No du samedi 15 juin4)après d’autres journaux de la Suisse allemande et de la Suisse française, je constate que cet organisme est impuissant à prévenir les excès de notre presse.
Il ne peut y parer que par des «avertissements» et par des «suspensions», c’est-à-dire à posteriori, lorsque les articles ont déjà paru et que le mal est fait. Dans la période critique que nous traversons, l’insuffisance de ce moyen est démontrée.
Je considère donc que la seule manière de prévenir les incartades et les excès de notre presse et les incidents qui en peuvent résulter est la censure préventive. C’est, actuellement, une arme indispensable de la défense nationale sur le plan intérieur comme sur le plan extérieur.
Dans la lettre (No 6796), que je vous ai adressée le 29.2.405, j’ai attiré votre attention sur la gravité de cette situation, à propos du régime institué par l’Ordonnance du 8.9.396; et j’ai ajouté: «...la subordination de «Presse et Radio» au commandement de l’armée, avec la responsabilité qu’elle implique pour celui-ci, pourra-t-elle subsister? Ou bien l’armée devra-t-elle demander que la Division soit subordonnée au Conseil fédéral?... Je dois me réserver de revenir, s’il y a lieu, sur cette question délicate et vous prie de bien vouloir en informer le Conseil fédéral».
L’heure est venue de créer une situation nette. La censure préventive est le seul moyen qui l’autorise. Je la demande donc d’une façon formelle.
Si le Conseil fédéral ne devait pas prendre cette demande en considération, je ne pourrais plus exercer la surveillance de la presse par les moyens actuels. Je prierais alors le Conseil fédéral de me décharger de cette responsabilité7.
- 1
- Lettre (Copie): E 3800 1/52.↩
- 2
- Une circulaire du Service territorial du Commandement de l’Armée, datée du 20 juin 1940 et destinée aux Commandants territoriaux, précise notamment: Lors du passage dans les gares de trains de personnes à interner (ont été désignées spécialement les gares de Bienne, Berne et Neuchâtel), des ovations en faveur de la France se seraient manifestées (acclamations, salutations avec le poing tendu et autres semblables). D’autre part des exclamations dépréciatives à l’égard des puissances de l’axe (Abasso Mussolini et autres semblables) se sont fait entendre. Déjà des journalistes ont téléphoné à l’étranger au sujet de ces incidents. Dans l’intérêt de la sécurité du pays, il faut intervenir (E 27/14448). Une série de mesures sont prises afin de réprimer immédiatement de telles manifestations et de veiller en général à l’ordre et à la tranquillité. Les instructions du Général à la troupe sur l’attitude à observer à l’endroit des réfugiés civils et militaires sont communiquées à la population par l’Etat-Major Général de l’Armée le 21 juin 1940 (E 5795/175 et 527).↩
- 3
- Cf. No 300, note 2.↩
- 4
- Le 17 juin 1940, le Colonel Wirt h, Chef de l’Inspectorat de la Division Presse et Radio adressa un sévère avertissement à Georges Rigassi pour avoir publié cet article sur l’entrée des troupes allemandes dans Paris. Cf. E 4450/173 et 448.↩
- 5
- E 5795/546.↩
- 6
- Cf. E 1004.1 1/389 (PVCF ° 1719) et RO, 1939, vol. 55, pp. 921-922. Cf. aussi RO, 1940, vol. 56, I, pp. 575-577.↩
- 7
- Lors de sa séance du 2 juillet 1940, le Conseil fédéral décidera de refuser l’introduction d’une censure préalable de la presse (E 1004.1 1/399, No 1132) et adresse une lettre au Général (Cf. E 5795/546).↩
Tags